Peut-on vraiment attraper froid ?
Faites entrer l'accusé, mais fermez la porte, ça va faire courant d'air…
Ah, le froid, un coupable idéal ! Durant des siècles, on a vu des maladies revenir avec la régularité des saisons. En hiver, il fait froid… on n'est pas allé chercher beaucoup plus loin. Ça ne pouvait être que lui, le responsable !
Il faut dire que tous les indices étaient contre lui… Si une fièvre débute, la différence entre température interne et température de la peau nous fait, un temps, frissonner – donnant l'impression que le froid est entré en nous, qu'on l'a attrapé. Et puis… au fil du XIXe siècle, les travaux de figures comme Pasteur ou Koch ont démontré que la cause d’innombrables maladies, ce sont des "micro-organismes", bactéries, ou virus. Et justement, la grippe : les premiers virus responsables ont été identifiés au début des années 1930 [1] ; quant à ce qu’on appelle un rhume, on a mis un peu plus de temps à le savoir : il s'agit d'une fois sur dix de l’effet d’une bactérie, de neuf fois sur dix d'un virus, le plus souvent des rhinovirus [2]. Le premier rhinovirus a été découvert en 1956[3].
Depuis lors, il n'y a plus aucun doute : sans ces divers virus, pas de grippe, pas de rhume. D’ailleurs, vous pouvez rester tout nu quelques heures sur votre terrasse en hiver, ou dans une chambre froide : si aucun de ces virus n'est dans le coin, vous aurez froid, c'est sûr, mais vous ne tomberez pas malade. Pensez à rentrer, quand même au bout d’un moment, quand le corps ne peut plus produire suffisamment de chaleur, on rentre dans une situation d’hypothermie… Mais là, on n’est plus dans les maux de l’hiver.
Pourtant, on l’a dit, ces infections virales augmentent en nombre à l’approche de l’hiver, et diminuent avec la venue du printemps. La baisse de température joue-t-elle un rôle, ou est-ce autre chose ?
Cette question a fait s'arracher les cheveux aux chercheurs depuis qu’ils savent que les virus sont les acteurs du crime. Le froid est-il complice ? Simple témoin ? C’est d’autant plus épineux que chaque virus a un profil différent, une dynamique infectieuse différente. Enquêter sur les liaisons entre froid et la petite délinquance virale des rhinovirus nous apprendra des choses, mais peut-être que la situation est très différente pour des Al Capone comme les virus de la grippe.
Trois familles d'hypothèses
Pour expliquer la recrudescence des maladies hivernales, de très nombreuses hypothèses (à valider virus par virus) ont été proposées [4]. Elles peuvent être classées en trois types. Insistons, il ne s'agit que d'hypothèses.
- Le froid nous affaiblirait, avec pour conséquence des infections plus faciles
- Le froid créerait des conditions permettant au virus de se frayer un chemin jusqu’à nous
- Le froid permettrait une plus grande survie des virus à l'air libre en attendant qu'ils trouvent leur hôte
Faire des expériences sur les maladies infectieuses impliquant de nombreux risques, une part importante des recherches se sont concentrées sur les virus les moins dangereux : ceux qui causent le rhume.
Le froid ne nous affaiblit pas tant que ça...
La première famille d'hypothèses ("le froid nous rendrait plus susceptible aux infections") a été explorée au cours des années 1960.
Question posée : si le virus arrive dans nos narines alors qu’on dépense de l’énergie pour lutter contre le froid, tombe-t-on plus souvent malade ? Pour l'évaluer, les chercheurs ont réalisé des inoculations directes de virus dans les narines de volontaires, avec une petite pipette[5]. Une partie des participants étaient en shorts et sous-vêtements, en coton léger, pendant au minimum une demi-heure dans des pièces à 4°C et 10°C. D’autres avaient le droit à une petite laine, dans la pièce à 10°C. D’autres étaient dans un bain à 32°C. Des volontaires se sont vu administrer un rhinovirus dans les différentes salles, d’autres peu après en être sortis. L'étude n’a montré aucune différence entre les différents groupes, ni en terme d’infection, ni en terme de symptôme, ni même de réactivité du système immunitaire. On a continué les séances pour voir si cela avait une influence sur le temps d’incubation. Rien non plus[6].
On a également vérifié que des muqueuses vraiment irritées (par le froid ou autre chose) n’étaient pas plus accueillantes pour les virus du rhume. Dans les années 1990, des biopsies de la muqueuse nasale avant des inoculations de rhinovirus ont été réalisées, et les chercheurs ont constaté qu’il y avait autant d’infection qu’on ait le nez très irrité ou pas du tout [7]. En 2000 [8], une équipe a même volontairement exposé un groupe d’allergiques à des allergènes, quelques jours avant inoculation, pour bien irriter leurs narines… Là encore, pas de différences avec un groupe allergique témoin.[9][10] On le voit, les hypothèses du premier groupe ont été progressivement réfutées, concernant le rhume. Concernant la grippe, vu la méthodologie employée, on n’a guère pu reproduire ces expériences [11] ; mais on voit que les hypothèses du premier groupe sont finalement peu étayées.
Faire le tri dans les hypothèses relatives aux conditions de circulation des virus
On entend parfois dire que l’hiver accroît la promiscuité entre les hommes, favorisant les échanges viraux. Mais quand on y réfléchit, on prend le métro tout au long de l’année, les enfants sont en classe dix mois sur douze, donc ce n'est pas l'explication. Les différents virus ne se transmettent pas tous de la même façon avec la même facilité. Pour les rhumes, ils se transmettent surtout via de grosses gouttelettes, des postillons, et un peu par contact [12]. Les virus grippaux parviennent beaucoup plus facilement à infecter en étant dispersés en petite quantité dans l'air [13]. Justement : selon des études menées entre 2007 et 2012 [14] sur la dissémination du virus de grippes humaines sur des cochons d’Inde – oui, on peut donner la grippe à son cochon d’Inde[15] – un froid sec apparaît comme un milieu propice à la diffusion de ces particules virales dans l’air. Elles ne sont pas rabattues vers le sol par la condensation. À l’inverse, un air relativement chaud et très humide semble maintenir les gouttelettes en suspension. Des conditions qui rappellent celles d’un bureau où on pousse le chauffage trop fort ! Sachant que, pour les virus responsables du rhume, les études de cas semblent invalider cette explication[16].
L'hypothèse de la survie des virus dans le froid
La dernière hypothèse... est la bonne.
Qu’il s’agisse de survie sur des surfaces inertes [17] ou dans des gouttelettes d’humidité, toutes les expériences montrent que le froid (tant que ça ne gèle pas) et l’humidité (idem) permet aux particules virales de rester infectieuses des dizaines d’heures [18] ! On a d’ailleurs appris récemment que certains virus de la grippe lâchés dans le froid disposaient d’une sorte d'enveloppe de protection, qui ne se désagrégeait que dans un environnement chaud.
La probabilité de tomber malade est tout simplement, et directement, liée à la probabilité de croiser un virus capable de nous infecter.
On ne doit donc plus dire...
Pour récapituler l'état des connaissances scientifiques sur les deux maladies emblématiques de l’hiver, vous ne devez désormais plus dire
"mets ton écharpe tu vas prendre froid",
mais plutôt :
"mets ton écharpe qui va faire écran aux postillons chargés de virus, baisse un peu le chauffage si quelqu’un semble grippé, et lave-toi les mains bon sang !"
Et pour la grippe, vous pouvez ajouter : "vaccine-toi" !
Si vous tombez malade, rappelons également que les antibiotiques ne sont d’aucune utilité contre les virus, qui représentent la majeure partie des "criminels de l’hiver"…
par Florian Gouthière journaliste scientifique à la rédaction d'Allodocteurs.fr
Notes et références
[1] Chez le porc en 1931, puis chez l’homme en 1933.
[2] Cela dépend des saisons et des régions. Les coronavirus ne sont pas en reste pour provoquer un rhume.
[3] On en connaît désormais une centaine.
[4] Concernant la saisonnalité de la seule grippe, un chercheur a publié en 2006 une synthèse recensant des dizaines d’hypothèses, allant de la susceptibilité des virus aux UV à l’idée que certains oiseaux migrateurs sont des réservoirs de virus… pour conclure que l’explication n’était toujours pas trouvée.
[5] Voir : Exposure to cold environment and rhinovirus common cold. Failure to demonstrate effect. R.G.J. Douglas, R.G.J et al. NEJM, 1968
[6] Des expériences récentes sur la souris suggèrent que certains globules blancs se tournent un peu les pouces quand il fait froid et que le rhinovirus est là, mais l’expérience sur l’homme incite à nous méfier de la généralisation… Ces travaux montrent que, chez les souris, les cellules immunitaires qui pourraient attaquer le virus sont surtout efficaces à 37°C, raison pour laquelle le virus colonise peu les voies aériennes inférieures. Plus la différence de température entre l’air extérieur et le corps est importante, plus le virus va pouvoir se multiplier dans le museau des souris sans être gêné par ces cellules. Mais nous ne sommes pas des souris. (Temperature-dependent innate defense against the common cold virus limits viral replication at warm temperature in mouse airway cells. E.F. Foxmana et al. PNAS, 2014. doi:10.1073/pnas.1411030112)
Concernant la grippe, les études sur le modèle animal vont dans le même sens que les travaux réalisés sur l’homme : les faibles températures ne modulent pas l’immunité en faveur d’une augmentation des infections ("To investigate the mechanism permitting prolonged viral growth, expression levels in the upper respiratory tract of several innate immune mediators were determined. Innate responses proved to be comparable between animals housed at 5°C and 20°C, suggesting that cold temperature (5°C) does not impair the innate immune response in this system.", in : Influenza Virus Transmission Is Dependent on Relative Humidity and Temperature. A.C Lowen et al. PLOS Pathogens, 19 oct. 2007. doi : 10.1371/journal.ppat.0030151 [pdf], étude dont on reparlera quelques lignes plus bas.)
[7] Immunohistochemical analysis of nasal biopsies during rhinovirus experimental colds. D J Fraenkel et al. American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine, 1994. doi: 10.1164/ajrccm.150.4.7921447
[8] Effects of allergic inflammation of the nasal mucosa on the severity of rhinovirus 16 cold. Pedro C. Avila, et al. The Journal of Allergy and Clinical Immunology, mai 2000. doi:10.1067/mai.2000.106214
[9] On peut citer d’autres expériences (menées durant l’hiver, donc avant la saison des pollens, ce qui limite peut-être l’interprétation) qui suggèrent que l’on n’induit pas plus de rhume chez les allergiques que chez les non-allergiques dans les expériences menées durant l’hiver : (voir : http://www.jacionline.org/article/0091-6749(92)90219-R/pdf)
Divers travaux suggèrent qu’une infection récente tend à protéger d’une nouvelle infection (voir Avila et al, 2000, op.cit, ou encore https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/2991366
[10] A noter que, concernant la grippe, les expériences sur le modèle animal, là encore, semblent aller dans le même sens : on arrive à faire varier le taux d’infection même sans attendre que les souris aient les muqueuses lésées. (A.C Lowen et coll, 2007, op.cit).
[11] Des expériences d’inoculations volontaires de grippe en milieu contrôlé existent (notamment dans le cadre d’évaluation de l’efficacité de vaccins). Voir : http://www.sciencemag.org/news/2016/05/studies-intentionally-infect-people-disease-causing-bugs-are-rise
[12] Des études ont confirmé que la transmission par contact était possible : pour les virus responsables des rhumes :
- How Contagious Are Common Respiratory Tract Infections? D.M. Musher. NEJM, 2003. doi:10.1056/NEJMra021771
- Near disappearance of rhinovirus along a fomite transmission chain. L.C. Jennings et al. J Infect Dis 1988;158(4):888-92.
- Potential role of hands in the spread of respiratory viral infections: studies with human parainfluenza virus 3 and rhinovirus 14. S.A. Ansari et al. J Clin Microbiol, 1991
Attraper un rhume en inhalant de fines particules virales de rhinovirus en suspension dans l’air est jugé possible, mais rare :
- Aerosol transmission of rhinovirus colds. E.C. Dick et al. J Infect Dis, 1987.
- Airborne rhinovirus detection and effect of ultraviolet irradia- tion on detection by a semi-nested RT-PCR assay. T.A. Myatt et al. BMC Public Health 2003. doi:10.1186/1471-2458-3-5
- Detection of airborne rhinovirus and its relation to outdoor air supply in office environments. T.A. Myatt et al. Am J Respir Crit Care Med, 2004. doi:10.1164/rccm.200306-760OC
[13] Cette affirmation était encore controversée il y a une dizaine d’années, les expériences appuyant cette affirmation s’appuyant surtout sur des pulvérisations artificielles, en milieux contrôlés, et entre animaux. Une expérience de 2012 sur des particules exhalées (mais toujours sur le modèle animal), a confirmé l’existence de ce mode de transmission (A Comprehensive Breath Plume Model for Disease Transmission via Expiratory Aerosols. S.K. Halloran et al. PLoS ONE, 2012. doi:10.1371/journal.pone.0037088). Difficile toutefois de quantifier le nombre de cas associés au cours d’une épidémie.
[14].C Lowen et coll. 2007, op.cit. ; S.K. Halloran et al, 2012. op.cit.
[15] C’est dans une étude de 1919 (The epidemic respiratory infection at Camp Cody. F. H. Lamb & E. B. Brannin. JAMA, 12 avril 1919.) qu’A.C. Lowen et ses collègues (voir note précédente) chercheurs ont eu l’idée d’utiliser les cochons d’Inde comme modèle de la grippe : selon cette étude, des cochons d’Inde étaient morts de la grippe dans une colonie pénitentiaire au Nouveau Mexique, pendant une épidémie, à la stupéfaction de leurs propriétaires.
[16] Voir par exemple : Short-duration exposure and the transmission of rhinoviral colds. D.J. D’Alessio et coll. J Infect Dis, 1984.
[17] On parle de virus qui se survivent très bien et très longtemps sur des surfaces inertes. La transmission par contact, ce serait peu ou prou 50% de la transmission de la grippe… https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3682679/
[18] Voir : Airborne micro-organisms: survival tests with four viruses. G. J. Harper. J Hyg, 1961 (par ici).
Plus spécifiquement, pour les rhinovirus, voir :
- Survival of human rhinovirus type 14 dried onto nonporous inanimate surfaces: effect of relative humidity and suspending medium. S.A. Sattar et al. Can J Microbiol. sept. 1987.
- Effect of relative humidity on the airborne survival of rhinovirus-14. Y.G. Karim et coll. Can J Microbiol, nov. 1985.
- Persistence of human rhinovirus infectivity under diverse environmental conditions. K.J. Reagan et coll. Appl. Environ. Microbiol. mars 1981.
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