Comment les menaces et les violences visant les élus se sont aggravées depuis l'instauration du pass sanitaire
Depuis la mise en place du pass sanitaire, les intimidations voire les actions violentes visant des élus se sont multipliées. Une frange radicale des opposants au pass et aux vaccins contre le virus du Covid-19 n'hésite plus à passer à l'action.
"Vous allez mourir. Coup de couteau, décapitation, lance-roquette, arme à feu, bombe, peu importe comment on vous tuera, vous allez vite comprendre que notre liberté, il ne fallait pas y toucher." Quelque 52 élus, dont la députée LREM de Haute-Saône Barbara Bessot-Ballot, qui a témoigné sur France 3 Bourgogne-Franche-Comté, ont trouvé cette menace de mort dans leur boîte mail à la fin du mois de décembre 2021. Pour le député LREM de la Manche Bertrand Sorre, qui a lui aussi reçu ce message, cela ne fait aucun doute : "Il s'agit de menaces liées aux mesures sanitaires prises récemment", assure le parlementaire à franceinfo.
"J'ai un arsenal de guerre chez moi et tu seras directement visé, peu importe où tu te trouves..." "Un jour tu ne seras plus député, plus de protection, c'est là que nous frapperons, toi ou ta famille, tes enfants, à un moment où tu ne t'y attends pas..." "J’irai te mettre ta balle après t’avoir démoli les genoux pour que tu saches ce qu’est le mal..." Les messages de menaces, reçus par des députés et transmis à la police, que franceinfo a pu consulter, sont glaçants.
La violence des mots, mais aussi des actes. Le député LREM de Saint-Pierre-et-Miquelon Stéphane Claireaux, a été agressé à son domicile, le 9 janvier, lors d'une manifestation contre le pass sanitaire. "J'attendais les manifestants afin de pouvoir discuter avec eux, a raconté l'élu. Il y avait une voiture qui était chargée d'algues, de goémon, et les gens ont commencé à m'en lancer à la figure. Cela ressemblait à une lapidation." Cette agression a secoué la classe politique. En déplacement à Nice, Emmanuel Macron a regretté lundi "l'intensification des violences" contre les élus. Dans un contexte politique de plus en plus tendu, notamment par les débats en cours au Parlement sur la transformation du pass sanitaire en pass vaccinal, la menace est prise très au sérieux par les autorités.
Des violences en hausse de 47% en 11 mois
"Il y a toujours eu des élus menacés, mais pas dans de telles proportions", constate auprès de franceinfo Sonia Fibleuil, porte-parole de la police nationale. Ce type d'agissements est à l'initiative "d'activistes radicaux" du mouvement anti-pass, explique-t-elle. Au cours des onze premiers mois de 2021, les violences contre les élus ont augmenté de 47%, selon les données du ministère de l'Intérieur. Au total, 162 parlementaires et 605 maires ou adjoints ont été victimes d'atteintes volontaires à l'intégrité physique, confirme la place Beauvau à franceinfo. Plus de 300 plaintes ont été déposées par des élus ces six derniers mois, et, sur la même période, une quinzaine d'interpellations ont eu lieu, a annoncé Gérald Darmanin sur RTL, mardi. Des chiffres également confirmés à franceinfo par le ministère de l'Intérieur. Selon les données de la police nationale, plus de la moitié de ces menaces sont formulées sur internet.
"Une augmentation du nombre de menaces est apparue dès juillet 2021, ce qui correspond à la période de mise en place du pass sanitaire. Cela été relancé en décembre avec l'envoi de menaces de mort à l'encontre de députés."
Sonia Fibleuil, porte-parole de la police nationaleà franceinfo
Dès juillet 2021, le parquet de Paris a ouvert une vaste enquête sur ces menaces à l'encontre de personnalités investies d'un mandat public, à la suite d'un signalement du président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand, en application de l'article 40. Le Code de procédure pénale impose en effet à toute autorité ayant connaissance d'un crime ou d'un délit de le signaler à la justice. Début janvier, près de six mois après son ouverture, l'enquête porte sur 250 faits à l'encontre de 150 personnes visées, essentiellement des députés, confirme le parquet de Paris à franceinfo.
Le parquet de Paris ne traite cependant pas toutes les affaires. Au Havre (Seine-Maritime), le tribunal correctionnel a condamné le 5 janvier un homme à quatre mois de prison ferme pour avoir appelé sur internet à tuer des députés. "Je veux tuer un député. Je veux voir du sang...." : derrière ces menaces explicites, un étudiant âgé de 19 ans fréquentant les forums du "dark web". Le message avait été posté la veille du débat portant sur le pass vaccinal. Durant, son procès, le jeune homme a nié toute politisation, relate le procureur adjoint du Havre à franceinfo.
"Il est nécessaire de sévir, au regard de la multiplication de ces affaires.""
Cyrille Fournier, procureur adjoint du Havreà franceinfo
Certains appels à l'action violente sont aussi repérés sur des forums par les services de renseignement. Les enquêteurs de la police judiciaire comptent alors sur les erreurs commises par les internautes dissimulés derrière des pseudonymes et sur la coopération des géants américains du numérique pour obtenir des informations permettant d'identifier les suspects, précise la police nationale à franceinfo. L'identification de l'étudiant jugé au Havre a pu être réalisée après un signalement sur la plateforme Pharos, et ce malgré la présence d'un VPN (un réseau privé virtuel).
Des anti-pass "radicalisés" aux profils "hybrides"
Il reste difficile de dresser le portrait-robot de ces anti-pass "radicalisés" à l'origine de menaces. "Il s'agit d'un large mouvement qui arrive à agréger, autour d'une colère, des profils très différents, pointe Sonia Fibleuil. "Ils viennent à la fois des pro-Raoult, de l’extrême droite complotiste, des 'gilets jaunes' et des extrêmes gauches", précise une source policière à franceinfo.
"On fait face de plus en plus à des profils hybrides du fait d'une polarisation forte de la société."
Sonia Fibleuil, porte-parole de la police nationaleà franceinfo
Selon le chercheur Philippe Breton, docteur en sciences de l'information et de la communication et professeur émérite à l'université de Strasbourg, "le mouvement anti-vaccination lui-même est un mouvement très hétérogène". Mais les anti-pass et les anti-vaccination partagent une posture de "sécession", qui génère "de la radicalité violente". "Les barrières qui nous protègent de la violence civile se lèvent petit à petit", avec cette frange très radicale "convaincue qu'on veut l'écarter de la société".
"Lorsque l'on se met en rupture de la société, il y a un processus de déshumanisation de l'autre."
Philippe Breton, docteur en sciences de l'information et de la communicationà franceinfo
Du côté des cibles des menaces des anti-pass, on retrouve un rejet "de celui qui sait". "Leur cible, c'est la catégorie de l'élite, en fonction de l'actualité, on s'en prend d'abord aux médecins, puis aux députés. Pour eux, c'est la même figure", ajoute le chercheur. François Crémieux, nouveau directeur de l'AP-HM à Marseille, a été visé par des tags menaçants au domicile d'un homonyme début septembre 2021. Il a porté plainte pour "injures publiques envers chargé de service public" et "menace de crime ou délit contre les personnes ou les biens à l'encontre d'un chargé de mission service public". Le directeur de l'institution, qui tente au quotidien de sensibiliser sur le sujet de la vaccination, raconte à franceinfo avoir pris ces menaces au sérieux. "Je pense que ce sont des faits graves, au même titre que lorsqu'ils se produisent sur des soignants ou des parlementaires."
Le député Bertrand Sorre a quant à lui porté plainte contre X fin décembre 2021 pour "menace de mort'". L'élu est confronté à la difficulté d'identifier les auteurs de menaces, ce qui est souvent le cas lorsque ces dernières interviennent en ligne. Le parlementaire voit dans le phénomène une mise en danger de la démocratie. "Ils cherchent à installer une petite musique de peur pour faire changer les votes, mettre en place une tension, dénonce l'élu. Avec ces menaces, ces anti-pass essayent d'instiller l'idée que l'on va être agressé si l'on vote telle ou telle mesure sanitaire."
Dépôt de plainte systématique et surveillance
Depuis fin novembre, une référente de l'Assemblée nationale est chargée d'accompagner les élus dans leurs démarches et le dépôt de plainte systématique est encouragé. "Face à la multiplication des menaces et violences contre les députés, l'Assemblée se constituera partie civile à leurs côtés", a annoncé Richard Ferrand (LREM), dans Le Monde, mercredi. Le président de l'Assemblée nationale a rencontré, la veille, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, et le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin. Les créations d'un recensement spécifique des atteintes aux élus et d'une "cellule bicamérale" (Assemblée et Sénat) de suivi de la situation pour "avoir un tableau de bord commun" ont été discutées, relate le président de l'Assemblée dans Le Monde.
Pour faire face à ces menaces, le ministère de l'Intérieur confirme à franceinfo la mise en place d'un éventail de mesures. Parmi elles, l'inscription des adresses des permanences et des domiciles des élus dans le fichier Sécurisation des interventions et protection (SIP), sur demande des élus. Le 29 décembre 2021, Gérald Darmanin avait déjà appelé les préfets à augmenter la surveillance de ces lieux. Les élus seront davantage accompagnés vers les dépôts de plaintes et une sensibilisation de ces derniers à la gestion du conflit et au rétablissement du dialogue se développe avec des négociateurs du Raid, détaille la porte-parole de la police nationale à franceinfo.
Au-delà des mesures sécuritaires, le chercheur Philippe Breton voit dans ce climat d'animosité la nécessité de maintenir le débat démocratique. "La sécession, c'est avant tout une rupture du dialogue."
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