Le jour où l'épidémie de Sras a provoqué la délocalisation de la Coupe du monde féminine de foot
L'épidémie de coronavirus fait planer une menace sur la tenue de grands événements internationaux, comme les Jeux olympiques à Tokyo ou l'Euro 2020. Il n'y a pas si longtemps, une grande compétition avait déjà dû fuir devant la menace.
Dans la liste des menaces pesant sur la Coupe du monde féminine de foot, la société de conseil Risk Management Solutions avait placé tout en haut le risque terroriste dans son rapport rendu début 2003 à la Fifa. Le risque épidémiologique n'y est presque qu'une note de bas de page. Mis à part quelques matchs du Tournoi des six nations 2001 repoussés en raison d'une recrudescence du syndrome pieds-mains-bouche ou, des décennies plus tôt, de quelques matchs du club de foot anglais des Blackburn Rovers perturbés par le retour de la polio, il en fallait plus que quelques microbes pour repousser une compétition sportive. Ça, c'était jusqu'à l'épidémie de Sras au printemps 2003.
Une épidémie arrivée sur la pointe des pieds
C'est en avril 2003 que les premiers doutes ont émergé face à la prégnance de l'épidémie de ce syndrome respiratoire aigu sévère, dû au virus SRAS-Cov. Eh oui, déjà un coronavirus. Plus que le nombre de victimes, c'est surtout l'attitude de la Chine qui incite à la méfiance. Le premier cas est détecté le 16 novembre 2002, dans la région de Canton. Description d'un représentant de l'OMS sur zone, relayée par Le Monde six ans plus tard : "L'épidémie ne doit pas être connue du public et médiatisée, mais, sur place, il y a un début de panique chez les gens qui se ruent dans les pharmacies pour acheter tout ce qu'ils peuvent, pensant se protéger." Du côté du Parti communiste chinois, c'est silence radio.
Trois mois plus tard, en février, le virus n'a droit qu'à un entrefilet dans le bulletin épidémiologique hebdomadaire de l'OMS, avec ce commentaire lapidaire : "A ce jour, aucun virus grippal n'a été isolé." En quelques semaines, ce virus non-identifié se répand à Hong Kong et au Vietnam et se voit attribuer un nom : le Sras. Le 12 mars 2003, l'OMS décrète l'alerte rouge. Pourtant, pour le ministère de la Santé chinois, le virus est "en passe d'être contrôlé" depuis la mi-février. Officiellement, Pékin ne recense que 22 cas en Chine continentale. Chiffre qui passera brutalement à presque 800 le 20 avril.
De belles paroles qui ne rassurent guère la Fifa, qui organise une Coupe du monde féminine en Chine à l'automne 2003, et qui a dans l'immédiat un tirage au sort à gérer à Wuhan en mai. La ville, devenue mondialement célèbre à cause de l'épidémie de Covid-19, se trouve alors dans une région épargnée par l'épidémie, à 1 000 km du foyer infectieux. N'empêche. Début avril, la Fifa annule le tirage au sort. Un mois plus tard, après de longs conciliabules entre sa cellule médicale et l'OMS, elle annonce le retrait de l'organisation du tournoi à la Chine, qui s'exécute, moyennant un chèque d'un million de dollars pour couvrir les faux frais engagés. Reste à trouver un remplaçant, au pied levé, capable d'organiser une Coupe du monde en seulement cinq mois.
Des dés pipés en faveur des Etats-Unis
Plusieurs candidats manifestent leur intérêt : la Suède, organisatrice du Mondial féminin 1995, encore la préhistoire de l'événement avec des stades clairsemés et une compétition d'athlétisme pour attirer du monde ; le Brésil, pays du football, mais pas forcément celui de l'organisation bouclée dans les temps ; l'Australie, candidate malheureuse pour accueillir le Mondial 2003, qui a entre-temps hérité de la Coupe du monde de rugby. Et les Etats-Unis, hôtes d'une édition 1999 entrée dans la légende ? Pas plus motivés que ça. "Si c'est pour faire moins bien qu'il y a quatre ans, nous ne sommes pas intéressés", justifiait un haut responsable américain au site Soccer America. L'événement avait nécessité trois ans de préparation, 38 millions de dollars de budget et une fenêtre estivale pour pouvoir utiliser les stades gigantesques du football américain.
Pourtant, le 5 mai, deux jours après le retrait du Mondial à la Chine, les Etats-Unis se déclarent. Et ils ne font pas le voyage jusqu'à Zurich, au siège de la Fifa, pour faire de la figuration. Une source anonyme cafte à Reuters que les dés sont pipés. L'état-major de la fédération nie mollement. "La Fifa tient surtout à minimiser le risque financier, argumente Bob Contiguglia, son président dans le Washington Post. Si on y regarde bien, les Etats-Unis en sont tout à fait capables." Les organisateurs australiens ont compris depuis longtemps et ne font même pas le voyage jusqu'en Suisse. Brésiliens et Suédois, eux, ne seront même pas auditionnés.
"Nous n'avons pas encore conclu d'accord, mais ce n'est qu'une question de temps", déclare Alan Rothenberg, ancien président du comité d'organisation de la Coupe du monde de 1994, déjà organisée outre-Atlantique, au Chicago Tribune. Et d'ajouter : "Je suis sûr que la Fifa est consciente de nos besoins financiers." Nous y voilà : les Etats-Unis veulent bien dépanner, mais pas à n'importe quel prix. Comme lors des Jeux de Los Angeles de 1984, où le CIO avait dû garantir le risque de pertes. Sports Illustrated les estime à environ 10 millions de dollars pour ce Mondial 2003 délocalisé. La candidature américaine s'est aussi assuré de négocier un juteux contrat avec des diffuseurs, "sinon nous n'aurions même pas fait le voyage jusqu'en Suisse".
Un Mondial low cost qui coûtera cher
Trois semaines plus tard, c'est sans surprise que Sepp Blatter se félicite par communiqué d'avoir trouvé un remplaçant de luxe en la personne des Etats-Unis : "La Coupe du monde 1999 a été un tel succès que la Fifa se réjouit du retour de la compétition aux Etats-Unis." Un spot d'Adidas matérialise ce passage de relais.
Malgré les belles paroles venues de Zurich, le Mondial 2003 en sera plutôt une version dégradée : un budget de 14 millions contre 38 quatre ans plus tôt, une finale devant les 27 000 spectateurs du Home Depot Center, à Carson, en Californie, au lieu des 90 000 du Rose Bowl de Pasadena, à quelques encablures de là. Le stade était disponible, mais encore aurait-il fallu que son club résident, les UCLA Bruins, accepte qu'on enlève la pelouse synthétique pour y poser du vrai gazon. Une question qui a parasité l'organisation de la compétition. Entre les New York Giants et le comité organisateur, l'affaire a failli finir au tribunal pour l'usage du Giants Stadium, situé dans le New Jersey. Et le football américain a prévalu sur le "soccer".
Dernier avatar d'une préparation qui n'était pas de tout repos, la faillite du championnat américain, donc de l'employeur de 19 des 20 Américaines, trois jours avant la cérémonie d'ouverture. "Nous voulions que cela soit public avant la Coupe du monde pour ne pas que ça fuite pendant la compétition", explique la capitaine américaine Julie Foudy au New York Times (en anglais), les yeux embués de larmes. "J'y crois toujours, j'espère que le succès de ce Mondial convaincra des investisseurs", se convainc Mia Hamm, vedette de l'équipe américaine. Vœu pieux.
Plutôt que de renforcer le foot féminin, la tenue de la compétition sur le sol américain a surtout donné un coup de pouce... au ballon rond masculin, insiste l'universitaire Eileen Marie Narcotta-Welp dans sa thèse A critical cultural history of the U.S. women's national soccer team. A qui profitent les droits marketing ? A la MLS, le championnat masculin de foot américain, qui les commercialise. Le sponsoring ? Idem. Le choix des stades ? Aux clubs de MLS qui en sont propriétaires. Et vu que le championnat féminin n'existe plus, devinez à qui bénéficient les six millions de dollars de bénéfice générés par la compétition (à la surprise générale) ? Vous avez compris. "Le 'soccer' est devenu un espace 100% masculin", déplore la chercheuse.
Et le Sras dans tout ça ? S'il est un temps envisagé de confiner l'équipe chinoise en quarantaine avant qu'elle ne foule les pelouses américaines, c'est surtout les Nord-Coréennes qui auront du fil à retordre avec l'Oncle Sam pour obtenir des visas. L'OMS déclare l'épidémie terminée en fin d'année et quelques semaines plus tard, une poignée de cas sont détectés en Chine. Au total, 774 personnes y ont perdu la vie dans le monde, surtout en Chine continentale et à Hong Kong. Relire cette histoire, c'est mesurer le défi qui attend le CIO, qui décidera en mai du sort des Jeux olympiques de Tokyo, prévus deux mois plus tard. Ou celui qui attend l'UEFA, qui pourrait reporter l'Euro 2020 d'un an, quitte à entrer en concurrence frontale avec l'Euro 2021 féminin, déjà prévu en Angleterre.
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