POINT DE VUE. Pourquoi le remboursement des séances chez le psychologue est une fausse bonne idée
La consultation chez un psychologue n'est pas remboursé par l'Assurance maladie, parce qu'ils ne sont pas médecins. Mais le même acte réalisé par un psychiatre peut être pris en partie en charge officieusement, les praticiens les "déguisant" en actes de consultation psychiatrique. Actuellement, l'Assurance maladie expérimente le remboursement des séances chez le psychologue et, si ce dispositif semble séduisant, il apparaît dangereux pour le psychiatre Jean-Christophe Seznec.
L’Assurance maladie entrouvre la porte du remboursement pour les séances chez un psychologue. Il s’agit pour l’instant d’une expérimentation, lancée pour une période de quatre ans dans quatre départements : le Morbihan (depuis février), les Bouches-du-Rhône et la Haute-Garonne (depuis mai) et les Landes (à l’automne).
Les psychologues réclamaient une telle mesure depuis longtemps. En effet, leurs actes de psychothérapie ne sont pas remboursés aux patients par l’Assurance maladie. Or les mêmes actes, réalisés cette fois par des psychiatres, peuvent être pris en charge – au moins pour partie – du fait de leur qualité de médecin. Non pas officiellement, car ces actes ne peuvent pas être côtés en tant que tels. Mais officieusement, les psychiatres les « déguisant » sous des actes de consultation psychiatrique.
Aussi, le dispositif actuellement expérimenté en France paraît séduisant, aussi bien pour les psychologues que pour les citoyens. À y regarder de plus près, il apparaît comme dangereux pour l’évolution de la rémunération de ces actes pour les professionnels et pour la qualité des soins reçus par les patients.
Des patients qui se rendent chez le psychiatre pour leur psychothérapie
Pour les patients, le coût d’une séance avec un psychologue dans le système actuel est la plupart du temps supérieur à celui d’une consultation chez le psychiatre. Aussi bon nombre d’entre eux se rendent chez le psychiatre pour leur psychothérapie. Aux yeux des psychologues, cette différence constitue une concurrence déloyale qui réduit l’accès à leur expertise, en plus d’être source d’une différence de rémunération notable.
Certains patients se trouvent dans un contexte de désert médical, avec très peu d’offres médicales alternatives aux psychologues. De manière générale, les psychologues sont régulièrement confrontés à des patients nécessitant une psychothérapie mais n’ayant pas les moyens de la financer.
Par ailleurs, des thérapies telles que les thérapies comportementales et cognitives ont montré scientifiquement leur efficacité dans des maladies comme les troubles anxieux, les troubles obsessionnels et compulsifs ou la dépression légère à modérée, ainsi que dans la prévention de la rechute. Il est illogique qu’elles ne soient pas reconnues par l’Assurance maladie au même titre qu’une prise en charge par des médicaments, parfois sources d’effets indésirables. Il est donc compréhensible que les psychologues demandent à la fois la reconnaissance de leurs actes et leur remboursement.
La dérive vers un fonctionnement purement administratif de notre système de soins
Alors que l’Assurance maladie devrait se contenter de rembourser les patients selon une quote-part négociée contractuellement, cet organisme tente désormais de diriger les soins. En 2016, la loi de modernisation du système de santé portée par la ministre d’alors, Marisol Touraine, a institué l’État en garant des soins, lui donnant le contrôle sur la manière de les délivrer. Ainsi l’Assurance maladie et l’État régissent désormais la façon d’exercer des médecins et ce, avec une vision comptable.
Cette dérive a eu plusieurs conséquences néfastes avérées. Les soignants sont englués dans les tâches administratives, comme montré dans mon livre publié en 2016, Médecine en danger, qui pour nous soigner demain ? (Editions First). Ils peuvent se retrouver sanctionnés pour des délits… purement statistiques. Par exemple, un généraliste de Dunkerque (Nord) a été mis sous surveillance l’an dernier par la Caisse d’assurance maladie des Flandres pour avoir prescrit trop d’arrêts de travail comparé à la moyenne de son secteur. En théorie il encourt même une amende, voire une interdiction d’exercer pendant trois mois prononcée de façon unilatérale.
La relation entre le médecin et le malade s’est altérée. Elle est devenue consumériste, avec un patient qui consomme des soins comme il se rendrait chez le coiffeur ou chez l’esthéticienne. On ne peut s’empêcher d’y voir un lien avec l’augmentation des consultations non honorées par les patients et des violences envers les soignants.
Une crise des vocations chez les médecins libéraux
Aujourd’hui, on assiste à une crise des vocations chez nombre de médecins exerçant en libéral, en particulier les généralistes. Certains vont jusqu’à envisager, pour retrouver leur liberté, de quitter la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM).
L’une des possibilités consiste à s’installer à l’étranger, la Suisse par exemple attirant aussi bien des généralistes que des chirurgiens français. L’autre option est de passer en « secteur 3 », secteur libre et non contractuel avec la CPAM – les actes étant entièrement à la charge des patients.
Dans l’expérimentation actuelle concernant les actes des psychologues, on retrouve la logique administrative et comptable à l’origine d’une crise des vocations chez certains médecins. En effet, la CPAM a instauré des conditions précises pour le remboursement des consultations.
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Le prix des consultations est de 22 euros la demi-heure et 32 euros les 45 minutes, sans dépassement d’honoraires.
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Ces consultations s’effectuent uniquement sur la prescription préalable d’un médecin.
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La première consultation est de 45 minutes.
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Ensuite, le patient bénéficie de 10 consultations de 30 minutes, avec un rapport du psychologue à envoyer au médecin.
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Si les soins doivent être poursuivis, sur avis du médecin, le psychologue peut proposer 10 nouvelles consultations de 45 minutes chacune.
Un encadrement très strict des remboursements
À la lumière de ces règles, on peut qualifier l’encadrement de très strict. En effet, la CPAM ne propose pas un remboursement souple en fonction des besoins du patient, mais un remboursement qui contrôle à la fois le volume d’activité et les tarifs. Par ailleurs, les tarifs des consultations sont fondés sur la rémunération des psychologues exerçant à l’hôpital. Or cette rémunération est très basse, comparé aux tarifs pratiqués dans la réalité.
Pendant longtemps, d’ailleurs, les psychologues salariés de l’hôpital public compensaient le bas niveau de leur rémunération en détournant le temps libre prévu dans leur statut pour la formation, l’information et la recherche (sous l’acronyme FIR) pour une activité plus rémunératrice, par exemple des consultations privées. Ce temps FIR est aujourd’hui très encadré.
La rémunération proposée aux psychologues libéraux ne tient pas compte du fait qu’à l’hôpital, le temps consacré à d’autres tâches que la consultation est payé.
Un dispositif aussi tentant que la pomme tendu à Ève par le serpent
Pour les psychologues, ce dispositif encore expérimental est aussi tentant que la pomme tendue à Ève par le serpent dans les jardins du paradis. Cependant, il s’inscrit à l’envers de l’Histoire, au moment où les soignants et l’Assurance maladie s’affrontent, au point que certains rêveraient de pouvoir s’en affranchir.
Les psychologues ont longtemps désiré rentrer dans le système pour que l’on reconnaisse mieux leurs compétences, comme c’est le cas pour les psychiatres. Aujourd’hui l’Assurance maladie leur dit « oui, mais… » en leur proposant, au fond, d’être de simples employés de santé à qui elle donnerait la pièce pour leurs bons services.
Les psychologues, comme tous ceux qui exercent dans les métiers du soin, ne peuvent mettre toute leur attention au service des patients s’ils exercent dans des conditions difficiles. Ils ont besoin, aussi, que l’État les aide à ce que leur pratique soit considérée afin de garantir une relation de qualité avec le patient, seule efficace.
Jean-Christophe Seznec, Psychiatre, chercheur Inserm sur les troubles du comportement alimentaire chez l'adolescent, Université Paris Sud – Université Paris-Saclay
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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