Aspartame : quatre questions sur la décision de l'OMS de classer cet édulcorant comme étant "peut-être cancérogène"
Cette petite poudre blanche permet de se passer de sucre, en conservant son goût. L'aspartame s'est imposé partout dans nos assiettes et dans nos verres, en quelques décennies. Pourtant, ce produit vient d'être classé comme étant "peut-être cancérogène pour l'homme", vendredi 14 juillet, par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Franceinfo répond à quatre questions autour de ce classement.
1 Qu'est-ce que l'aspartame ?
L'aspartame est un édulcorant de synthèse. Ses propriétés ont été découvertes par hasard en 1965 par un chimiste, alors en quête d'un traitement contre l'ulcère, explique Santé.fr. Le pouvoir particulièrement sucrant de l'aspartame retient l'attention : il est 200 fois plus élevé que notre sucre ordinaire. Les propriétés de cette poudre blanche et inodore en font rapidement un produit intéressant pour le secteur alimentaire. Même s'il n'a aucune valeur nutritive, il est autorisé à la consommation pour la première fois sur le marché américain par la Food and Drug Administration dès 1974.
La France l'autorise quatorze ans plus tard et attend 1994 pour accepter son utilisation comme édulcorant dans les denrées alimentaires. L'aspartame est aujourd'hui présent dans les produits et boissons "allégés", "light" ou "0%", ainsi que dans certains médicaments, comme des pastilles contre la toux.
2Depuis quand est-il suspecté d'être cancérogène ?
Les soupçons sont apparus aussitôt après son autorisation sur le marché américain. Son usage a été suspendu après plusieurs mois de commercialisation, à cause de doutes sur de possibles effets toxiques et cancérogènes. L'aspartame a de nouveau été autorisé aux Etats-Unis en 1981, d'abord dans les aliments solides puis, deux ans plus tard, dans les liquides. Mais, en Europe, des chercheurs ont continué à enquêter sur les possibles conséquences cancérogènes de ce "faux sucre".
En décembre 2013, l'Autorité européenne de sécurité des aliments a balayé les inquiétudes, en assurant que l'aspartame était sûr, à condition de respecter la dose journalière recommandée, soit 40 milligrammes par kilogramme de poids corporel. Deux ans plus tard, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Anses) a affirmé qu'aucune donnée ne permettait de démontrer un risque avéré de cancer, tout en soulignant "la nécessité d'approfondir les connaissances" sur l'aspartame. En mars 2022, une étude menée par des chercheurs français faisait un lien entre sa consommation, comme d'autres édulcorants, et un risque accru de maladies cardiovasculaires.
3Quelles sont les conclusions de l'OMS ?
La décision de placer l'aspartame comme cancérogène possible a été prise sur la base des "indications limitées" relatives au cancer chez l'homme, en particulier pour le carcinome hépatocellulaire, un type de cancer du foie, selon l'OMS. Des indications limitées ont aussi été observées concernant le cancer chez les animaux de laboratoire. Ces indications "proviennent de trois études menées aux Etats-Unis et dans dix pays européens. Il s'agit des seules études épidémiologiques portant sur le cancer du foie", a déclaré Mary Schubauer-Berigan, docteure au Centre international de recherche sur le cancer (Circ) de l'OMS. Au total, 1 300 études, menées dans plusieurs pays, ont été passées au crible par l'OMS.
Vingt-cinq scientifiques, d'une douzaine de nationalités différentes, se sont ensuite réunis du 6 au 13 juin, à l'Agence internationale pour la recherche contre le cancer, à Lyon. Ils ont évalué le niveau de dangerosité de l'aspartame et d'autres édulcorants. A l'issue de cette réunion, cet additif a été classifié 2B, c'est-à-dire comme étant "peut-être cancérogène pour l'homme".
Cette catégorie signifie qu'il existe des preuves "limitées d'un risque chez l'humain" et "insuffisantes chez les animaux de laboratoire". Sont répertoriés, dans cette même catégorie, les gaz d'échappement, au même titre que l'aloe vera sous certaines formes ou l'acide caféique, présent dans de nombreuses plantes, dont la sauge ou la cannelle. L'OMS aurait pu classifier l'aspartame en "probablement cancérogène" si les preuves étaient suffisantes chez l'animal. A titre de comparaison, un classement 1 signifie que l'agent est "cancérogène" pour l'humain. C'est notamment le cas du tabac, des rayons UV ou de l'alcool.
Vendredi, le Comité mixte d'experts des additifs alimentaires (qui relève à la fois de l'OMS et de la FAO), a rendu ses propres conclusions sur les risques liés à l'aspartame. Ses membres ont estimé que les données actuelles ne justifiaient pas de modifier la dose journalière admissible. Inchangé depuis 1981, ce maximum de 40 milligrammes par kilogramme de poids corporel est difficilement atteignable. Par exemple, si un soda "light" sert d'unité de mesure, une personne de 68 kg devrait boire plus d'une douzaine de canettes par jour avant de dépasser cette limite.
4Faut-il arrêter de consommer de l'aspartame ?
"Nous ne conseillons pas aux entreprises de retirer leurs produits et nous ne conseillons pas non plus aux consommateurs d'arrêter complètement leur consommation", a déclaré le directeur du département Nutrition, santé et développement de l'OMS.
En présentant ces deux évaluations sur l'aspartame, le docteur Francesco Branca s'est voulu rassurant : "Le problème se pose pour les gros consommateurs" de produits contenant cet édulcorant. "Nos résultats n'indiquent pas qu'une consommation occasionnelle présente un risque." Une déclaration rapidement dénoncée par l'association européenne Foodwatch : "Un édulcorant possiblement cangérigène n'a pas sa place dans nos aliments ou boissons."
D'ici à la fin de l'année, les Européens seront de toute façon encouragés à moins consommer d'aspartame puisque les modalités de calcul du Nutri-Score vont être modifiées. Les notes des aliments et des boissons à base d'édulcorants seront dégradées.
Au-delà de ces risques cancérogènes, l'OMS s'était aussi exprimée, lundi, sur les conséquences à long terme d'une consommation régulière d'aspartame. Ce type d'édulcorants accroît les risques, chez l'adulte, de développer un diabète de type 2 et des maladies cardiovasculaires. "L'utilisation de ces édulcorants sans sucre ne confère aucun avantage à long terme dans la réduction de la graisse corporelle chez les adultes ou les enfants", précise enfin l'agence mondiale, en se fondant uniquement sur des études observationnelles.
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