Royaume-Uni : comment le variant Delta a perturbé (et reporté) le déconfinement
En février, le Premier ministre britannique avait dévoilé une feuille de route promettant pour le 21 juin la levée des dernières restrictions instaurées en Angleterre pour lutter contre l'épidémie de Covid-19. Mais c'était avant l'apparition du variant Delta.
Décaler pour mieux sauver. En Angleterre, la date du 21 juin devait marquer le "Freedom Day", le "jour de la liberté" retrouvée. Devant la presse lundi 14 juin, le Premier ministre britannique a annoncé avoir "pris la difficile décision" de repousser cette quatrième étape du déconfinement d'un mois, au 19 juillet. Pour justifier ce report, Boris Johnson a concédé être "très [préoccupé] par le variant Delta."
D'abord identifié en Inde, ce variant hautement contagieux est désormais dominant outre-Manche, représentant 96% des nouveaux cas en Angleterre. Alors que les autorités sanitaires anglaises avaient réussi à reprendre le contrôle sur la pandémie après que cette partie du Royaume-Uni a été terrassée cet hiver par un autre variant apparu sur son propre territoire, le variant Delta impose donc de faire marche arrière. "Il est plus contagieux, cause une forme plus sévère de la maladie et les vaccins sont moins efficaces contre lui", résume ainsi Mark Woolhouse, professeur d'épidémiologie des maladies infectieuses à l'université d'Edimbourg, cité par The Sun*.
Voici les raisons pour lesquelles ce variant, déjà présent en France à hauteur de 2 à 4% des tests, a contrarié le déconfinement en Angleterre.
Parce qu'une seule injection du vaccin ne protège pas suffisamment
Face à la Chambre des communes (lien en anglais), lundi soir, le ministre de la Santé britannique, Matt Hancock, avait une bonne et une mauvaise nouvelle à annoncer. La bonne : les vaccins administrés au Royaume-Uni sont efficaces face au variant Delta. La mauvaise : il faut avoir reçu les deux doses du vaccin pour être véritablement protégé. Selon des chiffres de Public Health England compilés par The Guardian*, le vaccin de Pfizer-BioNTech offre une protection de 88% contre une forme symptomatique du variant Delta, contre 93,4% contre une forme symptomatique du variant Alpha (le variant apparu en Angleterre). Dans le cas du vaccin d'AstraZeneca, cette protection passe de 66% à 60%. Or, après une seule injection d'un de ces deux vaccins, cette protection contre le variant Delta n'excède pas respectivement 36% et 30% – contre environ 50% contre le variant Alpha.
Ainsi, ce délai de quatre semaines doit permettre d'accélérer le programme de vaccination. Au total, "1,3 million de personnes de plus de 50 ans et 4,5 millions de personnes de plus de 40 ans ont reçu une première dose du vaccin, mais pas encore la deuxième", a détaillé Matt Hancock face aux députés. "Cette pause va sauver des milliers de vies en nous permettant de vacciner totalement la majorité des personnes avant la levée de davantage de restrictions".
Au début de son opération de vaccination, fin décembre 2020, l'Angleterre avait fait le choix d'espacer de 12 semaines la première et la seconde injection, afin de permettre au plus grand nombre de recevoir rapidement une première dose. "Ce délai de 12 semaines était la bonne stratégie à adopter tant que nous faisions face au variant Alpha, a défendu le docteur Stephen Griffin, professeur associé à l'école de médecine de l'université de Leeds, cité par le Science media center*. Mais il apparaît impératif que cette fenêtre soit réduite d'urgence." Ainsi, le ministre de la Santé a annoncé lundi la réduction de ce délai, de 12 à 8 semaines, pour les personnes âgées de plus de 40 ans. Objectif affiché par le ministère de la Santé : que 76% du total de la population adulte aient reçu deux doses d'ici le 19 juillet, contre 57% actuellement, détaille la BBC*.
Parce que le variant Delta est plus contagieux
Les travaux menés sur le variant Delta s'accordent à dire que ce dernier est bien plus contagieux que le variant Alpha : à hauteur de 60%. Cela lui a permis de s'imposer en quelques semaines sur l'ensemble du territoire britannique en lieu et place du variant Alpha, autrefois appelé "variant anglais", lequel était apparu dans le Kent. Ainsi, 90% des nouveaux cas identifié au Royaume-Uni correspondent désormais au variant Delta, tandis que le nombre de cas s'est envolé de 64% la semaine du 7 juin par rapport à la semaine précédente, a encore détaillé le ministre de la Santé devant la Chambre des communes.
Vendredi 11 juin, les autorités faisaient état de 8 125 cas de Covid-19 déclarés en une seule journée, renouant avec des chiffres comparables à ceux observés en février, alors que la campagne de vaccination n'en était qu'à ses débuts. Mais peut-on encore en déduire que cette hausse des contaminations va mécaniquement augmenter le nombre d'hospitalisations et de décès ? Pas forcément. "Tout l'intérêt de la vaccination est de casser le lien entre les cas, les hospitalisations et les décès", a rappelé le ministre Matt Hancock. "Ce lien est clairement moins fort aujourd'hui qu'autrefois. Cependant, cette dernière semaine, nous avons vu les hospitalisations augmenter, jusqu'à 50%", s'est-il inquiété. Même si le nombre de morts quotidien restait très faible, le variant Delta double le risque d'hospitalisation par rapport au variant Alpha, selon une étude relayée par The Guardian*.
Si l'on sait que les vaccins protègent très efficacement (plus de 90%) contre le risque d'hospitalisation, y compris avec le variant Delta, les personnes les moins vaccinées, plus jeunes, pourraient bien accentuer la pression sur les services de santé. "Alors que des millions de personnes ne sont pas encore vaccinées ou n'ont reçu qu'une dose, la plus grande transmissibilité du variant Delta signifie que le nombre d'admissions continuera d'augmenter", a réagi Raghib Ali, épidémiologiste à l'université de Cambridge, lui aussi cité par le Science media center*. Avec à l'appui, l'exemple du Chili, un pays qui, en dépit d'une couverture vaccinale semblable à celle de l'Angleterre, avait vu les hospitalisations croître avec l'émergence d'un variant plus contagieux, apparu au Brésil.
Pour le médecin-chef de l’Angleterre, Chris Whitty, le report de la quatrième étape du déconfinement vise donc à "réduire de manière significative" le risque de saturer les hôpitaux.
Parce que les mesures ont été insuffisantes pour lui faire barrière
Avant d'être rebaptisé variant Delta, cette version du Covid-19 était identifiée comme le "variant indien", en raison du pays dans lequel il a d'abord été observé. Pour l'opposition travailliste, le gouvernement a trop tardé à mettre l'Inde sur liste rouge, permettant aux voyageurs venus de ce pays de rejoindre la Grande-Bretagne. "La seule raison pour laquelle nous nous retrouvons aujourd'hui avec un report du déconfinement, c'est parce que les conservateurs n'ont pas su protéger les frontières du pays et ont permis à un nouveau variant venu de l'étranger de s'imposer, tout en échouant à mettre en place des mesures", a attaqué l'opposition travailliste par la voix de Jonathan Ashworth, invité de la radio LBC*.
Cité par Metro*, le travailliste Nick Thomas-Symonds a ainsi pointé le fait que l'Inde n'a été placée sur liste rouge que le 23 avril, tandis que le Pakistan et le Bangladesh l'ont été dès le 9 avril. Et le membre de l'opposition de blâmer le nombre de voyageurs venant de ce pays – historiquement lié au Royaume-Uni via le Commonwealth – et les ratés de la quarantaine imposée une fois sur le sol britannique. Alors que l'Inde figurait sur la liste "ambre", les quelque "20 000 voyageurs" en provenance d'Inde, et arrivés sur le sol britannique entre le 2 et le 23 avril, ont ainsi dû se confiner à domicile, au lieu d'être orientés vers des hôtels de quarantaine comme c'est le cas pour les pays sur liste rouge.
Des accusations rejetées par le ministre chargé de coordonner l’action gouvernementale, Michael Gove, invité de LBC mardi matin : "L'Inde a été placée sur liste rouge avant que le variant Delta ne soit un variant d'intérêt", a-t-il plaidé.
* Tous ces liens renvoient sur des contenus en anglais.
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