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Vrai ou faux Covid-19 : un médecin gagne-t-il de l'argent en déclarant qu'un patient a été testé positif, comme le dit Christian Perronne ?

Les médecins peuvent appliquer une majoration aux consultations de patients testés positifs au coronavirus. Mais cette compensation pour un travail chronophage n'est pas une incitation à diagnostiquer des malades.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Un stéthoscope sur un masque chirurgical, en juillet 2020, à Paris. (RICCARDO MILANI / HANS LUCAS / AFP)

Les médecins généralistes auraient-ils un intérêt financier à déclarer des patients malades du Covid-19 ? En pleine reprise de l'épidémie de coronavirus, Christian Perronne, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine), l'a laissé entendre, jeudi 15 octobre, au micro d'André Bercoff sur Sud Radio. 

"Un médecin généraliste qui déclare un test Covid positif d'un de ses patients touche de l'argent", a affirmé Christian Perronne. "En plus de la consultation ?", l'a interrogé André Bercoff. "Oui, bien sûr. Donc, il a intérêt à faire beaucoup de tests (...) Il va gagner de l'argent", répond l'infectiologue. Mais Christian Perronne dit-il vrai ou "fake" ?

Quel est cet argent touché par les médecins en cas de test positif dont il parle ? Comme l'indique l'Assurance-maladie, les médecins peuvent facturer une  majoration de 30 euros à un patient testé positif au Covid-19. La somme s'ajoute au prix habituel de la consultation ou téléconsultation (25 euros au minimum chez un généraliste).

Une contrepartie pour du travail en plus

Le patient vient une première fois consulter son médecin, parce qu'il craint d'être malade du Covid-19. Son généraliste lui prescrit un test. La consultation est alors facturée au tarif habituel, indique l'Assurance-maladie. Lorsque le patient retourne chez son médecin avec son diagnostic positif, le praticien peut à ce moment-là facturer la majoration. Il est également autorisé à le faire en cas de consultation d'un patient à qui il n'aurait pas prescrit de dépistage, mais qui aurait néanmoins déjà été testé positif. Quoi qu'il en soit, la consultation est prise en charge à 100% par l'Assurance-maladie.

Selon cette dernière, la majoration "valorise l'annonce du test positif, la prescription des tests pour les cas contacts proches (personnes résidant au domicile du patient), l'information donnée au patient sur les mesures barrières, l'enregistrement dans l'outil Contact Covid du patient et des cas contacts proches". Le praticien est en effet invité à "valider la fiche du patient" si celui-ci est testé positif et à "enclencher la démarche de contact tracing" ou à "la poursuivre", si l'Assurance-maladie l'a déjà lancée, par exemple dans le cas où "le laboratoire a informé tardivement le médecin que l'un de ses patients a été testé positif" ou "si le patient lui-même a tardé à le contacter".

Une disposition étendue au Covid-19

Cette majoration, dite "MIS" car elle concerne une "consultation initiale d'information du patient et de mise en place d'une stratégie thérapeutique", a été étendue aux cas de Covid-19. Elle s'appliquait déjà pour les patients atteints de cancer ou de pathologie neurologique grave ou neurodégénérative. Son montant fixe de 30 euros n'est pas non plus propre à l'épidémie de coronavirus. En outre, il ne s'agit pas de la seule majoration dont peuvent bénéficier les médecins : les consultations à domicile ou les actes de nuit y donnent également droit. 

"Quand nous avons un cas positif, et uniquement quand nous avons un cas positif, et que nous avons fait le travail de prise en charge et d'explication, on peut coter une majoration MIS de 30 euros", résume Richard Talbot, médecin généraliste dans la Manche, qui s'occupe des questions de nomenclatures à la Fédération des médecins de France.

Des consultations chronophages 

"Atterré"par les propos de Christian Perronne, Richard Talbot fait valoir que cette majoration rémunère une consultation qui "prend énormément de temps". "Pour deux patients positifs ce matin, ça m'a pris 1h20", indique-t-il. Selon lui, ce surcoût de 30 euros n'est donc "pas excessif".

Car, lorsqu'il reçoit un patient positif au Covid-19 en consultation, le médecin doit, liste le praticien normand, s'occuper de "l'organisation de la prise en charge à domicile, l'extension de l'arrêt de travail éventuel, l'explication ou la réexplication de toutes les mesures barrières d'hygiène, l'envoi des ordonnances complémentaires, la prise en charge des autres membres de la famille, l'envoi des ordonnances de PCR de façon à ce que tout le monde aille se faire tester au bon moment, l'explication des modalités de surveillance (la disparition du goût, de l'odorat, l'essoufflement, la fièvre...) et enfin le renseignement de la fiche Contact Covid sur le site de l'Assurance-maladie".

"Ce n'est pas pour avoir du pognon"

"Etre payés 55 euros pour 30 à 45 minutes passées à rassurer, expliquer, remplir le fichier et rappeler les gestes barrières au patient, ce n'est pas le rêve", relevait déjà le président de la Confédération des syndicats médicaux français, Jean-Paul Ortiz, en mai dans Le Quotidien du médecin. "Les médecins qui réussissent à percevoir cette majoration ne l'ont pas volée", tranche Jean-Paul Hamon, président d’honneur de la Fédération des médecins de France, joint par franceinfo.

Les généralistes ont-ils intérêt à faire passer des tests à leurs patients ? Là encore, les principaux interessés réfutent l'argument de Christian Perronne. D'abord, "les gens peuvent aller se faire tester tout seul", sans passer par leur médecin, oppose Richard Talbot. "Ce n'est donc pas pour ça que, contrairement à ce que dit le professeur Perronne, on multiplie les tests. C'est un enjeu de santé publique." De plus, le médecin n'est pas toujours celui qui déclare le patient positif au Covid-19. "Quand on arrive sur le site de la Sécurité sociale, le patient a bien souvent déjà été déclaré par le laboratoire, souligne Jean-Paul Hamon. Quand on prescrit un test PCR, ce n'est pas pour avoir du pognon."

Un "pur fantasme populiste"

Jean-Paul Hamon formule une autre objection aux propos de Christian Perronne, d'ordre technique cette fois. "Moi-même, je n'ai pas encore réussi à bien régler mon logiciel pour appliquer le tiers payant sur cette majoration. Sur la quinzaine de cas que j'ai eus ces derniers jours, je ne l'ai appliquée que sur trois. Ce n'est pas ma préoccupation première."

Jérôme Marty, président du syndicat de l'Union française pour une médecine libre dénonce lui aussi dans une vidéo sur Twitter "des propos profondément abjects, méprisants, déshonorants et dégueulasses à l'égard de ses consœurs et confrères". Il juge "insultant[e]s" ces paroles qui ont "laissé entendre que les médecins profiteraient en quelque sorte d'une aubaine".

Benoit Soulié, généraliste en Normandie, tweete lui aussi sa colère face à ce "pur fantasme populiste". Il insiste sur une autre réalité de sa pratique médicale, en particulier pendant cette épidémie de Covid-19 : "Les actes gratuits de conseils téléphoniques".

S'exprimant lui aussi sur Twitter, un médecin remplaçant voit dans la déclaration de Christian Perronne "de la diffamation pure et simple", et en appelle au Conseil national de l'Ordre des médecins. L'organisme professionnel, de même que le collège de déontologie de l'AP-HP, s'est déjà saisi du cas de Christian Perronne pour de précédentes déclarations polémiques où il défendait le recours à l'hydroxychloroquine contre le Covid-19, et mettait en cause ses confrères.

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