Covid-19 : comment la France peut-elle écouler les deux millions de doses du vaccin d'AstraZeneca qu'elle a en stock ?
Du fait d'une réputation quelque peu écornée, les doses fournies par le laboratoire anglo-suédois sont loin d'être toutes utilisées. Face à ce problème, les pistes pour le gouvernement français semblent peu nombreuses.
C'est une affaire dont l'exécutif se serait bien passé. Plus de deux millions de doses du vaccin d'AstraZeneca contre le Covid-19 dorment dans les stocks français et attendent d'être écoulées, a expliqué mardi 11 mai le Premier ministre, Jean Castex, lors d'une intervention au "20 heures" de France 2. Ce vaccin souffre d'une réputation ternie par le signalement de très rares cas de thromboses survenues après les injections, ainsi que par une moindre efficacité supposée face aux variants.
Son taux d'utilisation s'élevait à 56%, dimanche, contre environ 80-90% pour les vaccins de Pfizer et Moderna, a détaillé, lors d'un point-presse, le ministère de la Santé. Ce dernier concède qu'il y a encore une "assez forte marge de progrès" à réaliser concernant son utilisation, tout comme celle de l'autre vaccin à vecteur viral, produit par Johnson & Johnson. Si ce taux n'évolue pas, l'écart entre les nouvelles doses livrées et celles administrées pourrait encore se creuser. Face à ce problème, les solutions pour le gouvernement paraissent limitées.
Améliorer la communication autour du vaccin
Première piste : la pédagogie. Depuis plusieurs semaines, le gouvernement monte au créneau pour défendre le mal-aimé. Jean Castex a exhorté le 8 mai les quelque 13 millions de Français de plus de 55 ans qui n'ont pas encore reçu d'injection à le faire avec le produit du laboratoire anglo-suédois. "Je suis vacciné à l’AstraZeneca, comme des dizaines de millions de personnes dans le monde (...) ça protège contre les formes les plus graves de la maladie. Donc allons-y !", a-t-il répété le 11 mai sur le plateau de France 2.
L'argument peine à être entendu par les personnes concernées, inquiètes de développer des complications ou de bénéficier d'une protection moins avantageuse face aux variants. "Le meilleur moyen de combattre une défiance, c'est d'expliquer et de donner les outils à la population pour prendre une décision en connaissance de cause", affirme la médecin Anne Sénéquier, interrogée lundi par franceinfo.
"Quand on discute avec les patients, on peut leur redonner confiance dans un vaccin. On leur explique que c'est un vaccin qui est efficace à 90, 94%, et que en respectant les recommandations de la Haute Autorité de santé, en vaccinant les gens au-delà de 55 ans, il y a très peu de risques de thrombose, alors que les chances d'attraper le Covid sont beaucoup plus importantes", assure de son côté Jean-Paul Hamon, généraliste à Clamart (Hauts-de-Seine) et président d’honneur de la Fédération des médecins de France.
Après avoir tardé à se prêter à un tel exercice, le gouvernement cherche désormais à se rattraper. Fin avril, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a répondu aux inquiétudes des Français sur le sujet au cours d'une conférence de presse : "Si vous traversez l'Atlantique en avion" le risque de développer une thrombose "est 50 fois plus élevé que si vous vous faites vacciner par AstraZeneca". L'exécutif envisageait alors le lancement d'une campagne de communication, avec la participation de personnalités appréciées des Français.
Elargir les publics cibles
Permettre à une plus grande partie de la population de bénéficier du vaccin d'AstraZeneca pourrait a priori apparaître comme une autre piste. D'abord réservé aux moins de 65 ans, faute de données sur son efficacité chez les plus âgés, le vaccin a ensuite été élargi aux seniors, avant de se voir réserver seulement aux plus de 55 ans en raison de très rares cas de thromboses identifiés par les autorités de pharmacovigilance.
Face au problème des stocks non écoulés, l'Etat pourrait-il changer son fusil d'épaule ? Interrogé lundi sur la possibilité d'élargir le vaccin d'AstraZeneca aux moins de 55 ans, le ministre de la Santé a répondu : "Probablement non à l'heure actuelle." L'exécutif attendait sur cette question un avis de la Haute Autorité de la santé (HAS) qui, à la mi-mars, avait demandé au gouvenement de restreindre l'utilisation de ce vaccin aux plus de 55 ans seulement. Un avis réitéré mercredi. "La HAS maintient la limite d'âge", écrit-elle dans un communiqué.
L'idée de faire signer une "décharge" aux personnes vaccinées a été évoquée. Mais certains spécialistes n'y sont pas favorables, tel le médecin Jean-Paul Thierry. "Ça n'a aucune base juridique et c'est même plutôt contre-productif : c'est de nature à augmenter la suspicion vis-à-vis de ce vaccin", estime-t-il sur LCI. Pour Anne Sénéquier, il faudrait plutôt prévenir les volontaires des éventuels risques : "On a beaucoup évoqué la thrombose, mais on n'a pas assez communiqué sur ce que l'on peut faire pour éviter qu'elle arrive. Il faudrait plutôt informer les patients sur les potentiels symptômes pour lesquels il faut réagir très vite."
En Allemagne, les critères d'attribution du vaccin ont été élargis le 6 mai à toutes les personnes majeures, en dépit des rares cas de caillots sanguins identifiés chez de jeunes individus.
Ecouler les doses restantes à l'étranger
Si elles ne trouvent pas preneur en France, va-t-on inévitablement assister à un gaspillage de millions de doses ? Pour éviter une telle situation, la France pourrait essayer de les écouler à l'étranger, comme l'a fait avant elle le Danemark. Copenhague a décidé le 14 avril de se passer pour de bon du vaccin d'AstraZeneca avant d'annoncer, quelques jours plus tard, le "prêt" de 55 000 doses au Schleswig-Holstein, land allemand voisin. "Les doses de vaccin seront restituées selon une échéance qui a été convenue", a précisé le ministère des Affaires étrangères danois, cité par l'AFP.
Reste à savoir si d'autres pays de l'Union européenne seraient intéressés par un tel partenariat, car nombreux sont ceux qui ont limité les vaccinations avec AstraZeneca.
Par ailleurs, Emmanuel Macron a annoncé le 23 avril que la France donnerait d'ici mi-juin 500 000 doses de divers vaccins (dont celui d'AstraZeneca) au dispositif Covax soutenu par l'Organisation mondiale de la santé pour assurer un accès à la vaccination contre le Covid-19 aux pays les plus pauvres. Paris entend allouer plus de 5% de ses doses à cette initiative d'ici la fin de l'année, a précisé le chef de l'Etat.
Il est pour l'instant difficile de mesurer l'impact de cette mesure sur le stock de doses d'AstraZeneca dont dispose la France. Interrogé par franceinfo sur la possibilité pour le pays d'écouler davantage de doses via ce dispositif, le ministère de la Santé renvoie vers Bercy qui... recommande de questionner le Quai d'Orsay.
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