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"La vieillesse et la fin de vie font peur" : avec le Covid-19, les Ehpad peinent plus que jamais à recruter

Bas salaires, surcharge de travail, manque de reconnaissance… L'épidémie de coronavirus a mis en lumière le quotidien du personnel des Ehpad. Le problème est cependant plus ancien, comme en attestent des témoignages reçus dans le cadre de notre opération #PrioritéEmploi.

Article rédigé par Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 10min
Une enseignante d'art-thérapie tient la main d'une résidente de la "Maison Saint-Jean Hélios", un Ehpad situé à Nice (Alpes-Maritimes), le 4 août 2020. (VALERY HACHE / AFP)

Neuf morts. Les décès de résidents malades du Covid-19 se succèdent depuis le début du mois, à l'Ehpad Gloriande, à Sévérac d'Aveyron. Désemparée, la directrice de l'établissement a lancé un SOS, dimanche 13 septembre, sur BFMTV. "Nous avons cruellement besoin de soignants. Nous avons aujourd'hui la moitié de l'équipe aide-soignante qui est malade", s'est émue Florence Vajda-Léoni, appelant les volontaires à rejoindre ses rangs, même provisoirement.

Elle n'est pas la seule à manquer de bras. Alors que la France traverse un rebond de l'épidémie de coronavirus, "on constate ces dernières semaines des arrêts maladie et des démissions en série dans certains établissements", s'alarme auprès de franceinfo Annabelle Vêques, directrice de la Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements et services pour personnes âgées (Fnadepa).

"Les équipes, épuisées par la première vague, sont en congé, ce qui renforce les tensions habituelles pour trouver du personnel", complète Jean-Baptiste Rouffet, directeur de l'Ehpad "Les trois sources", à Loperhet (Finistère). Pour renforcer son équipe, ce dernier a tout tenté, du bouche-à-oreille aux agences d'intérim — une pratique courante dans le secteur, pour les remplacements au pied levé. En désespoir de cause, il a finalement écrit à France Télévisions, dans le cadre de l'opération #PrioritéEmploi, pour signaler qu'il recherchait deux aides-soignants en CDI.

Le Covid-19 a renforcé un problème existant

L'épidémie de coronavirus a mis en lumière la question des sous-effectifs en Ehpad, se réjouissent les professionnels de santé interrogés par franceinfo. Mais tous s'accordent pour dire que le problème est plus ancien. En 2015, près d'un Ehpad privé sur deux (49%) déclarait des difficultés de recrutement, contre plus d'un sur trois (38%) dans le public, indiquait juin 2018 une étude de la Drees, le département statistique du ministère de la Santé. Un établissement sur dix disposait d'un poste de médecin coordinateur (10%) ou d'aide-soignante (9%) non-pourvu depuis au moins six mois, selon cette même étude. Et 4% des Ehpad proposaient au moins un poste d'infirmier. Les Ehpad privés, ceux situés dans des communes isolées ou à Paris, et ceux de plus de 60 places avaient le plus de difficultés à recruter, notait encore la Drees.

Ce manque de personnel est d'autant plus alarmant que l'âge moyen et le niveau de dépendance des résidents a crû au fil des ans, souligne le rapport. En outre, le nombre de ces établissements et donc le besoin de personnel sont amenés à augmenter, avec le vieillissement de la population. Le nombre de personnes en perte d'autonomie pourrait passer "de 1,387 million en 2020 à 1,479 million en 2025", anticipe un rapport sur l'attractivité des métiers du grand âge (fichier PDF) de l'ancienne ministre Myriam El Khomri, remis en octobre 2019.

Faibles salaires et conditions de travail difficiles

Alors que plus de 7% de la population française active est au chômage, comment expliquer que les Ehpad (et leur pendant chez l'habitant, les aides à domicile) peinent à attirer des candidats ? "La vieillesse et la fin de vie font peur, peu de gens ont envie de travailler avec le grand âge", avance Hella Kherief, aide-soignante et autrice de Le scandale des Ehpad (2019), dans lequel elle dénonce le manque de moyens et la maltraitance au sein de ces établissements.

Surtout, "le salaire est extrêmement bas comparé à celui d'une aide-soignante dans un service hospitalier" (aux alentours du smic, soit en général quelques centaines d'euros en moins), et "la charge de travail est excessive", estime celle qui travaille désormais au sein d'un service de réanimation dans un hôpital marseillais. "Vous portez des personnes âgées, qui sont souvent en surpoids, pendant 12 heures de suite. Les cadences sont infernales, on est fatigué avant même de commencer", détaille Hella Kherief. Pour preuve : "la fréquence et la gravité des accidents du travail et des maladies professionnelles" en Ehpad "sont pratiquement le triple de celles observées" pour l'ensemble des métiers, soulignait en mars 2019 un rapport de Dominique Libault (fichier PDF), président du Haut-Conseil au financement de la protection sociale.

Chaque matin, on se dit : 'J'espère qu'il ne va manquer personne aujourd'hui.'

Hella Kherief, aide-soignante

à franceinfo

L'aide-soignante estime également que les perspectives d'évolution de carrière sont trop limitées. "En Ehpad, il n'y a pas d'apprentissage médical pour les aides-soignantes, contrairement à l'hôpital, car on (...) n'a pas le temps de s'intéresser à tout ça", regrette celle qui espère devenir un jour infirmière.

"Le manque de reconnaissance n'est pas que financier, il est aussi social et lié au regard que porte la société sur la vieillesse, qui est très dévalorisant", souligne aussi Mélanie*, psychologue clinicienne. "Quand je dis que je travaille en Ehpad, on me répond : 'Ah bon ? Ça ne doit pas être intéressant', car on s'imagine que mes patients sont des légumes", se désole celle qui s'est décidée, après la première vague de l'épidémie, à quitter les Ehpad, où elle exerçait depuis 14 ans.

Enfin, "la dégradation des conditions de travail pour les métiers du grand âge (...) s'explique également par les pratiques d’organisation et de management" de certains cadres, étrille le rapport Libault. "La méthode au fouet ne peut pas marcher : c'est des boulots tellement difficiles, vous ne venez pas pour vous faire engueuler", confirme Florian*, cadre de santé d'un Ehpad public de la capitale, qui assure "ne jamais crier" sur ses salariés et n'avoir jamais eu "de problème de recrutement en 12 ans", grâce au bouche-à-oreille assuré par ses équipes.

"On a pris dix ans de retard !"

Face au manque de personnel durant l'épidémie, les directeurs d'Ehpad ont improvisé : salariés rappelés sur leurs jours de repos, personnel administratif prenant en charge des tâches au contact des résidents… Certains ont même fait appel à des demandeurs d'emploi volontaires, raconte Ouest France (article abonnés)… Les professionnels saluent tous la "solidarité" des équipes, pour continuer à servir au mieux les résidents en période de crise, mais réclament plus que jamais des mesures pérennes.

"Ça fait des années qu'on sait que les Ehpad ont un problème d'attractivité et qu'on nous promet la réforme du grand âge. On a pris dix ans de retard !" se désole Annabelle Vêques, alors que la Fnadepa a lancé cet hiver une campagne d'interpellation des pouvoirs publics baptisée "Stop au blabla, faites notre loi". Les professionnels, comme les personnalités missionnées par le gouvernement pour travailler sur le sujet, sont au diapason. Parmi les mesures réclamées : revaloriser les salaires pour attirer plus de candidats, augmenter les financements des Ehpad afin de créer des postes, former plus de professionnels, harmoniser les conventions collectives du secteur, rendre les formations gratuites, y inclure l'enseignement de la gérontologie…

Le projet de loi grand âge examiné en 2021

Le gouvernement assure avoir pris la mesure du chantier nécessaire, avec la nomination cet été de Brigitte Bourguignon en tant que ministre déléguée chargée de l'Autonomie. Cette dernière lancera mi-octobre le "Laroque de l'Autonomie", une consultation de plusieurs mois avec les acteurs du secteur, dont le nom fait référence au résistant et haut-fonctionnaire Pierre Laroque, considéré comme le "père" de la Sécurité sociale. Maintes fois reporté, le projet de loi grand âge sera lui "adopté en première lecture avant l'été 2021", promet l'entourage de la ministre.

Parmi les pistes déjà envisagées : le relèvement du taux d'encadrement en Ehpad de "25% à 30%" ces prochaines années, un "plan d'attractivité" pour changer l'image des métiers liés au grand âge, via une grande campagne de communication télévisée et des partenariats avec l'Education nationale et Pôle emploi, l'installation dans les Ehpad d'équipements technologiques (comme des rails de transfert) permettant de limiter la pénibilité du personnel, plus de place laissée à l'enseignement en alternance… Côté rémunération, l'entourage de Brigitte Bourguignon évoque "un effort pour le personnel à domicile" et rappelle que le Premier ministre a déjà annoncé, en clôture du Ségur de la santé, la revalorisation des salaires à hauteur de 183 euros nets par mois pour les salariés non médicaux des Ehpad.

De quoi insuffler de l'espoir aux professionnels interrogés par franceinfo, qui attendent néanmoins de voir ce que contiendra la loi tant attendue. D'ici là, ils comptent sur un effet positif du Covid-19. "La crise a mis en valeur ces métiers-là", souligne Maud Zaoui, responsable des ressources humaines intérimaires chez Adecco Medical, l'une des principales agences d'emploi du secteur. "J'espère que leur image a évolué et va servir à susciter des vocations."

*Le prénom a été modifié.

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