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Les annonces d'Emmanuel Macron ne sont "pas du tout à la hauteur de la situation dramatique que traverse le monde de la culture", déplore Aurélie Filippetti

L’ancienne ministre de la Culture fustige des annonces trop faibles et pas assez pérennes. 

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Aurélie Filippetti, le 19 janvier 2017 sur franceinfo. (JEAN-CHRISTOPHE BOURDILLAT / FRANCE INFO)

L’ancienne ministre de la Culture Aurélie Filippetti a réagi mercredi 6 mai sur franceinfo aux annonces d’Emmanuel Macron pour la culture. "Ce n'était pas du tout à la hauteur de la situation tout à fait dramatique que traverse le monde de la culture", estime-t-elle . Elle fustige des annonces trop faibles et pas assez pérennes. Pour elle, cette crise apporte aussi un risque que les productions culturelles soient accaparées par les multinationales géantes du numérique. Elle dit aussi avoir l’impression "d'être un peu promenée de discours en discours".

franceinfo : Le plan pour la culture d’Emmanuel Macron est-il à la hauteur ? Qu’aurait-il fallu faire ?

Aurélie Filippetti : Pour moi, ce n'est pas une réponse. J'ai écouté avec attention le discours, ou plutôt l'intervention du président de la République. J'ai trouvé que ce n'était pas du tout à la hauteur de la situation tout à fait dramatique que traverse le monde de la culture. Il n'a annoncé qu'une seule chose, mais qu'on pouvait deviner, c'est-à-dire la prolongation des droits des intermittents pendant un an, tout en disant qu'il souhaitait qu'ils n'aient pas à y avoir recours. Sur la manière dont l'État va réagir, la manière dont il va se coordonner avec les collectivités locales pour permettre le soutien aux festivals, aux entreprises du secteur culturel, là, il les renvoie simplement au droit commun qui est appliqué à toutes les entreprises. Le véritable problème, c'est que le secteur culturel, aussi bien les festivals que les institutions, les entreprises du secteur, ne vont pas redémarrer parce que les gens n'iront plus dans les institutions culturelles. Ils ne pourront plus y aller puisqu'il ne pourra plus y avoir un public aussi nombreux. C'est tout le modèle économique de la culture qui est à revoir. Par exemple, si on prend le cas des musées. On sait que là, il ne va plus être possible d'accueillir dans les grands musées autant de monde qu'on en avait jusqu'à présent. Le président nous dit : il faut ouvrir les musées. Il ne nous dit pas comment on va cibler les publics pour pouvoir avoir moins de monde et qui respecte les distances de sécurité. Si on laisse les établissements faire tout naturellement, ils vont se dire : on doit combler notre déficit, on va essayer d'avoir des gens qui vont payer des billets, peut-être augmenter le prix des billets. Ce qu’il faudrait faire, c'est se concentrer, par exemple, sur les jeunes, sur les publics qui ne vont pas d'habitude au musée. Il faut donc avoir une véritable politique en direction de ces publics, plutôt que de simplement laisser les établissements faire.

Quand le chef de l'État dit faire appel à l'invention de nouvelles formes d'interaction avec les publics, est-ce que cela signifie qu'il demande à chacun de faire un peu sur mesure ? Peut-on dire que l’État ne peut pas tout ?

Le problème, c'est que j'ai eu l'impression, en l'écoutant, qu'il avait plus de questions que de réponses. Ce que les artistes, les professionnels de la culture et du patrimoine attendaient, c'était des réponses. C'était surtout un engagement de l'État. Je l'ai beaucoup entendu se reposer sur les collectivités locales. Elles font un énorme travail de financement de la culture. En ce moment, elles savent très bien qu'elles doivent assurer des financements budgétaires, c'est-à-dire des subventions pour permettre aux festivals, aux établissements de passer ce cap qui va être très douloureux. Là, le président n'a pris aucun engagement sur des subventions, c'est-à-dire des ressources budgétaires de l'État qui soient stables, pérennes et sur lesquelles tout le secteur puisse s'appuyer pour passer ce cap. Sur le numérique, on est, en ce moment, dans une période où les grandes entreprises du numérique, qu'on appelle les GAFAM, sont en train de profiter comme des vautours de cette pandémie et de ce confinement. Pour elles, ce n'est absolument pas la crise. Ce qui risque de se passer dans le secteur de la culture comme dans d'autres, c'est d'accentuer la concentration dans les mains de ces énormes entreprises du numérique de toute la richesse créée par les acteurs culturels. Les films, les séries, mais aussi les livres dans les pattes d'Amazon. C'est le danger pour la diversité culturelle, en France et en Europe.

Comprenez-vous la défiance des Français envers le pouvoir ?

Je la comprends parce que jusqu'à présent, il faut dire que ça fait deux mois qu'on a l'impression d'être un peu promenés de discours en discours. On nous a promis des masques, des tests, etc. Finalement, les gens ont eu l'impression que rien n'était prêt face à cette pandémie. Il y a donc une grande défiance. C’est pourquoi on attend aujourd'hui des mesures très simples, mais très concrètes, très précises et très pragmatiques. Ce n'est pas du tout ce que j'ai entendu dans le domaine de la culture.

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