"Nous non plus, au début, on n'y croyait pas" : ces Italiens confinés à cause du coronavirus ont un message pour les Français
Une semaine avant les annonces d'Emmanuel Macron, c'est le gouvernement transalpin qui a demandé aux Italiens de rester sagement à la maison. Ce qui donne, de fait, quelques indices sur ce qui se profile dans l'Hexagone.
Si ça se trouve, on retiendra de cette étrange période qu'une bonne pâte et une bonne connexion internet suffisent à faire une bonne pizza. C'est toujours autour de 21h30 que Roberto Cighetti et ses amis se retrouvent sur Skype pour dîner. Lui dans sa maison en Lombardie (nord de l'Italie) et eux, 700 kilomètres plus au sud, dans la région de Naples. "C'est moins chaleureux qu'au restaurant du bout de la rue, il n'y a pas le contact physique, il n'y a pas toutes les odeurs, concède le trentenaire, mais ce n'est pas si mal en vérité. Si tu te prends au jeu, tu peux avoir l'impression que tes amis sont là, autour de la table."
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Roberto Cighetti et sa petite bande ont appris à faire avec. Ou plutôt à faire sans, d'ailleurs. Toute l'Italie est placée à l'isolement depuis le 9 mars, dans l'espoir de stopper la propagation de l'épidémie de coronavirus qui a déjà fait plus de 4 000 morts dans la péninsule.
De Turin à Venise, de Milan à Catane, les soixante millions d'Italiens sont priés de rester chez eux au moins jusqu'à début avril. "Isolamento", "isolamento", répètent en boucle les autorités du pays.
Une semaine plus tard, dans une allocution solennelle, lundi 16 mars, Emmanuel Macron a demandé à son tour aux Français de rester chez eux. Une surprise ? Pas vraiment. Il suffit de regarder les courbes des deux pays pour comprendre les similitudes.
Sans forcément aller jusqu'à engloutir une blanquette de veau par écran interposé avec tonton ou mamie, il y a forcément des choses à apprendre de ce que vivent nos voisins italiens. "Le confinement, vous allez voir, on s'y fait à force", promet Roberto Cighetti. "Tutto andra bene (tout ira bien) !", dit-il avec un grand sourire, ou presque.
"On pensait voir la fin et en fait non..."
Un siècle semble s'être déjà écoulé depuis le 23 février, quand nous l'avons contacté la toute première fois. A l'époque, les premiers cas de Covid-19 se comptaient encore sur les doigts de la main dans sa petite ville de Codogno. A l'époque, il notait que "la traditionnelle messe dominicale était annulée". Le signe, selon lui, que ça n'allait "vraiment pas fort". Un mois plus tard, il décrit une ville déserte. Lui, par exemple, n'est pas sorti depuis une semaine. Privé de sortie, de café, de foot… Rien ou presque n'est autorisé. Les courses, OK. Les rendez-vous médicaux, OK. C'est tout. Après dix jours de confinement, Roberto Cighetti promet qu'il y a pourtant largement de quoi s'occuper.
Le piège, c'est de croire qu'on ne peut rien faire, que le temps s'arrête. Si vous pensez comme ça, ce n'est pas bon. Il y a souvent possibilité de s'adapter.
Roberto Cighettià franceinfo
Professeur de sciences naturelles et d'anatomie, il continue de donner des cours à ses lycéens en visioconférence. Une heure le mardi, deux heures les mercredi, vendredi et samedi, et trois le jeudi. D'ailleurs, il prend goût à partager son quotidien sur les réseaux sociaux, comme des preuves pour plus tard, quand tout sera rentré dans l'ordre. Il profite également de cette période pour "accomplir des choses qu'on n'a jamais le temps de faire". Chez lui, on a enfin sorti les pinceaux pour repeindre la maison, nettoyer le jardin, tailler le bois. Bref, "essayer de vivre comme si c'était normal".
Il y a aussi une réalité, que Roberto Cighetti ne veut "surtout pas" pas cacher : pas toujours facile de ne pas craquer quand on vous demande de rester enfermé. L'annonce du confinement général a été "dure à accepter" pour lui. "On pensait voir la fin, et en fait non, c'était reparti…"
"Des petites phases un peu 'bof' dans la journée"
Personne ne semble à l'abri d'un petit coup de mou, pas même les sportifs de haut niveau, pourtant taillés pour supporter le stress et affronter l'adversité. Pas plus tard que mardi, la basketteuse française Sandrine Gruda a dû réconforter une coéquipière slovène en larmes au téléphone. "Elle était à bout, elle a craqué, lâche la pivot de l'équipe de France et de Schio, près de Venise. La situation devient compliquée pour elle, loin de son pays et de ses proches. J'ai tenté de l'apaiser, mais ce n'est pas évident car je ne peux pas lui rendre visite."
Coincé dans son appartement de Trente, le volleyeur français Jenia Grebennikov a aussi parfois l'impression que les minutes sont des heures. "Vous verrez, les trois ou quatre premiers jours, ça repose le corps, explique le Breton à franceinfo. Bon, après neuf jours, ça commence à peser. J'ai des petites phases un peu 'bof' dans la journée."
Tu te demandes ce qui va se passer, s'il y aura assez à manger.
Jenia Grebennikovà franceinfo
Heureusement, dit-il, "ça ne dure jamais longtemps". "Tu te rappelles vite qu'il y a bien pire dans la vie que d'être bloqué dans un appartement en Italie." Pour combler le vide, le libéro fait le ménage, regarde Netflix et trie la paperasse qui traîne depuis des lustres sur le bureau. Entre deux coups de balai, il prend aussi le temps de charrier ses coéquipiers sur WhatsApp, même si certains habitent le même palier que lui. Du côté de la préparation physique, "c'est vite vu", rigole le volleyeur. Les packs d'eau font office d'haltères, et point barre. Car manque de chance : ses ballons de volley sont tous dégonflés.
Elle aussi privée de ballon pour un moment encore, Sandrine Gruda se dit "épatée" par les marques de solidarité qui se manifestent du nord au sud de la "botte". Les notes de musique échappées des balcons résonnent encore dans sa tête. "C'est émouvant de voir ce monde chanter à sa fenêtre pour remercier les soignants, les gens qui se mobilisent… Les Français devraient chanter La Marseillaise."
"Mais rentrez chez vous !"
Pour le moment, Jenia Grebennikov demande surtout à ses proches qui habitent en France de rester à la maison et d'écouter les consignes des autorités. "Je les appelle pour leur dire que c'est du sérieux, qu'il faut se protéger et protéger les autres, insiste le volleyeur. Quand j'ai vu les images des gens dans les parcs le week-end dernier à Paris, j'étais un peu dépité. J'avais envie de leur dire : 'Mais rentrez chez vous ! Plus vite c'est fait, mieux ce sera pour tout le monde."
Nous non plus, au début, on n'y croyait pas. On regardait la Chine en disant que c'était incroyable ce qu'il se passait là-bas. Et puis, quelques jours plus tard, c'est arrivé chez nous. Vous avez vu maintenant ?
Jenia Grebennikovà franceinfo
Roberto Cighetti a parfois eu du mal à faire comprendre autour de lui l'importance des consignes. "Comme chez vous [en France], il y avait des gens qui pensaient que ce n'était rien, qu'on pouvait continuer à boire une bière dans un bar, à s'embrasser, à faire la fête. Comme ils ne voyaient pas ce virus, il n'existait pas. Il a fallu que la police intervienne pour sanctionner."
Daniele en a fait les frais dans les rues de Milan : il a écopé d'une amende de 206 euros. "Je me suis fait arrêter un soir vers 3 heures, explique-t-il, encore amer, à franceinfo. J'ai dit aux policiers que j'emmenais simplement un ordinateur portable chez mes parents, que je voulais installer le wifi et c'est tout. Ils m'ont dit que ce n'était pas une raison suffisante."
"Ce n'était pas nécessaire de nous critiquer ainsi"
Les carabinieri n'ont en revanche pas pu faire grand-chose quand des milliers d'Italiens ont cru bon de fuir le Nord pour le Sud, emportant avec eux le virus dans des régions jusque-là épargnées, et qui n'ont pas la même capacité de soins. En se pressant dans les couloirs de la gare Montparnasse pour quitter la capitale et rejoindre un univers plus calme et plus vert, ces derniers jours, les Français n'ont pas été guère plus inspirés.
Cette attitude a passablement agacé, de l'autre côté des Alpes, surtout après les propos tenus par Sibeth Ndiaye, mercredi 11 mars. Ce jour-là, la porte-parole du gouvernement déclarait, pour mettre en perspective la bonne gestion des autorités françaises, que "l'Italie [avait] pris des mesures qui [n'avaient] pas permis d'enrayer l'épidémie". Cette phrase, en réalité tronquée, est restée en travers de la gorge de beaucoup de Transalpins. A commencer par les soignants, en première ligne. "Je vais vous dire : on a pris ça pour une leçon de morale, raconte à franceinfo un médecin basé à Milan. Ce n'était pas nécessaire de nous critiquer ainsi. Surtout, était-ce le bon moment, franchement ?"
De l'autre côté des Alpes, les médias ont même fini par se demander si la France n'avait pas manqué un peu d'humilité à l'égard de l'Italie. "Si on veut être honnête, je crois que oui, ose admettre Olivier Bouchaud, le chef du service des maladies infectieuses et tropicale à l'hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis).
Je pense qu'on vit sur l'idée que le système de santé français est un système particulièrement performant. Ça a longtemps été vrai, mais ça l'est moins depuis qu'on a imposé des restrictions très sévères en termes de lits, de personnels et de matériel.
Olivier Bouchaudà franceinfo
L'infectiologue fait d'ailleurs amende honorable. "Aujourd'hui, l'expérience italienne nous intéresse au plus haut point car elle est, disons, une sorte de copier-coller de ce qui attend la France. Elle nous est utile pour anticiper dans le meilleur cas possible pour éviter la saturation qui a 'planté' le service de santé italien. Ça nous fait gagner du temps et ça nous fait penser à des choses auxquelles on n'aurait pas pensé tout de suite forcément." Avant de reprendre son service, il conclut ainsi : "Leur expérience pourrait nous éviter des morts."
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