: Récit Coronavirus : le jour où Emmanuel Macron a failli reporter les élections municipales
Face à la propagation du coronavirus Covid-19, le chef de l'Etat a sérieusement envisagé, jeudi, de reporter les élections municipales. Faute de consensus politique, il a été contraint de faire marche arrière. Franceinfo vous raconte les coulisses de cette folle journée.
"Françaises, Français, mes chers compatriotes..." Il est 20 heures à l'Elysée quand Emmanuel Macron prend la parole en direct depuis le Salon doré, situé au premier étage du palais présidentiel. Le ton grave, la mine concentrée, le chef de l'Etat s'apprête à s'exprimer sur l'épidémie de coronavirus qui ne cesse de progresser en France et dans le monde. Près de 25 millions de téléspectateurs l'écoutent devant leur poste de télévision. Que va annoncer le président ? Depuis plusieurs heures, les rumeurs sur un éventuel report des municipales vont bon train.
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Les premières mesures annoncées par le président ne sont guère encourageantes : fermeture de tous les établissements scolaires et universitaires, recours au télétravail encouragé, les personnes de plus de 70 ans appelées à rester chez elles... Mais le président assure que le premier tour "se tiendra" puisque selon les avis reçus auprès de scientifiques, "rien ne s'oppose à ce que les Français se rendent aux urnes".
Il est important en ce moment, en suivant l'avis des scientifiques comme nous venons de le faire, d'assurer la continuité de notre vie démocratique et de nos institutions.
Emmanuel Macron
L'Elysée hésite toute la journée
Le chef de l'Etat aurait pourtant pu dire l'exact opposé. Il aurait même souhaité le dire, selon les informations recueillies par franceinfo. Jeudi matin, rien ne laisse cependant présager du dilemme auquel va être confronté Emmanuel Macron. Son Premier ministre réunit dans la matinée les chefs des partis, les présidents des Assemblées et des groupes parlementaires ainsi que les présidents des associations d'élus. Au menu du jour : un "point de situation" sur l'épidémie et les mesures prises par la France.
Dans un souci de transparence, je réunis ce matin les présidents des Assemblées, des groupes parlementaires, des associations d'élus et les chefs de parti pour un point sur la situation sanitaire du pays et les mesures prises par le Gouvernement pour faire face au #coronavirus. pic.twitter.com/sorG3R5apZ
— Edouard Philippe (@EPhilippePM) March 12, 2020
A la sortie, Marine Le Pen tempête devant les caméras – "Nous n'avons eu aucune réponse aux questions posées (...), c'était une réunion décevante" – tandis que Jean-Luc Mélenchon s'en remet à "la mobilisation sociale". Mais des municipales, il n'en est point question. Le sujet n'est pas abordé et la ligne reste la même depuis le début de la crise : les municipales sont maintenues.
Du côté d'Emmanuel Macron, on consulte à tout va. Après une réunion dans la matinée avec le ministre de la Santé, Olivier Véran, il rencontre les acteurs du conseil scientifique afin de nourrir son discours du soir. Le chef de l'Etat déjeune ensuite avec les responsables habituellement présents au conseil de défense sur le coronavirus. C'est là que le président aurait mesuré l'ampleur de la crise. "L'exécutif, qui a écouté les scientifiques, change de doctrine", raconte Les Echos. Il faut prendre des mesures de confinement drastiques pour ne pas connaître une situation à l'italienne. Fermer les écoles, encourager le télétravail mais maintenir les élections ? Cela n'a pas beaucoup de sens aux yeux du chef de l'Etat. "Il décide de reporter le scrutin pour circonstances exceptionnelles, avertit ses ministres, commence à consulter experts juridiques et politiques, et annonce sa décision aux scientifiques", écrit le quotidien économique.
Quand un article du "JDD" met le feu aux poudres
Nouvelle preuve que cela s'agite en coulisses : à 13h30, la presse est informée qu'Edouard Philippe annule son dernier meeting de campagne au Havre prévu dans la soirée. "Compte tenu de l'évolution de la situation sur le coronavirus, Edouard Philippe va être mobilisé toute la journée à Matignon", fait savoir son entourage. Un premier signal qui fait planer une menace sur le maintien des municipales.
Dans l'après-midi, l'hypothèse d'un report de ces élections tient toujours la route. Nathalie Mauret, journaliste au bureau parisien du groupe Ebra, raconte aux "Informés" de franceinfo que la publicité pour les élections prévues dans les éditions de vendredi dans la presse quotidienne régionale est suspendue dans l'après-midi. La nouvelle ne s'ébruite pourtant pas... jusqu'à ce qu'un article du Journal du dimanche, publié à 15h49, mette le feu aux poudres. "Coronavirus : l'Elysée envisage maintenant le report des municipales", titre l'hebdomadaire.
INFO JDD. Coronavirus : l'Elysée envisage maintenant le report des municipales https://t.co/PFOdjXgnc2 pic.twitter.com/Cdr5p1C4Oa
— Le JDD (@leJDD) March 12, 2020
"Selon nos informations, le processus de consultation des présidents des deux chambres, à propos d'un report du scrutin, a commencé", écrit le JDD. Branle-bas de combat dans les rédactions qui se précipitent pour tenter de joindre Richard Ferrand et Gérard Larcher. Mais l'entourage du président du Sénat fait savoir à France 2 qu'il "n'a eu aucun contact avec le président Emmanuel Macron au sujet d'un éventuel report des municipales". Quelques minutes plus tard, nouvel épisode de cette journée : finalement, les deux plus hauts personnages de l'Etat conviennent d'un rendez-vous téléphonique en fin de journée. Sur les réseaux sociaux, les responsables LR commencent à s'agiter. "J'y suis totalement opposée", écrit sur Twitter Sophie Primas, sénatrice LR, en citant l'article du JDD. Le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau, fait part lui aussi de sa perplexité.
Si l'hypothèse d'un report des municipales se confirme, pourquoi le Premier Ministre nous a t-il dit l'inverse ce matin ? Pourquoi ne pas l'avoir anticipé plus tôt ? En tout état de cause, l'état d'urgence n'est pas approprié, il faudrait donc une loi.
— Bruno Retailleau (@BrunoRetailleau) March 12, 2020
LREM et Républicains sortent l'artillerie lourde
La droite est totalement opposée à ce report. "Dès que l'information fuite, la droite hurle au 'coup d'Etat'", raconte France Inter. A 17 heures, Emmanuel Macron appelle Gérard Larcher. "Sans rien dire de ses intentions, le président de la République a sondé celui de la Chambre Haute. Ce dernier a clairement exprimé son opposition au report des élections municipales, sans savoir s'il a été entendu, raconte Le Figaro. Si le chef de l'Etat prenait la décision de repousser le scrutin, les sénateurs ne manqueraient pas de faire connaître leur opposition." Christian Jacob, patron des Républicains et François Baroin, président de l'AMF (association des maires de France) sont sur la même ligne. Les autres partis ne semblent pas avoir été sollicités. "Personne ne nous a parlé de ça", indique à franceinfo Marine Le Pen qui aurait été favorable à un report. Selon nos informations, Jean-Luc Mélenchon non plus n'a pas été sollicité.
"Le président a ouvert toutes les hypothèses, y compris celle du report des élections, l'objectif majeur étant de limiter une éventuelle surpropagation du virus", confirme à franceinfo un responsable de la majorité qui regrette la posture des Républicains.
Larcher s'est roulé par terre, Retailleau, Abad et Woerth ont commencé à polémiquer.
Un responsable de la majoritéà franceinfo
Pourtant, la droite n'est pas la seule à plaider pour un maintien. Du côté des députés LREM, la ligne est identique. "Les députés LREM, dans leur écrasante majorité, étaient favorables au maintien des municipales. Ils l'ont fait savoir", confie à franceinfo un autre responsable de la majorité. "Les députés se sont appelés pour encourager à faire pression pour que ça remonte jusqu'au président", raconte une députée à franceinfo.
Tous ceux qui avaient des contacts ont fait remonter qu'il ne fallait pas reporter. Je l'ai fait également.
Une députée LREMà franceinfo
D'autres avaient même sollicité l'Elysée dès le matin, sentant le vent tourner. "Ils m'ont recontacté dans l'après-midi. J'avais interrogé les habitants de ma commune sur le sujet qui m'ont dit que cela va amener de l'abstention mais que si chacun fait attention, tout le monde peut y aller, rapporte un député macroniste. Annuler les élections maintenant, c'est trop tard."
Un maintien faute de consensus politique
Dans ces conditions, la partie s'annonce très mal engagée pour une annonce officielle de report. "Rien ne pouvait être décidé sans consensus", explique un député LREM. Surtout, affirment Les Echos, les Sages ne sont pas très partants. "L'exécutif consulte le Conseil constitutionnel pour tester sa réaction en cas de recours contre sa décision… La réponse met fin à l'opération : la juridiction ne le suivra pas forcément, elle ne donne aucune garantie", écrit le quotidien. Une information vivement démentie par le Conseil constitutionnel qui dans un communiqué affirme n'avoir pas été "consulté ou saisi" sur cette question.
"Je reconnais que la cohérence aurait été que l'on reporte les élections, mais il y avait une opposition trop forte du président du Sénat, et un président du Conseil constitutionnel suffisamment évasif pour que l'on ne prenne pas le risque", assure à franceinfo un poids lourd de la majorité. Selon ce dernier, il y avait aussi "deux gros problèmes juridiques", à savoir : "Est-ce que l'on rouvrait les inscriptions pour les élections ? Et quid des comptes de campagnes, des dépenses ?"
Emmanuel Macron était favorable au report des élections après avoir rencontré les différents médecins, les spécialistes. Mais il s'est heurté à des blocages institutionnels trop importants.
Un poids lourd de la majoritéà franceinfo
La suite est connue : Emmanuel Macron maintient les élections aux dates prévues. Peu de temps après l'allocution du président, Le Figaro indique que 64% des Français interrogés par l'institut Odoxa-Dentsu Consulting approuvent le maintien des élections municipales. Mais au sein de la majorité, on continue de s'interroger. "Rien ne pouvait être décidé sans consensus. Espérons que ça ne prête pas à conséquence", soupire un responsable politique.
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