: Vrai ou faux Covid-19 : les transports en commun sont-ils des "bétaillères à virus" ?
L'écologiste Julien Bayou les a comparés à des "clusters roulants". Si le risque d'infection est jugé "faible", notamment grâce au port du masque obligatoire, il est "impossible" de le mesurer précisément, selon les spécialistes interrogés par franceinfo.
Des quais et des rames bondés. Sur les réseaux sociaux, des internautes ont partagé, outrés, des photos et des vidéos des transports en commun parisiens aux heures de pointe. Si les visages des usagers apparaissent masqués, la distanciation sociale, elle, est impossible. En pleine seconde vague de l'épidémie de Covid-19, beaucoup s'indignent : de telles conditions ne sont-elles pas propices aux contaminations ? A moins, ironisent d'autres, que le coronavirus ne prennent pas le métro.
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La plupart de ces clichés ont été pris lundi 5 octobre, alors que plusieurs lignes subissaient des perturbations, comme l'a rapporté Le Parisien. Mais les inquiétudes demeurent. Invité de Public Sénat, mercredi 14 octobre, le secrétaire national d'Europe Ecologie-Les Verts, Julien Bayou, a estimé que les transports en commun aux heures de pointe donnaient parfois "l'impression d'être des bétaillères à virus, des clusters roulants".
Face à ces interrogations, le ministre délégué aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, s'était pourtant voulu rassurant sur BFMTV et RMC mardi 6 octobre. "Toutes les études scientifiques que je lis nous disent que les transports en commun ne sont pas des lieux de contamination particulier", a-t-il assuré, chiffre à l'appui : "Les études nous disent que moins de 1% des contaminations se passent dans les transports en commun."
Des clusters "impossibles" à identifier
Ce très faible pourcentage avancé par le ministre délégué aux Transports se retrouve dans les points épidémiologiques hebdomadaires de Santé publique France. D'après le dernier paru, jeudi 8 octobre, les transports dans leur ensemble (avions, trains, bateaux...) ne représentent que 1,1% des clusters recensés depuis début mai. La Fédération nationale des transports de voyageurs souligne d'ailleurs qu'à sa connaissance, "aucun cluster n’a été identifié dans le cadre d’un service de transport routier interurbain". "A ce jour, aucun cas de cluster à bord d’un train n'a été signalé par les autorités sanitaires françaises", ajoute la SNCF.
Mais, comme l'a déjà expliqué franceinfo, cette statistique est en trompe-l'œil. Santé publique France le concède elle-même : "Le nombre de clusters identifié est probablement largement sous-estimé." "Dans les transports en commun tels que nous les connaissons dans nos grandes villes, il est quasiment impossible d'identifier des foyers de transmission", pointe l'épidémiologiste Yves Buisson, qui préside la cellule de veille scientifique sur le Covid-19 à l'Académie de médecine.
"Ce n'est pas qu'il n'y a pas de cas, c'est qu'on ne sait pas les identifier et les rattacher à la contamination."
Yves Buissonà franceinfo
"Un cluster, c'est trois personnes positives qui ont fréquenté le même endroit dans un délai de sept jours", expose le médecin. Identifier un cluster, "ça va bien si on est dans une entreprise, une école ou dans le cas d'un spectacle ou d'un mariage". Mais dans le métro, "c'est absolument impossible".
L'application StopCovid, utile mais peu utilisée
"Vous ne savez pas qui sont vos voisins quand vous voyagez dans le métro ou le RER", note Dominique Costagliola, directrice adjointe de l'Institut Pierre-Louis d'épidémiologie et de santé publique. Dans ces conditions, "ce n'est pas facile de tracer un cluster qui viendrait de là". "La seule façon de pouvoir tracer une contamination dans les transports en commun, c'est StopCovid, si ça marchait", relève Yves Buisson. L'application, dont une deuxième version est en préparation, est en effet peu téléchargée et peu utilisée par les Français.
"Les transports en commun étant par nature un lieu de passage anonyme, les clusters y sont plus difficiles à détecter."
Santé publique Franceà franceinfo
Par conséquent, ce 1% brandi par le ministre "n'a aucune valeur scientifique, tranche Dominique Costagliola. C'est le pourcentage de ce qu'on retrouve, mais ça ne veut pas dire que c'est le pourcentage de vraies circonstances de contaminations."
Il faut en outre distinguer le métro, le tramway ou le RER du train ou de l'avion, fait remarquer Yves Buisson. "Dans le train ou l'avion, c'est plus facile" de tracer des cas contacts, expose le médecin. "Les voyageurs ont un billet, ils ont laissé leur nom quelque part en réservant, ils ont une place attitrée. On peut donc plus facilement les retrouver et identifier des clusters survenus au cours d'un voyage."
Moins de risques grâce au port du masque
L'Union des transports publics et ferroviaires ne manquent pas de relever que, selon l'organisme britannique Rail Safety and Standards Board, le risque de contamination à bord d'un train est de 0,01% sur un trajet moyen d'une heure, et qu'il est encore réduit de moitié si les voyageurs portent un masque. Ou que, d'après l'Association américaine des transports publics, qui dit avoir passé en revue les publications internationales sur le sujet, le risque est "minimal", surtout si des mesures barrières sont prises, et qu'"aucune corrélation directe n'a été établie entre l'utilisation des transports en commun urbains et la transmission du Covid-19".
Mais les experts contactés par franceinfo constatent surtout que les études scientifiques analysant ce type de contamination sont trop peu nombreuses pour en tirer des conclusions et ne sont pas toujours transposables d'un mode de transport à l'autre ou d'un pays à l'autre. "On ne sait pas exactement combien de gens peuvent se contaminer dans les transports en commun", reconnaît Yves Buisson. Mais, "même si on ne peut pas le quantifier, c'est un risque assez faible, dans la mesure où le port du masque a été mis en place", assure-t-il.
Tout dépend du "taux de respect des normes", juge Dominique Costagliola. Car si la distanciation sociale n'est pas observée dans les transports en commun, le port du masque, obligatoire, lui l'est. Or "ce qu'on en attend, ce n'est pas une efficacité à 100% mais une réduction du risque", relève l'épidémiologiste. "Une grande proportion des gens portent un masque, mais il y a quand même des gens qui portent le masque sous le nez, ce qui ne sert à rien", remarque-t-elle.
Des interactions limitées
Autre élément notable aux yeux de Dominique Costagliola : dans les transports, contrairement aux bars notamment, "les gens parlent peu, à part des invectives parfois". Or, "ce n'est pas juste en étant à côté de quelqu'un de contagieux qu'on se contamine, il faut que ce quelqu'un expectore du virus et que vous soyez à une distance suffisamment faible pour l'attraper", insiste l'épidémiologiste.
Yves Buisson énumère tout de même quelques facteurs de risque : "Quand les gens sont les uns contre les autres, bien sûr ça accroît les risques." De même, "les heures de pointe sont des occasions d'engueulades et parler très fort est un facteur favorisant la contamination". Plus généralement, "les gens qui parlent très fort au téléphone dans le bus ou le métro émettent des particules et pour peu que le masque ne soit pas bien ajusté ou soit un peu poreux, c'est une source potentielle de contamination".
"Il faut que les gens s'astreignent à se taire. Il faut qu'ils ferment la bouche, parce que quand on ferme la bouche, il ne sort pas de postillons."
Yves Buissonà franceinfo
Le ministre de tutelle comme les entreprises du secteur insistent sur les mesures sanitaires prises pour limiter le risque de contamination dans les transports en commun. La Fédération nationale des transports de voyageurs rappelle qu'un protocole national a été mis en place par le ministère. Entre autres dispositions, dont le port du masque "grand public" obligatoire, il recommande la mise à disposition de gel hydroalcoolique pour les usagers ou la désinfection au moins une fois par jour des équipements. La distanciation physique, elle, a été assouplie.
Désinfection quotidienne à la RATP et à la SNCF
De son côté, la RATP fait valoir que l'ensemble du réseau (les bus, les rames de métro, de tramway et de RER, mais aussi les gares et les stations) est nettoyé et désinfecté quotidiennement, ce qui mobilise 1 800 personnes contre 1 300 en temps normal. Les 4 700 bus, 716 métros, 339 RER et 246 tramways sont nébulisés, c'est-à-dire que des gouttes de produit virucide vaporisées. Quelque 800 distributeurs de gels hydroalcooliques ont aussi été installés.
Le régie parisienne souligne aussi que si le trafic est de retour à la normale sur son réseau, les usagers eux y sont moins nombreux qu'auparavant : le taux de fréquentation n'est que de 66% dans les métros, RER et tramways et de 80% dans les bus. Ce qui n'empêche toutefois pas l'affluence aux heures de pointe, notamment le matin. La SNCF, elle aussi, fait observer que "les rames des trains longue distance sont nettoyées et désinfectées plusieurs fois par jour et les rames Transilien et TER au moins une fois par jour".
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