Micro européen. Covid-19 : l’apocalyptique réalité espagnole
La réalité espagnole face au coronavirus et les conséquences d’une classe dirigeante "quichotesque". Notamment à Madrid et Barcelone, deux villes qui manquent de masques et de blouses. Une situation pire qu'en Italie.
Si le pouvoir central espagnol fait face à la lutte contre le Covid-19, c’est toujours le divorce entre l’Espagne et les provinces. Il faut dire que la chose est bien difficile. Le gouvernement espagnol, comme tous les gouvernements, possède un ministère national de la Santé, mais l’autonomie des provinces espagnoles ont dans leurs escarcelles la politique de santé au niveau régional.
Un système sanitaire privatisé à Madrid et à Barcelone dans les années 2000
À l’heure où sont écrites ces lignes, il se peut que le nombre de décès en Espagne dépasse, hélas, les 10.000 morts, mais pour autant, rien ne sera réglé. Comme il est de coutume de dire dans la langue française, les uns et les autres "se renvoient la balle", quand les uns réclament du matériel, les autres accusent le pouvoir central. Quant aux Catalans, ils affirment que s’ils étaient indépendants, les choses iraient bien mieux.
Mais comme l’explique notre invité, Jose-Luis Rubio Rojo, il ne faut pas oublier que durant la crise des années 2000, autant dans la province de Madrid que dans celle de Barcelone, donc la Catalogne, les réformes en matière sanitaire passaient par une forte privatisation, dont on connaît le résultat aujourd’hui. Et même si aujourd’hui, épidémie oblige, le gouvernement central a repris les rênes sous la férule du ministère national de la Santé, les partis politiques d’opposition au gouvernement de Pedro Sanchez (socialiste) font montre des critiques les plus acerbes, en réclamant soit plus de clarté - ce qui n’est pas faux - soit le départ des actuels gouvernants qui dirigent, il faut le dire, avec une majorité bien faible.
Les "Espagnes"
Comme l’appelait l’écrivain et acteur Jose-Luis de Villalonga, il n’y a pas l’Espagne mais les "Espagnes". Aujourd’hui, les provinces le prouvent en mettant en accusation le gouvernement dans ses achats de matériel sanitaire et médical, soi- disant en favorisant telle province que telle autre. Et si le bilan est très lourd à Madrid comme à Barcelone, deux villes souvent opposées et en concurrence, d’autres villes sont touchées, telles Valence ou Vittoria, la capitale basque que les Basques appellent Gasteiz.
Face aux chiffres alarmants de cas confirmés de Covid-19 et de décès, la saturation des hôpitaux, la perte de médecins qui quittèrent le pays durant la crise, soit un nombre de 3 000, l’Espagne doit faire face à une situation apocalyptique, parce que pire qu’en Italie. À titre de comparaison, d’après un rapport de l’OCDE et de la Banque mondiale, pour 1 000 habitants, l’Allemagne dispose de 8,1 lit ; la France 6,1 ; l’Italie 3,2 ; l’Espagne 3 arrivant devant les États-Unis 2,8, et le Royaume Uni, 2,6. Hormis Madrid et Barcelone, quatre grandes régions riches, qui sont touchées parce que très peuplées pour des raisons d’emploi, Madrid, le Pays basque, la Catalogne et la Navarre.
Cette épidémie qui touche l’Espagne est, à l’image de bien d’autres exemples, le révélateur de situations passées et vécues, qui n’ont point été favorables à la bonne marche de certains états, et l’Espagne en est un exemple criant. Malheureusement, les Espagnols souffrent d’autant plus quand l’Espagne est fortement critiquée par des partenaires européens qui font, pour le moins, "la fine bouche", au pire sont "accusateurs", tels les Pays-Bas et l’Allemagne. Parce qu’en Espagne comme dans d’autres pays méditerranéens, l’attitude d’états membres du nord de l’Europe laisse un goût amer dans la gorge de ceux du sud, une nouvelle fois pointés du doigt.
"Tout ce que l’on croyait solide", un livre réquisitoire
Pour comprendre l’Espagne, et pas seulement le drame actuel vécu par ce pays, un ouvrage,Todo lo que era solido, Tout ce que l’on croyait solide, de Antonio Muñoz Molina a très bien décrit l’état de l’Espagne de la mort de Francisco Franco à la crise des années 2008 / 2010.
Ce livre est un réquisitoire contre la grave crise économique, politique et morale qui a ravagé l'Espagne. L’ultra-libéralisme des dirigeants espagnols après la dictature, la corruption des élites espagnoles, les délits d'initiés à foison, les hommes politiques liés aux grandes banques, l’abandon des modèles sociaux, la transformation des services publics qui devaient devenir "rentables", sans oublier le clientélisme.
C’est ainsi que l’Espagne se vit couvrir de grues faisant surgir de terre des villes nouvelles, des aéroports gigantesques, un nouvel aéroport pour Madrid, pas seulement à Madrid, sans oublier l’Expo universelle de 1992 à Séville. Bâtie sur l’île de la Cartuja, sur le fleuve Guadalquivir, l’exposition avait pour thème "L’Ère des découvertes" ; aussi célébration des 500 ans de la découverte de l’Amérique. Une fois l’exposition terminée, les bâtiments ultra-modernes des pays exposants furent offerts à la municipalité de Séville, et ils ont été laissés bien longtemps à l’abandon… Tout comme le million d’appartements et de maisons en possession des banques, puisque les propriétaires ne pouvaient plus assurer le paiement des crédits, c’était l’Espagne de la crise.
Une crise survenue après une "prospérité" espagnole virtuelle, où tout le monde pouvait s’enrichir, et une Espagne, qui durant l’après franquisme, avait continué l’expansion des constructions sur la côte méditerranéenne, détruisant totalement cette dernière, sans oublier les îles, surtout les Baléares, faisant fi de la préservation de l’environnement, accentuant une pollution générée par un tourisme de masse, aveugle et décérébré. L’aboutissement de ce drame est aujourd’hui l’état de misère et de délabrement des hôpitaux espagnols, où tout manque, à commencer par les blouses, puisqu’aujourd’hui, le personnel médical utilise aussi des sacs poubelles en guise de blouses.
Un devoir de mémoire occulté
Le vrai problème espagnol depuis le retour de la démocratie a été de la part des Espagnols un refus total d’un débat national, à savoir où en était l’Espagne. Depuis la seconde République, la guerre civile et les quarante années de franquisme, cette nouvelle Espagne a évité un retour sur son passé, le devoir de mémoire. Bien au contraire, elle s’est jetée à corps perdu dans ce qu’elle appelait la "modernisation", c’est-à-dire un plongeon dans une consommation à outrance coûte que coûte, si bien qu’à la venue de l’euro, l’Espagne était le pays de la zone euro qui connaissait la plus grande circulation de billets de 500 euros.
En fait de modernité, sans le courage au contraire de faire un état des lieux du pays, l‘Espagne a sombré dans une corruption à une échelle nationale, touchant aussi la famille royale, et voyant des ministres inaugurer des prisons dont ils allaient devenir plus tard les résidents. Ainsi, la crise économique et financière qui a appauvri le pays fait sentir ses effets aujourd’hui, une triste réalité face à l’épidémie de Covid-19, un pays démuni, où augmente le nombre de morts.
La limitation de l’activité économique au strict minimum
Afin de lutter contre l’épidémie, le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, a décrété la limitation de l’activité économique au strict minimum, s’attirant les foudres des provinces industrielles catalanes et basques ; le patronat espagnol ; quant au syndicat des locataires, il décrétait une “grève générale” du paiement des loyers, à partir du mercredi 1er avril, face l’augmentation irraisonnée des loyers en Espagne depuis plusieurs années.
Il faut signaler que Pedro Sanchez avait pris des décisions concernant les plus pauvres en Espagne, soit un déblocage de centaines de millions d’euros pour les locataires les plus affectés, ainsi que des crédits à taux zéro pour les travailleurs indépendants, les personnes au chômage technique, et des aides directes pouvant aller jusqu'à 900 euros pour les salariés devenus chômeurs par la fermeture de leur entreprise.
On le voit, le Premier ministre espagnol doit parer au séisme social, couplé au naufrage médical. Ce drame espagnol est, faut-il encore le répéter, la conséquence des actions ou non actions des classes dirigeantes d’avant la crise de 2008, qui n’avaient de but de considérer utile, nécessaire, voire primordial, ce qui ne l’était pas.
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