Euthanasie : "La France se déleste de sa responsabilité sur la Belgique"
A 59 ans, sa vie va s’achever. Anne Bert le sait. Elle ne tolère pas d’avoir été forcée d’aller jusqu’en Belgique pour mourir, elle qui habite en Charente-Maritime (17). Depuis le diagnostic de sa SLA, appelée aussi maladie de Charcot, en 2015, elle perd progressivement l’usage de ses membres. Sans antidote, cette pathologie tue en quelques années ceux qui en sont atteints.
Ces dernières années, Anne Bert a été l’une des figures de proue du combat en faveur de l’euthanasie en France. Déçue de François Hollande, elle espère que la nouvelle ministre de la Santé Agnès Buzyn pourra faire bouger les choses, malgré l’immobilisme prôné par Emmanuel Macron. Elle raconte sa lutte dans un livre, Le tout dernier été (Fayard), qui paraîtra le 9 octobre, après sa mort.
- Pourquoi avez-vous décidé d’écrire ce livre ?
Anne Bert : "Ce livre ne raconte pas ma maladie, même si, évidemment j’en parle. C’est un livre sur ce que peut représenter la fin de vie et sur la signification de mon choix. C'est un prolongement de mon combat, parce que je trouve qu'à travers la littérature on peut s'interroger sur ce qu'est la mort, une chose à la fois très intime et très universelle. J'espère que ce livre fera s’interroger les lecteurs sur la nécessité de ne pas faire un tabou de la fin de vie. Parce que ce tabou génère une mise sous tutelle de notre fin de vie, de ce qu'on est, les malades mais aussi une mise sous tutelle du corps médical."
- Pourquoi avoir choisi ce titre, Le tout dernier été ?
Anne Bert : "Ce n’est pas une formule. C'est mon dernier été, la maladie progresse et ma vie s'achève. Une limite commence déjà à être dépassée, puisque je ne peux plus me nourrir seule. Actuellement, j'ai l'autonomie d'un enfant d'un an. Je suis arrivée au seuil de mon acceptation. Je suis aussi arrivée au constat que la France est impuissante contre cette maladie. Elle est impuissante car il n'y a pas de budget pour la recherche, pas de budget pour cette maladie. De plus en plus de Français en sont atteints. Je pense que c'est quelque chose qui est tu. Et puis elle impuissante aussi parce que la sédation profonde et les soins palliatifs tels qu'ils sont proposés par M. Leonetti (1) sont insuffisants, le mot est faible, parce qu'il y a doit y avoir 2.000 lits de soins palliatifs en France pour 200.000 malades en fin de vie. Certains choisissent d'aller jusqu'au bout et je le respecte. C’est leur droit de choisir. Ce n'est ni au corps médical ni aux politiques de décider ce qui est digne pour nous. C'est quelque chose de très personnel."
- Le combat pour le droit de chacun de choisir sa fin de vie a-t-il avancé ces dernières années ?
Anne Bert : "François Hollande avait bien mis dans son programme qu'il allait légiférer sur le droit de choisir l'euthanasie. Il ne l'a pas fait. M. Claeys (1) était favorable au suicide assisté, mais cela a tout de suite été écarté. M. Leonetti a décidé que, parce qu'il était médecin, il savait certainement mieux que tout le monde. Or un médecin n'est pas plus expert qu'un malade sur la mort ou que quiconque puisqu'on a tous notre réflexion à apporter. Il n'y a pas d'experts en la matière.
Il y a une hypocrisie de la part du corps médical et des politiques. Et même une manipulation, parce qu'on nous fait croire que la loi Leonetti résout tout. La sédation profonde et continue, même lorsqu'un malade la réclame, n'est pas toujours accordée. Il suffit de tomber sur un médecin qui considère que la personne n'est pas absolument en fin de vie. Tout ceci est pour moi une mascarade. Je suis sûre qu'on arrivera à ce que la France légifère sur la fin de vie. Il faut juste que des hommes et des femmes s'y attèlent. Ça concerne 100% des français, c'est un droit fondamental."
- Vous avez eu une longue conversation téléphonique avec la ministre de la Santé Agnès Buzyn en juillet. Qu’attendez-vous du nouveau gouvernement ?
Anne Bert : "J'attends quelque chose de Mme Buzyn. Evidemment elle ne peut pas se dédire de la position de M. Macron puisque lui dit que ce n'est pas urgent qu'il faut voir comment la loi Leonetti peut vivre. Cela représente encore deux années voire trois de réflexion. Ça n’est pas possible, alors que la ministre est, elle, personnellement en accord avec la loi belge. Donc il y a effectivement un antagonisme entre sa position personnelle et sa position gouvernementale."
- Vous espérez malgré tout que les choses changent ?
Anne Bert : "Il ne peut pas y avoir de débat éternellement. Il n’y qu'à s'inspirer de la loi belge. C'est absurde, il suffit de passer quelques kilomètres pour bénéficier de cette loi. Je suis sûre qu’on arrivera à légiférer sur l’euthanasie. C'est une question de temps, mais j'espère que ça sera une question de temps court. Tant qu'on discute encore, il y a des gens qui crèvent. J'emploie le mot à bon escient : ce sont des gens qui ne meurent pas comme ils entendent mourir alors qu'il n'y a plus aucun espoir de vivre. Je parle de l'euthanasie mais cela peut aussi être une loi sur le suicide assisté. D'ailleurs, en Belgique, les deux sont autorisés dans la même loi."
- Vous avez décidé d’aller mourir en Belgique. Pourquoi considérez-vous cela comme une violence ?
Anne Bert : "Ce n'est pas satisfaisant de devoir fuir son pays pour mourir. Pratiquement, il faut organiser son départ là -bas avec tout ce que cela comporte de démarches administratives, d'éloignement et de coût. Il faut aussi savoir que votre entourage ne sera pas forcément là pour être à vos côtés quand vous allez mourir. C'est d'une violence inouïe. En plus, la Belgique n'a pas à pourvoir à l'irresponsabilité de la France. Elle n'a pas pour mission de mettre un terme aux souffrances des malades français. La France se déleste de ses responsabilités sur un pays voisin."
(1) Ancien député, rapporteur de la "Loi relative aux droits des malades et à la fin de vie" votée en 2005 et co-rapporteur avec Alain Claeys de la "Loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie".
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