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Vrai ou faux Covid-19 : les patients en réanimation sont-ils vraiment de plus en plus jeunes ?

L'âge médian des malades admis en réanimation a légèrement baissé depuis le début de l'année. Un phénomène qui s'explique à la fois par l'effet protecteur de la vaccination sur les plus âgés et par la poussée épidémique, accentuée par le variant B.1.1.7, chez les plus jeunes.

Article rédigé par Brice Le Borgne, Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Une membre du personnel soignant de l'hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis) au chevet d'un patient souffrant de Covid-19 en unité de soins intensifs, le 8 février 2021. (BERTRAND GUAY / AFP)

Un signe qui ne trompe pas ? Depuis des semaines, les réanimateurs attirent l'attention sur l'un des symptômes de l'aggravation de l'épidémie de Covid-19 en France : les patients admis en réanimation sont plus jeunes qu'auparavant. Mais ce constat, fait en particulier dans les hôpitaux d'Ile-de-France, est remis en cause sur les réseaux sociaux par de nombreux internautes. Certains accusent les médecins de mentir et affirment, à l'instar de l'avocat Fabrice Di Vizio, très critique à l'égard de la gestion de la crise sanitaire par les autorités, que "la moyenne d'âge n'a quasiment pas bougé". Ces critiques disent-elles vrai ou "fake" ?

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En réanimation, un léger rajeunissement

Les données publiques sur les hospitalisations classent les patients par tranches d'âge. Elles ne permettent donc pas de calculer la moyenne d'âge des malades du Covid-19 pris en charge en réanimation. 

L'AP-HP, citée par Le Monde (article abonnés), confirme toutefois ce rajeunissement remarqué par les médecins réanimateurs. Dans les hôpitaux franciliens, l'âge médian des patients en réanimation est ainsi passé de 65 ans en 2020 à 63 ans en 2021. 

Cette tendance se confirme à l'échelle nationale. Dans son point épidémiologique du 25 mars, Santé publique France (SPF) note que "depuis janvier 2021, un léger rajeunissement de la population admise en réanimation est observé". "Il y a un petit glissement sur la moyenne d'âge. Il n'est pas majeur, mais il est net", commente pour franceinfo Pierre-François Dequin, chef du service de réanimation du CHU de Tours, qui tempère : "La majorité des patients est quand même d'un âge moyen." 

Le profil des patients a changé depuis le début de l'année dans les services de réanimation français. Les plus de 80 ans y sont presque deux fois moins nombreux. Ils représentaient 12,9% des malades au 1er janvier. Ils ne comptent plus que pour 7,5% au 24 mars. A l'inverse, la part des 40-59 ans a progressé, de 18% à 24,8%. De même que celle des moins de 40 ans, de 2,8% à 3,5%. La proportion de 60-79 ans, qui représentent la grande majorité des malades, est restée stable, de 66,3% à 64,2%.

Dans son hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine), Djillali Annane, chef du service de réanimation, voit cette "transformation du visage de l'épidémie". "Il y a un mois environ, les patients de la tranche d'âge 20-40 ans représentaient un patient sur vingt en réanimation environ, depuis une semaine ils représentent un patient sur dix. La part dans les formes sévères admises en réanimation des jeunes de la tranche d'âge 20-40 ans est en train d'augmenter et, majoritairement, les patients sont âgés de moins de 60 ans aujourd'hui dans les services de réanimation", détaille-t-il à franceinfo.

"Même s'ils sont plus rares, on a des cas de patients jeunes, généralement avec les mêmes comorbidités que les plus âgés. Ce sont très souvent des patients en surpoids, mais pas forcément, confirme Pierre-François Dequin, au CHU de Tours. On a aussi de temps en temps des formes graves chez des gens jeunes, sans facteur de risque évident." 

La part des jeunes augmente parmi les personnes hospitalisées

Cette évolution est encore plus flagrante au niveau des hospitalisations, en région parisienne comme à l'échelon national. Les 80 ans et plus représentaient plus de 50% des patients hospitalisés au début de l'année en France. Au 24 mars, ils ne comptent plus que pour 37,8%. A l'inverse, la part des 40-59 ans a presque doublé, de 8,9% à 15,2%. Celle des 60-79 ans a elle aussi progressé, passant de 38,2% à 43,3%. De même que celle des moins de 40 ans, de 2,6% à 3,8%.

Une tendance déjà observée lors des précédentes vagues épidémiques…

Cette augmentation du nombre de patients plus jeunes hospitalisés comme placés en réanimation n'est pas une spécificité de cette troisième vague épidémique. Elle a été observée, aussi bien en Ile-de-France qu'au plan national, au pic de la première vague pour les réanimations, début avril 2020, comme au pic de la deuxième, mi-novembre 2020. 

Mais si le nombre des patients de 60 à 79 ans admis en réanimation n'a pas encore dépassé celui du pic de la deuxième vague, celui des 40-59 ans est déjà supérieur à celui enregistré mi-novembre. Ils restent toutefois loin des niveaux atteints lors de la première vague en avril. 

Ce phénomène est lié à la dynamique même d'une épidémie, explique Pascal Crépey, enseignant-chercheur en épidémiologie et biostatistique à l'Ecole des hautes études en santé publique, à Rennes. "Les tranches d'âge les plus jeunes, les moins de 65 ans, sont plus actives et ont plus de contacts. Le virus les atteint donc plus rapidement et se propage plus rapidement dans ces tranches d'âge, avant d'atteindre les plus âgés, décrit l'expert. Dans une phase de croissance de l'épidémie, on a d'abord les jeunes qui sont touchés et ensuite les plus âgés."

Le taux d'incidence, c'est-à-dire le nombre de tests positifs pour 100 000 habitants, est en augmentation dans toutes les classes d'âge, excepté chez les 75 ans et plus, selon SPF. Cette hausse est particulièrement nette entre les deux premières semaines de mars. L'augmentation la plus importante est observée chez les 0-14 ans (27%) suivis par les 15-44 ans (15%), les 45-64 ans (13%) et les 65-74 ans (8%). En outre, "la démographie de la région joue", relève Pascal Crépey. L'Ile-de-France ayant une population un peu plus jeune que la moyenne nationale, comme le note l'Insee, cette différence statistique participe à accroître ce léger rajeunissement dans cette région.

… accentuée par le variant B.1.1.7 et la vaccination des plus âgés

Le variant identifié en Grande-Bretagne contribue également à cet effet, selon Pascal Crépey. Car ce variant B.1.1.7 est à la fois "associé à une transmissibilité accrue (de 36% à 75%)", mais aussi "possiblement à une forme plus sévère de la maladie, à un plus haut risque d’hospitalisation et à une mortalité plus élevée", prévient SPF. Et il est désormais identifié dans plus de 76% des tests de criblage des variants, d'après les données de SPF. 

"La contagiosité accrue du variant 'anglais' impacte toutes les tranches d'âge. Elle fait monter globalement le risque d'hospitalisation et de passage en réanimation, décrit l'expert. Mais, parce que le variant se transmet plus, vous allez avoir plus de jeunes touchés dans la phase de montée de l'épidémie que lors des vagues précédentes. Cela accentue cet écart."

Ce léger rajeunissement est aussi dû en partie à la vaccination des plus de 75 ans, qui leur évite des formes graves de la maladie, selon SPF. Toutefois, "les taux d'incidence, d'hospitalisations et d'admissions en services de soins critiques, qui avaient nettement diminué chez les personnes de 75 ans et plus, (…) étaient en légère augmentation ces deux dernières semaines", note l'agence sanitaire. En effet, si 71% des résidents des Ehpad ont été vaccinés, seulement 25% des personnes âgées de 75 ans et plus le sont, d'après les chiffres du ministère de la Santé. "A ce stade, la vaccination protège surtout les résidents des Ehpad, mais en population générale, elle ne couvre pas encore suffisamment de monde", explique Pierre-François Dequin.

Le praticien avance une autre explication possible : "Tous les services de réanimation sont sous tension. La pression sur les lits fait qu'on peut être amené à être plus sélectif sur le profil de patients." Les réanimateurs pourraient ainsi "filtrer un peu plus les patients" en tenant davantage compte du "critère d'âge" et des "comorbidités associées à l'âge", ce qu'ils faisaient peut-être moins "en début de poussée épidémique", envisage le spécialiste.

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