: Enquête France 2 Coronavirus : comment des milliers de profs n'ont pas assuré leur propre cours pendant le confinement
Pendant le confinement, plus de 800 000 enseignants ont dû donner des cours à distance. La plupart se sont adaptés et ont innové. Mais d’autres n'ont carrément donné aucune nouvelle à leurs élèves pendant plus de deux mois.
En région parisienne, une famille que nous avons rencontrée a décidé de briser un tabou. Pour ne pas nuire à la scolarité de leur fille, élève dans un collège public, ses parents ont souhaité qu’elle reste anonyme. Pendant les huit semaines du confinement, deux de ses professeurs ont séché leurs propres cours. "Il y en avait certains qui n’envoyaient pas de cours ou ne donnaient pas de nouvelles, raconte-t-elle avec amertume. Je l’ai très très mal vécu parce qu’il n'y avait personne pour m’aider.”
Exaspérant pour sa mère, infirmière à l'hôpital, au contact des malades pendant toute la crise sanitaire. “C’est désolant, voilà, c’est désolant… souffle-t-elle. Certains profs, je leur dis merci pour leur soutien qui a été énorme. Mais pour les autres, je leur en veux beaucoup, je ne sais pas comment ils peuvent se regarder dans une glace.”
Comment peut-on perdre le professeur de mathématiques en Terminale S ou le professeur de sciences économiques en Terminale ES ?
71 parents d'élèves, dans un courrier adressé au proviseur d'un lycée
Comment expliquer ces absences de certains profs ? Une mauvaise maîtrise de l’informatique ? Un proche tombé malade ? Une certitude : nous avons récolté pendant notre enquête des dizaines de témoignages d’élèves, de parents et de proviseurs, qui dénoncent une forme d’abandon de poste de certains enseignants, sans raison apparente.
Ici des parents d’élèves qui décrivent à un recteur d’académie des “élèves livrés à eux-mêmes depuis le 16 mars” à cause de l’absence d’un prof d’anglais. Là une lycéenne, qui sur les réseaux sociaux nous parle d’un prof d’histoire qui “n’a donné aucun travail et aucun cours en vidéoconférence”. Ou ces 71 parents dans un grand lycée francilien, qui dans un bilan envoyé au proviseur s’interrogent. “Certains (peu nombreux heureusement), sont totalement sortis des radars. Comment peut-on perdre le professeur de mathématiques en Terminale S ou le professeur de sciences économiques en Terminale ES ?”
4 à 5% d'enseignants décrocheurs
Au total, selon nos informations, confirmées par le ministère de l’Éducation, 4 à 5 % des enseignants dans le public n’ont pas travaillé pendant le confinement. Soit près de 40 000 profs décrocheurs.
De quoi énerver le proviseur Philippe Vincent, secrétaire général du syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale (SNPDEN-UNSA). "Il y a eu de vraies difficultés effectivement, confirme-t-il. Il y avait de temps en temps, et c'est cela qui nous a le plus agacé, une forme de mauvaise foi (de certains enseignants) en se réfugiant parfois derrière une incapacité pour ne pas faire."
Contacté, le principal syndicat des enseignants en collèges-lycées minimise le problème, et assure que les professeurs absents l’étaient probablement pour de bonnes raisons.
Des arrêts-maladies de complaisance ?
Pour autant, l’état d’esprit de certains profs n’était pas franchement au retour en classes. Nous nous sommes procurés un enregistrement téléphonique d’un syndicaliste de l’enseignement privé sous contrat. Il explique comment demander un arrêt, sans être malade. "Les médecins sont déjà de notre côté d'avance. Tout de suite ça va être "quel genre de métier vous faites ?" ; "Enseignant" ; "Oh...". Voilà, ils savent très bien. En plus de ça, vous pouvez très bien dire "je m'occupe de ma mère qui est assez âgée." Enfin vous voyez, c'est tout à fait faisable. Croyez-moi, il y a des gens qui obtiennent des arrêts-maladies pour moins que ça."
Des conseils que nous avons fait écouter à un représentant du même syndicat. Il défend les professeurs qui ne veulent pas revenir en classes. "Vous parlez de professeurs décrocheurs, je ne connais pas, assure Alain Torielli, secrétaire du syndicat des personnels des établissements d'enseignement privés (Snep-Unsa) de l’académie de Versailles. Je comprends tout à fait qu’un enseignant préfère rester à la maison parce qu’il ne se sent pas à l’aise. Il a peur, c’est quand même compréhensible.”
Contacté, l’entourage de Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, rappelle qu’une immense majorité d’enseignants a bien fait son travail et condamne les “tire-au-flanc qui abusent du système.” Pour autant, à ce jour, aucun prof décrocheur n’a été sanctionné.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.