Accident de Millas : "Selon moi, ni le laboratoire ni la patiente ne sont fautifs"
Selon une information France Info, la conductrice du car impliqué dans l’accident mortel de Millas (Pyrénées-Orientales) en décembre 2017 prenait depuis sept ans un somnifère incompatible avec la conduite de véhicule : l’Imovane® (Laboratoires Sanofi). Alain Astier, professeur en pharmacie clinique et membre de l’Académie nationale de pharmacie, répond à nos questions suite à ces révélations.
A lire aussi : Accident de Millas : le somnifère pris par la conductrice mis en cause
- Quels sont les effets connus de l’Imovane® sur la vigilance ?
Pr Alain Astier : La substance active contenue dans l’Imovane® est la zopiclone, un somnifère. L’une de ses particularités est de posséder une demi-vie très longue : la demi-vie correspond au temps nécessaire pour que la concentration d’un médicament disparaisse de moitié dans l’organisme. Plus la demi-vie est longue, plus longtemps la substance restera active dans le corps. C’est pourquoi l’effet de ce somnifère peut perdurer en journée. Dans ce cas, il peut occasionner un état au cours duquel les patients sont réveillés mais déconnectés de la réalité. Au volant, une personne encore sous emprise de ce médicament risque de connaître des épisodes d’amnésie et d’agir comme un "zombie" pendant plusieurs secondes, expérimentant alors une sorte de "conduite automatique".
- Comment expliquer alors qu’une conductrice professionnelle ait pu se voir prescrire ce traitement, qui plus est pendant une durée de sept ans ?
Pr Alain Astier : Cela paraît invraisemblable ! C’est à mon avis complètement dément qu’un médecin généraliste qui savait pertinemment que cette dame était conductrice de car, puisqu’il la suivait depuis plusieurs années, lui prescrive ce traitement. Des risques majeurs d’épisodes d’amnésie ou d’incapacité à conduire après son réveil et donc pendant son travail étaient forcément prévisibles.
Et le fait est que, malgré les signaux et les avertissements, l’accident a eu lieu, ce qui traduit très clairement une amnésie transitoire pendant laquelle cette femme a conduit de manière automatique. Mais ce médicament ne s’obtient que sur ordonnance et présente un pictogramme d’avertissement de niveau 3, le niveau maximal de vigilance qui interdit la conduite. Donc selon moi, ni le laboratoire ni la patiente ne sont fautifs. La responsabilité incombe ici au médecin généraliste prescripteur.
Ensuite, un second problème est la durée du traitement. Il s’agit en effet d’un produit de prescription courte : quatre semaines maximum, pour des périodes post traumatiques particulières, après un décès ou un divorce par exemple. Mais on voit à l’évidence qu’ils sont prescrits pendant très longtemps de façon illogique, voire même illégale ! Ce cas n’est malheureusement pas isolé car nous avons en France une tradition médicale d’hyper prescription de ces produits hypnotiques ou anxiolytiques sur des durées illogiques qui constitue un réel problème.
- En quoi une prise sur le long terme peut aggraver les effets de ce médicament sur la vigilance ?
Pr Alain Astier : La conductrice a pris ce médicament pendant sept ans, ce qui correspond à une très longue période pendant laquelle la substance active peut s’accumuler dans certaines parties du corps qui agissent comme des réservoirs, comme par exemple dans les graisses. L’activité du produit perdure alors et augmente dès que les stocks sont libérés.
En parallèle, une prise de ce traitement sur le long terme va provoquer une habituation de l’organisme : il faudra augmenter les doses pour obtenir le même effet qu’au début du traitement. Et plus on prend ce médicament sur une longue durée, plus on s’habitue mais aussi plus on devient dépendant. Le recours à un somnifère correspond à une véritable toxicomanie non seulement physiologique mais également psychologique : les patients ne s’imagineront pas pouvoir s’endormir sans leur médicament. C’est ici que la mise en place d’un traitement placebo ou naturel peut être intéressant pour se déshabituer progressivement du médicament.
Dans cette affaire, sept ans de traitement correspondent à une durée énorme, surtout pour quelqu’un qui travaille. Il faudrait savoir si les prescriptions étaient régulières ou non durant ces sept années, le nombre d’ordonnances qui ont été faites et combien de boîtes ont été effectivement délivrées à cette patiente. C’est toute la question de l’observance d’un traitement sur laquelle la justice devra se pencher. Mais à mon avis, dans une pathologie telle que l'insomnie, la patiente n'a pas pris ce médicament "de temps en temps" mais plutôt comme un "traitement de fond" qui l’a donc probablement imprégnée pendant des années.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.