"J'ai l'impression que toute ma vie est chamboulée par un pangolin" : futurs mariés, ils repoussent leurs noces à cause du coronavirus
Ils auraient dû s'unir au printemps ou à l'été, mais le Covid-19 en a décidé autrement. Franceinfo a interrogé de futurs mariés et les prestataires dont l'activité est liée à ces festivités, pour savoir comment ils vivent cette situation.
Samedi 18 avril, Alice* et Justine* auraient dû se dire "oui" "en petit comité" à la mairie d'Orléans (Loiret), avant de profiter "d'une cérémonie laïque, d'un vin d'honneur, d'un grand repas et d'une fête", en compagnie de 150 de leurs proches. Au lieu de ça, les deux femmes ont consacré leur samedi à "un marathon de films du studio Ghibli", interrompu par la consultation de la météo "toutes les dix minutes, en espérant qu'il pleuve sur le domaine". Une crainte de dernière minute avant leur union ? Loin de là. Comme de nombreux autres couples de fiancés, Alice et Justice n'ont eu d'autre choix que de reporter l'événement en raison de l'épidémie de coronavirus.
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Dès les premières mesures de confinement, mi-mars, ceux qui devaient se marier au printemps ont dû revoir leurs plans. Et lundi 13 avril, Emmanuel Macron a douché les espoirs des futurs mariés de l'été, indiquant qu'il n'y aurait "pas de rassemblements publics avant la mi-juillet". Pour les couples, impossible de reprogrammer leur mariage avant plusieurs mois. Et pour leurs prestataires, le risque est grand de devoir tirer un trait sur toute la saison. "On a déjà 85 000 mariages concernés. D'ici à la fin juillet, ce sera de 110 000 à 120 000", anticipe ainsi Stéphane Seban, fondateur et organisateur du Salon du mariage à Paris. Si l'on se réfère aux chiffres de l'Insee, un mariage sur deux pourrait donc être menacé.
"On s'était fait des films"
Pour les futurs époux, l'annulation probable de la cérémonie, à quelques semaines du jour J, est difficile à vivre après un investissement émotionnel, de temps et d'argent, important. Même s'ils reconnaissent que ce problème est mineur comparé à celui des personnes atteintes par le virus.
On prépare cet événement depuis un an et demi, c'est notre projet de couple et mon rêve de petite fille. J'essaie de me faire à l'idée, mais on est très tristes.
Morgane, future mariéeà franceinfo
Morgane, professeure des écoles de 28 ans, et Jérémie, cadre dans l'agroalimentaire de 29 ans, avaient tout prévu pour que leur mariage à Nancy (Meurthe-et-Moselle) le 25 juillet soit, comme le veut l'expression, le "plus beau jour de leur vie". Robe, château, Jaguar. En tout, ils avaient versé "pas loin de 5 000 euros" d'acompte, qu'ils ne sont pas certains de récupérer en annulant. Pour s'assurer d'obtenir la date de leur choix dans la mairie de leur commune, située sur la très convoitée place Stanislas, le futur marié a même dormi sur les lieux la nuit précédant l'ouverture des inscriptions.
"A moins de deux mois de la date prévue, on s'était fait des films sur la manière dont ça allait se passer. On est très tristes et un peu énervés, même si on ne sait pas vraiment contre qui l'être...", reconnaît Mathilde, ingénieure de 29 ans, qui aurait dû épouser le 30 mai Jean-Christophe, 32 ans, responsable projet dans l'immobilier. "J'ai l'impression que toute ma vie est chamboulée parce qu'à l'autre bout du monde, des gens ont décidé de manger du pangolin", s'emporte aussi Karim*, ingénieur informatique de 33 ans vivant à Tours (Indre-et-Loire). Son union avec Jamila*, secrétaire de 33 ans, était prévue le 15 août à La Marsa, banlieue chic de Tunis. Désormais, tout est en suspens, et Jamila, partie préparer la noce en Tunisie, est bloquée à des milliers de kilomètres de son futur époux.
"Ça me déprime d'annuler si on a encore un espoir"
Alors que la date se rapproche, et que les modalités de la sortie du confinement restent floues, la plupart des couples interrogés par franceinfo ont déjà pris leurs dispositions. "On est en train d'annuler petit à petit", glisse ainsi Marine, 29 ans, qui aurait dû épouser Florent, 30 ans, le 30 mai, en Ille-et-Vilaine.
Les photos avec des masques c'est pas top. Et garder un mètre de sécurité, éviter les embrassades... Non. C'est quand même un mariage !
Marine, future mariéeà franceinfo
"Dès le mois de mars, on a envisagé une solution de repli avec nos prestataires, qui, par chance, nous réservent le 8 mai 2021", explique aussi Mathilde, qui ne "voulait pas prendre le risque de célébrer le mariage" avec "des parents, des amis et des grands-parents qui, du fait de leur âge ou d'une maladie, sont plus à risque". Contrairement à d'autres, pas question pour elle et son fiancé de choisir une autre date plus tard en 2020 : "Je préfère avoir à décaler complètement à l'année prochaine plutôt que de donner une date en septembre, octobre, et de devoir décaler une nouvelle fois."
Pour Alice, qui a réussi à réserver tous ses prestataires pour le 24 avril 2021, "savoir qu'on a une nouvelle date et que tout est remis sur les rails (...) aide à se projeter". Morgane, qui espère encore pouvoir se marier fin juillet, a, elle, du mal à décommander. "Ça me déprime de tout annuler alors qu'on a encore un espoir. Je serai encore plus déçue si on réalise finalement que le mariage aurait pu avoir lieu, mais qu'on l'a annulé trop tôt." Devoir reporter son mariage, "ça questionne, bien sûr", convient aussi Alice.
Est-ce que ça n'est pas un signe que notre couple va se casser la gueule ?
Alice, future mariéeà franceinfo
Difficile de reporter le mariage à l'identique
Surtout, il n'est pas toujours aisé de reporter la noce comme prévu. "La plus grosse problématique réside dans le flou dans lequel on vit, explique Amar Mecheraf, propriétaire-gérant du Manoir des Cygnes, dans l'Essonne, qui accueille toute l'année des cérémonies regroupant jusqu'à 400 invités. Les mariés m'appellent et me demandent ce qui va se passer et quand ils peuvent reporter. Mais je n'en sais rien, moi ! L'annonce du président a laissé entrevoir une éventuelle possibilité à partir du 15 juillet, mais si les impératifs de distanciation sont maintenus, je ne vois pas comment les gens vont pouvoir danser."
Sans compter que les salles avaient souvent déjà bouclé leur programmation pour 2021. Dès lors, comment y ajouter les mariages de 2020 qui ne pourront pas avoir lieu ?
La plupart des mariages que je devais couvrir en avril et mai sont reportés en semaine l'année prochaine, faute de place le week-end.
Léo Melville, photographe de mariagesà franceinfo
"C'est un peu comme Admission post-bac ou Parcoursup : tout le monde a posé ses options et comme personne ne les annule en attendant de savoir à quoi s'en tenir, tout le monde dans la file est bloqué", confirme Mathilde.
Pour certains, leur vie aura changé l'an prochain, ce qui perturbe les plans : Morgane et Jérémie, qui rêvaient d'un mariage princier place Stanislas, à Nancy, n'habiteront plus dans la commune en 2021. Impossible, alors, de prétendre s'y unir. Ils envisagent donc de séparer la cérémonie en deux parties : "Un petit mariage civil cette année" à Nancy, "et l'année prochaine, le mariage religieux dans l'église du domaine qu'on a choisi, au lieu de la cathédrale de Nancy". "Ce sera peut-être très sympa, mais pas ce qu'on avait imaginé...", se désole la future mariée.
Karim et Jamila, les Tourangeaux confinés de part et d'autre de la Méditerranée, devront, eux, tailler dans leur budget après avoir perdu leur emploi en raison de l'épidémie de coronavirus. "On avait prévu une salle haut de gamme. Là ce sera beaucoup moins cher. On réduira aussi le nombre d'invités et on louera peut-être une robe là-bas au lieu de l'acheter ici. Le voyage de noces est aussi remis en cause", détaille le futur marié.
Une "tragédie économique" pour les prestataires
Les fiancés ne sont pas les seuls à compter leurs sous. Pour les prestataires (photographes, DJ, traiteurs, loueurs de salles...), les reports en série grèvent les bénéfices de l'année. Dans un secteur majoritairement composé de petites entreprises et d'auto-entrepreneurs, avec "deux mois de trésorerie" d'avance, selon Stéphane Seban, la crise menace même leur pérennité.
"Mes pertes s'évaluent à 1,7 million d'euros sur l'année, ça représente 90% de mon chiffre d'affaires annuel", explique ainsi Amar Mecheraf, à la tête du Manoir des Cygnes (Essonne). Ce dernier compte sur un prêt de 320 000 euros de Bpifrance pour survivre. Mais il lui faudra alors "rembourser 7 500 euros par mois pendant cinq ans".
Je vais devoir travailler jusqu'à 75 ans pour rembourser mon prêt. L'horizon n'est pas joyeux...
Amar Mecheraf, propriétaire du Manoir des Cygnesà franceinfo
D'autres n'auront même pas cette possibilité. Stéphane Wattiaux, cogérant du domaine de La Ferme de la petite loge (Seine-et-Marne), vit une "tragédie économique" avec la perte de "pas loin de 50%" de son chiffre d'affaires annuel. Pourtant, il n'aura pas droit au prêt de Bpifrance. "Comme on a investi pour retaper le domaine, on a un résultat négatif l'an dernier. Donc on se retrouve avec zéro aide", anticipe-t-il.
Pour tenter de limiter les pertes, certains, comme Bertrand Landjerit, cogérant de Simon et Bertrand traiteur à Morsang-sur-Orge (Essonne), lancent une seconde activité. "On démarre ces prochains jours un petit service de livraison de plats cuisinés. On a créé un menu intitulé 'spécial Covid-19', qu'il faut commander la veille pour le lendemain", détaille l'entrepreneur de 55 ans. Amar Mecheraf a lui aussi entamé des travaux sur son domaine pour pouvoir "ouvrir une activité de restauration en septembre".
Pour d'autres, difficile d'innover. "Comment fait-on pour faire des portraits de famille avec les gestes barrières ?", s'interroge ainsi Léo Melville. Ce dernier, qui est par ailleurs cadre infirmier en entreprise, songe sérieusement à arrêter son activité de photographe, à contrecœur. "Est-ce que les rassemblements de plus de 50 personnes seront autorisés dans un an ? Et est-ce qu'avec la crise, les budgets des mariages ne seront pas réduits ? Je me demande quel sera l'intérêt de mon activité après tout ça..."
* Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interrogées.
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