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Meetings annulés, candidats confinés, visioconférence... Quand le coronavirus contamine la campagne des élections municipales à Crépy-en-Valois

Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
L'entrée de la commune de Crépy-en-Valois (Oise), le 28 février 2020. (MARTIN BUREAU / AFP)

A dix jours du premier tour du scrutin, deux des huit têtes de liste de cette commune de l'Oise sont confinées chez elles. Dont le maire sortant, contraint de gérer les affaires depuis son domicile.

La dame de la préfecture à Beauvais a toujours gardé son écharpe sagement enroulée autour du cou. Sauf quand le tour de Crépy-en-Valois est arrivé. Elle s'est alors empressée de la mettre devant sa bouche. "Sympa comme manière de dire bonjour", plaisante Alain Aubigny. Ce lundi 2 mars, le candidat du Rassemblement national pour les municipales de cette commune de l'Oise ne s'attendait pas "à ce genre d'accueil" au moment de faire valider son matériel électoral, comme la loi l'y oblige. Egalement présent dans la salle Vasarely, le sans étiquette Arnaud Foubert a lui aussi ressenti "un murmure très audible" dans les rangs.

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C'est ainsi : les 15 000 habitants de Crépy-en-Valois sont devenus persona non grata à peu près partout où ils passent depuis que le Covid-19 a toqué à la porte de leur ville, et de leur département où le virus a déjà contaminé 64 personnes, selon le ministère de la Santé. Pour éviter la propagation de l'épidémie, les autorités ont donc finir par interdire "jusqu'à nouvel ordre tous les rassemblements." 

"Dès que ça nécessite un déplacement, c'est fichu"

Les agendas se sont alors vidés d'un coup. Les 33 conseillers municipaux de la ville, située à 36 minutes de Paris en TER, parleront par exemple une autre fois de la réhabilitation du gymnase Ramon et de la mise aux normes de la salle Bernard Kindraich : le conseil municipal, le dernier du mandat, qui devait se tenir mercredi 4 mars à 21 heures, est annulé. Et c'est certainement mieux ainsi : le maire n'aurait de toute façon pas pu l'animer. Bruno Fortier est en effet confiné chez lui depuis le 28 février... après avoir lui-même été testé positif au coronavirus. "C'est une histoire de dingue, souffle l'édile que franceinfo a joint par téléphone. Je suis porteur de cette cochonnerie, mais je ne suis pas du tout malade. Là, en vous parlant, je me sens bien, je n'ai mal nulle part". 

Qu'importe : Bruno Fortier, qui brigue un deuxième mandat, a interdiction formelle de sortir de chez lui jusqu'au 14 mars inclus, c'est-à-dire jusqu'à la veille du premier tour des municipales. "Que voulez-vous que je vous dise ? Je ne vais pas faire campagne depuis ma maison", lâche l'élu, qui a aussi l'obligation de porter un masque. 

 

Bruno Fortier, maire de Crépy-en-Valois (Oise), joint au téléphone par France 3, le 2 mars 2020. (FRANCE 3)

Les trois réunions publiques que l'équipe sortante avait prévu d'animer la semaine prochaine ont toutes été annulées. Même celle consacrée à la réhabilitation de la collégiale Saint-Thomas, pourtant "l'un des gros chantiers" du mandat. 

Coincé à son domicile, Bruno Fortier explique s'adapter "au jour le jour". Les courses, c'est sa fille qui s'en occupe. Il gère sa ville par téléphone avec ses adjoints. Enfin, ceux qui sont encore libres de leurs mouvements. Plusieurs membres de son équipe rapprochée ont en effet à leur tour été priés de rester chez eux. "Comme je fais partie de son cercle et que je l'ai vu régulièrement ces derniers temps, on m'a demandé de ne pas bouger de la maison, raconte, interloqué, Claude Legouy, l'adjoint en charge des finances. En attendant, je prends le relais des choses dont je peux m'occuper. Mais dès que ça nécessite un déplacement, c'est fichu."

Au lieu de parler aux habitants, je me retrouve à prendre ma température plusieurs fois par jour. Je vais d'ailleurs le refaire une fois que j'aurai raccroché avec vous.

Claude Legouy

à franceinfo

Le maire sortant n'est pas la seule tête de liste de Crépy à faire les cent pas. Philippe Pinilo, candidat sans étiquette, a lui aussi été contraint de rester sagemement à la maison jusqu'au 4 mars. Une mesure de précaution prise même s'il ne présentait pas de symptômes. C'est lui, en tant que médecin généraliste de la commune, qui avait délivré l'arrêt de travail de la première victime de nationalité française du coronavirus, ce professeur de 60 ans qu'il comptait parmi ses patients, mort fin février à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. 

Et pour Philippe Pinilo aussi, ce sont des amis, voire des patients, qui le "ravitaillaient" en vivres, explique-t-il à franceinfo. Quant à la campagne, son équipe a continué de travailler presque normalement, et lui se tenait à disposition "en conférence visio". Une "découverte originale", dit celui qui vit sa première campagne en tant que tête de liste.

"On ne serre les mains de personne"

Même s'ils sont (encore) autorisés à se déplacer à droite et à gauche, les six autres candidats en lice de Crépy-en-Valois ont parfois du mal parfois à "être à fond". L'ancien maire sans étiquette Arnaud Foubert avait par exemple prévu "deux meetings avec plusieurs dizaines de personnes" : rideau. Il a également fallu appeler l'imprimeur en catastrophe pour qu'il stoppe la production de 10 000 tracts que son équipe devait notamment distribuer près de la gare. A oublier aussi, les traditionnelles déambulations sur le marché, entre les pommes et les poireaux. 

Un marchand de fruits et légumes porte un masque sur le marché de Crépy-en-Valois (Oise), le 1er mars 2020. (FRANCOIS LO PRESTI / AFP)

Arnaud Foubert n'a pas voulu tout arrêter "non plus". "On a eu une réunion avec les colistiers pour voir ce qu'on pouvait faire, confie celui qui a géré la ville entre 2008 et 2014. Le mot d'ordre qui revenait, c'était qu'il fallait s'adapter, en mettant par exemple le paquet sur les réseaux sociaux." Quant aux opérations de porte-à-porte qui ont été maintenues, des mesures de précautions ont été prises : "On ne serre les mains de personne", "on ne fait pas de bises", "on se tient à quelques mètres les uns des autres", "on ne reste pas longtemps".

Une campagne où on vous interdit de serrer les mains, c'est lunaire. C'est la base normalement.

Arnaud Foubert, ancien maire de Crépy-en-Valois

à franceinfo

Même vigilance dans les rangs du candidat divers-gauche Pierre-Marie Jumeaucourt. "Comme discuter avec les gens n'est pas encore interdit, on continue d'aller au contact. En revanche, on ne s'approche pas trop près, un ou deux mètres, pas plus", détaille le cheminot qui a lui aussi été contraint d'annuler une réunion publique dimanche 1er mars. 

Capture d'écran d'une publication annonçant l'annulation d'un débat public dans le cadre des municipales à Crépy-en-Valois (Oise), le 28 février 2020. (FACEBOOK / CREPY SOLIDAIRE ET CITOYENNE)

"L'impression de jouer au médecin"

Tous les candidats joints par franceinfo refusent "catégoriquement" de faire du coronavirus un thème de campagne. "Je me vois mal aller crier tout haut que c'est de la faute de la municipalité en place, alors que le maire est confiné chez lui", commente le candidat du Rassemblement national, Alain Aubigny. L'ancien maire Arnaud Foubert acquiesce : "Ce serait en effet bien mal venu de profiter de la situation pour taper sur un adversaire". 

Humainement, vous auriez l'air d'un salopard d'égratigner le maire en ce moment.

Arnaud Foubert, ancien maire

à franceinfo

Ça n'empêche que le coronavirus s'est de fait imposé dans les discussions avec les Crépynois. "C'est vrai que j'ai parfois l'impression de jouer au médecin, admet Arnaud Foubert. Les gens me posent des questions sur le virus, sur la situation, sur les dangers. Mais moi je ne suis pas médecin, je suis directeur des études à la Caisse des dépôts et consignations." Comme ses adversaires, il se contente de "rappeler les bons conseils", de "ne pas semer le panique." A vrai dire, personne n'a souvenir d'être tombé sur des électeurs "complètement affolés". "Globalement, je les trouve sereins, assure le RN Alain Aubigny. J'ai même l'impression qu'ils sont les premiers à regretter qu'on ne puisse pas aborder les vraies questions qui devraient préoccuper la commune." 

Certains, comme le président des maires de l'Oise, estiment d'ailleurs qu'un report de l'élection "ne serait pas quelque chose de si farfelu." "Disons que je trouverais cela plus raisonnable qu'on puisse décaler le scrutin de trois ou quatre semaines, explique calmement Alain Vasselle, qui a glissé l'idée à l'oreille du préfet de l'Oise.

J'ai rappelé au préfet que les mesures exceptionnelles que les autorités ont prises courent jusqu'à la veille du premier tour. Mais s'il faut les prolonger, on fait comment ?

Alain Vasselle, président des maires de l'Oise

à franceinfo

Pour le moment, les électeurs de Crépy-en-Valois sont bel et bien attendus dans l'isoloir, dimanche 15 mars, pour le premier tour. Néanmoins, selon nos informations, la préfecture de l'Oise étudierait la possibilité d'aménager le scrutin, en regroupant plusieurs des 14 bureaux de vote, s'il manque des présidents ou des assesseurs par exemple. "On navigue au jour le jour, résume un adjoint. La mairie est fermée depuis plusieurs jours, et la moitié du personnel est actuellement confinée. On va sérieusement avoir besoin de bras."

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