Efficacité, doses, conservation… Tout savoir sur les six candidats vaccins contre le Covid-19 déjà réservés par la Commission européenne
La Commission européenne multiple les contrats afin de disposer d'un large "portefeuille" de produits et d'anticiper d'éventuels revers lors des essais cliniques. Passage en revue de ces six candidats qui pourraient bientôt arriver en France.
L'Europe a sorti le carnet de chèques pour ne pas manquer de vaccins contre le Covid-19. Avec quelque 1,5 milliard de doses précommandées auprès de six laboratoires, l'UE se constitue "l'un des portefeuilles les plus complets au monde", s'est félicitée la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Des vaccins qui seront destinés notamment aux 448 millions de citoyens vivant sur le territoire de l'UE. Les premières doses pourraient être disponibles au début de l'année 2021, mais le feu vert doit être donné par l'Agence européenne des médicaments (EMA).
Ces accords européens peuvent être complétés par des contrats bilatéraux entre des membres de l'UE et des sociétés pharmaceutiques. Il faut ajouter que le Royaume-Uni fait cavalier seul, et que la Hongrie a préféré se tourner vers le Spoutnik V développé par l'institut Gamaleïa de Moscou (Russie).
Tous les vaccins précommandés par l'UE ne sont pas au même stade de développement. Les produits développés par Sanofi-GSK et CureVac sont en phase 2, qui mobilise plusieurs centaines de participants pour en évaluer l'efficacité, le dosage et la toxicité. Les quatre autres laboratoires ont débuté des essais de phase 3, qui mobilisent plusieurs milliers ou dizaines de milliers de participants dans une analyse plus poussée de l'efficacité et des effets secondaires.
> Moderna
> Pfizer/BioNTech
> AstraZeneca/Oxford
> Johnson & Johnson (Janssen)
> Sanofi/GSK
> CureVac
(Article mis à jour le 4 décembre.)
Moderna et l'innovation ARN
Stade de développement. La phase 3 de l'essai clinique est menée aux Etats-Unis sur 30 000 participants, dont 7 000 sont âgés de plus de 65 ans et 5 000 sont âgés de moins de 65 ans mais à risque, en raison de maladies chroniques. Le 30 novembre, Moderna a annoncé le dépôt d'une demande d'autorisation en urgence auprès de de l'Agence européenne des médicaments (EMA), le régulateur en la matière. Un avis est attendu d'ici le 12 janvier, après une réunion du comité dédié.
Résultats. Moderna a diffusé de premiers résultats exceptionnels, puisque son communiqué* fait état d'une efficacité de 94,1% et même de 100% pour les formes graves de Covid-19. Mais prudence, car ces données n'ont pas été relues par des pairs. La communauté scientifique attend donc d'avoir accès aux résultats complets pour en avoir le cœur net, ce qui vaut d'ailleurs pour les autres candidats.
La société n'évoque aucun problème grave (grade 4). Dans un communiqué précédent, elle détaillait toutefois* des événements de grade 3 (sévères) survenus dans plus de 2% des cas : douleur au site d'injection (2,7%) après la première dose, et fatigue (9,7%), douleurs musculaires (8,9%), douleurs articulaires (5,2%), maux de tête (4,5%), douleurs diverses (4,1%) et rougeur au site d'injection (2%) après la deuxième dose.
Technologie utilisée. Cette société s'intéresse à la séquence génétique codant la protéine S, une molécule qui permet au virus d'entrer dans les cellules et de s'y répliquer. Quand on connaît précisément cette séquence, il est alors possible de produire l'ARN messager en laboratoire en vue de l'administrer dans l'organisme. Ce brin d'acide ribonucléique sera enveloppé de nanoparticules lipidiques lui permettant d'entrer dans les cellules, où il guidera la synthèse de la protéine S. Celle-ci sera identifiée par l'organisme, qui produira en réponse des anticorps spécifiques, lesquels empêcheront, à l'avenir, le virus entier d'entrer dans les cellules.
Conservation et administration. L'ARN est une molécule fragile, qui se dégrade facilement à température ambiante, tout comme les capsules lipidiques utilisées pour son passage dans les cellules. En raison de cette contrainte, il faut recourir à des températures négatives, ce qui entraîne des difficultés de transport et de stockage. Le groupe estime que son vaccin peut être conservé jusqu'à six mois dans un congélateur, à -20 °C, puis jusqu'à trente jours dans un réfrigérateur avant utilisation. Le vaccin nécessite deux doses administrées à 28 jours d'écart par voie intramusculaire.
Contrat. Les discussions ont débuté fin août avec la Commission européenne, qui a finalement passé un contrat pour réserver 80 millions de doses, avec une option sur 80 millions de doses supplémentaires. Moderna estime que la livraison pourrait débuter dès le premier trimestre 2021, après un feu vert de l'EMA.
Trois lignes de production sont notamment prévues* dans les installations suisses du groupe Lonza, avec une capacité totale de 300 millions de doses par an – les premiers tests de production ont été réalisés en novembre, précise d'ailleurs la direction à L'Express (article abonnés). La société espagnole Rovi est également sollicitée dans le cadre "d'une chaîne d'approvisionnement dédiée pour soutenir l'Europe". L'un des sites de remplissage est prévu à Monts (Indre-et-Loire).
Pfizer et BioNTech, les rivaux de Moderna
Stade de développement. L'ARNm-1273 est en essai clinique de phase 3 et concerne près de 44 000 participants. Pfizer et BioNTech ont déposé une demande d'autorisation en urgence auprès de l'EMA. Celle-ci a annoncé que son comité dédié tiendrait une réunion extraordinaire le 29 décembre "au plus tard" pour donner, ou pas, son feu vert.
Résultats. Pfizer et BioNTech ont annoncé d'excellents résultats préliminaires, mi-novembre, puisque l'efficacité affichée est de 94,5%. Il faudra toutefois vérifier les données dans des analyses indépendantes. La société ne constatait pas de problème d'innocuité sérieux lié au vaccin, mais elle relève des événements indésirables de grade 3 : fatigue (3,8%) et maux de tête (2%) après la deuxième dose.
Technologie utilisée. La méthode est la même que celle utilisée par Moderna (voir plus haut).
Conservation et administration. C'est ici que le bât blesse. Pfizer et BioNTech expliquent en effet que leur vaccin doit être conservé à une température de -70 °C, pour les raisons déjà évoquées dans le cas du vaccin à ARN de Moderna. A la différence de ce dernier, qui assure que son vaccin peut être stocké à -20 °C, Pfizer et BioNTech n'ont rien annoncé de tel. Comme son rival, ce vaccin nécessite deux doses administrées à 28 jours d'écart par voie intramusculaire.
Contrat. Chronologiquement, il s'agit du quatrième contrat signé avec la Commission européenne, début novembre. L'accord porte sur un total initial de 200 millions de doses, avec une option pouvant aller jusqu'à 100 millions de doses supplémentaires.
Les doses de vaccin pour l'Europe seront produites dans les sites de fabrication allemands de BioNTech, ainsi que sur le site de fabrication de Pfizer en Belgique, explique le groupe américain*. En France, le site Delpharm de Saint-Rémy-sur-Avre (Eure-et-Loir) sera sollicité par BioNTech pour préparer plusieurs dizaines de millions de doses. A partir de mars ou d'avril, l'entreprise recevra ce produit "presque prêt à l'emploi", explique au Monde son directeur, Wladimir Guitel. Puis les flacons seront remplis, contrôlés, conditionnés et congelés.
AstraZeneca : une erreur prometteuse
Stade de développement. Le candidat, conçu en partenariat avec l'université d'Oxford, est en phase 3, mais l'essai a viré à l'imbroglio. En effet, un sous-groupe a reçu par erreur une demi-dose de vaccin et une dose complète, et non deux doses complètes comme prévu. "Nous devons procéder à une étude supplémentaire", a reconnu auprès de l'agence Bloomberg* Pascal Soriot, le PDG français de ce groupe suédo-britannique. Ce qui risque de retarder l'autorisation de mise sur le marché. Ce vaccin fait l'objet d'un examen continu de l'EMA, comme ceux de Moderna et de Pfizer. La production a déjà débuté, avec un objectif initial de 200 millions de doses d'ici la fin 2020 et 700 millions à la fin du premier trimestre 2021.
Résultats. C'est toute l'ironie du sort. Selon les résultats préliminaires* communiqués par AstraZeneca, l'efficacité du candidat vaccin a atteint 90% pour les participants ayant reçu par erreur une demi-dose puis une dose complète (à un mois d'intervalle), contre 62% pour les participants ayant reçu deux doses entières. En résumé : une erreur aurait permis d'identifier un dosage plus efficace. L'université d'Oxford, pour sa part, a affirmé depuis qu'il s'agissait d'un choix délibéré, ce qui sème encore un peu plus le trouble. Concernant l'innocuité du vaccin, "aucun événement grave n'a été confirmé", écrit le groupe, sans toutefois livrer davantage de détails.
Technologie utilisée. L'AZD1222 est un vaccin à vecteur viral, c'est-à-dire qu'il utilise un autre virus, en l'occurrence un adénovirus de chimpanzé. Celui-ci est génétiquement modifié pour devenir inoffensif et incapable de se répliquer, mais il peut toujours entrer dans les cellules. Les développeurs lui insèrent le bout de code permettant la synthèse de la protéine S du coronavirus Sars-CoV-2. L'organisme va donc produire lui-même cet antigène (la protéine S) et des anticorps spécifiques en réponse.
Conservation et administration. AstraZeneca affirme que son vaccin peut être "conservé, transporté et manipulé dans des conditions réfrigérées classiques (entre 2 et 8 °C) pendant au moins six mois". C'est un avantage car il est relativement simple à transporter et à distribuer. Il nécessite deux doses administrées à 28 jours d'écart par voie intramusculaire. Reste à savoir avec quelle quantité de vaccin, comme expliqué plus haut.
Contrat. Le candidat vaccin d'AstraZeneca a été le premier à faire l'objet d'une précommande de la Commission européenne, à la fin du mois d'août. L'UE a réservé 300 millions de doses, avec une option portant sur 100 millions de doses supplémentaires.
AstraZeneca noue des partenariats pour le conditionnement, par exemple avec la société américaine Catalent sur son site italien d'Anagni, au sud-est de Rome.
Johnson & Johnson : le choix d'un autre virus
Stade de développement. Le candidat vaccin (Ad26.COV2.S) de Janssen Pharmaceutica, filiale belge du groupe américain Johnson & Johnson, est actuellement en phase 3 avec deux essais portant sur un objectif de 60 000 participants (essai avec une dose*) et 30 000 participants (essai avec deux doses*). Les premiers lots pourraient être disponibles au début de l'année 2021 pour une demande d'autorisation d'urgence.
Résultats. Il n'y a pas encore de résultat partiel concernant la phase 3. Le groupe a annoncé que 98% des 1 045 participants des essais de phases 1 et 2 avaient développé des anticorps. Deux événements de grade 3 ont été relevés (un cas d'hypotension non lié au vaccin et un cas d'hospitalisation pour fièvre guéri en douze heures).
Technologie utilisée. La technologie du vecteur viral est la même que celle utilisée par AstraZeneca (voir plus haut), à ceci près que Johnson & Johnson utilise un adénovirus humain (et non de chimpanzé) comme vecteur. Le groupe a déjà recouru à cette technologie (qui porte le nom commercial AdVac) du vecteur viral contre Ebola, et l'utilise comme base de possibles vaccins contre le VIH ou le Zika.
Conservation et administration. Le vaccin peut rester stable pendant deux ans à -20 °C et au moins trois mois entre 2 et 8 °C, affirme le fabricant*. Comme ceux de Sanofi et d'AstraZeneca, il présente donc l'avantage d'être relativement simple à transporter et à distribuer. Le vaccin nécessite une dose administrée par voie intramusculaire, ou bien deux doses administrées à 56 jours d'écart, en fonction des résultats des essais en cours.
Contrat. Le 8 octobre, la Commission européenne a officialisé un accord portant sur 200 millions de doses, avec la possibilité de sécuriser jusqu'à 200 millions de doses supplémentaires.
Sanofi et GSK : le candidat français
Stade de développement. Ce candidat vaccin est développé par le Français Sanofi, en partenariat avec le Britannique GSK (pour l'adjuvant). L'essai de phase 2* est mené aux Etats-Unis avec 440 participants, et la dernière phase de test pourrait être lancée avant la fin de l'année avec 30 000 personnes. "L'objectif est d'obtenir l'approbation des autorités sanitaires d'ici le premier semestre 2021", explique Sanofi, avec une distribution à partir de juin. Le groupe va débuter la production de doses dès le mois de décembre, ce qui comporte un risque si les essais échouent.
Résultats. Les premiers résultats des phases 1 et 2 étaient attendus début décembre. Ceux de la phase 3 sont attendus en mai 2021.
Technologie utilisée. Il s'agit d'un vaccin "sous-unitaire", également appelé "à protéine recombinante". Cela signifie qu'il fonctionne avec une partie seulement du virus ciblé, en l'occurrence la protéine S. Celle-ci est isolée du virus entier, puis multipliée in vitro avant d'être injectée dans le muscle avec un adjuvant, dont le rôle est de stimuler la réponse immunitaire, donc la détection de la protéine S. L'organisme va alors développer des anticorps spécifiques à cet antigène, et sera donc en mesure d'interdire le passage du virus dans les cellules en cas de future exposition.
Conservation et administration. Les vaccins à protéine recombinante n'ont pas besoin d'être conservés à de très basses températures. "Notre vaccin sera comme le vaccin [contre la] grippe, vous pouvez le mettre dans votre réfrigérateur", a expliqué sur CNews Olivier Bogillot, le président de Sanofi France. C'est un avantage car il est relativement simple à transporter et à distribuer. Les essais en cours doivent déterminer s'il nécessite une seule dose ou deux doses administrées à 21 jours d'écart, par voie intramusculaire.
Contrat. Sanofi et GSK ont été les deuxièmes, après AstraZeneca, à passer un accord avec la Commission européenne. Ce contrat porte sur 300 millions de doses de vaccin. Ces accords d'achat anticipé ont valeur d'acompte et permettent de prendre en charge une partie des coûts initiaux de recherche et développement.
La France disposera notamment d'un site de production à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) et d'un site de remplissage des flacons à Marcy-l'Etoile, près de Lyon.
CureVac : le vaccin à ARN allemand
Stade de développement. La phase 2 est est en période de recrutement* au Pérou et au Panama, avec un objectif de 660 participants. CureVac a pour ambition de lancer avant la fin de l'année la dernière phase de test, qui impliquerait 30 000 participants.
Résultats. "Nous sommes très encouragés par les données provisoires de la phase 1" menée en Allemagne et en Belgique*, a déclaré début novembre Franz-Werner Haas, directeur général du groupe. Les volontaires ont développé un niveau d'anticorps neutralisants comparable à celui des personnes rétablies d'une forme grave de Covid-19.
Technologie utilisée. La méthode est la même que celle utilisée par Moderna et Pfizer (voir plus haut).
Conservation et administration. Si CureVac utilise la même technologie que Moderna et Pfizer, la société allemande affirme que son candidat vaccin est bien plus facile à stocker. La stabilité du produit a été testée à deux températures pendant trois mois, à 5 °C et -60 °C. Les résultats ont été concluants dans les deux cas, détaille un communiqué*, et jusqu'à 24 heures à température ambiante avant utilisation. La vaccination nécessite deux doses administrées à 28 jours d'écart, par voie intramusculaire.
Contrat. Il porte sur une commande initiale de 225 millions de doses, avec une option de 180 millions de doses supplémentaires, une fois les autorisations obtenues. CureVac est encouragé depuis plusieurs mois par l'UE, puisqu'il a bénéficié de 75 millions d'euros pour ses travaux sur le vaccin, une aide versée par la Banque européenne d'investissement via le programme InnovFin.
CureVac a conclu un accord* avec le groupe allemand Wacker Chemie AG pour produire les futures doses à Amsterdam (Pays-Bas) dès la première moitié de l'année 2021. L'objectif est de produire 100 millions de doses par an sur ce site, mais les capacités pourraient être augmentées pour répondre à la demande.
* Les liens signalés par un astérisque sont en anglais.
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