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"C'est un véritable retour en arrière" : comment la pénurie de gynécologues menace la santé des femmes

Article rédigé par Guillemette Jeannot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Un cabinet de gynécologie médicale. (Photo d'illustration) (MAXPPP)

Il y a aujourd'hui en France trois gynécologues médicaux pour 100 000 femmes en âge de consulter et leur nombre a chuté de 42% en dix ans. Cette situation, qui va perdurer quelques années encore, n'est pas sans conséquence pour la santé des femmes.

"J'ai reçu ce matin en consultation une jeune fille de 20 ans, sous pilule depuis cinq ans et suivie par son médecin généraliste." Anne Noblot, gynécologue médicale à Dunkerque (Nord), a posté ce texte sur Facebook, jeudi 10 janvier. Depuis, il a été partagé plus de 24 000 fois. "Cette jeune fille n'a JAMAIS été examinée (je parle d'examen gynéco bien entendu). Elle est porteuse d'un nodule mammaire de 3 cm de diamètre facilement palpable, et d'un herpès génital qui a été catalogué 'mycose' sans contrôle clinique." 

En décrivant ce cas alarmant et loin d'être unique, cette professionnelle de la santé des femmes a voulu, comme elle l'explique à franceinfo, "dénoncer la situation préoccupante que vivent les femmes face à la pénurie grandissante des gynécologues médicaux".

Une disparition programmée

"Impossible de trouver une gynéco. J'obtiens toujours la même réponse : 'Nous ne prenons plus de nouvelles patientes'. Résultat : personne n'a suivi ma ménopause et cela fait bientôt cinq ans que je n'ai pas eu de frottis". Ce témoignage est l'un des 3 500 reçus, en 2017, par le Comité de défense de la gynécologie médicale (CDGM). Ce comité, créé par un collectif de gynécologues et de femmes, se bat depuis 1997 pour que les femmes soient correctement suivies. 

Contrairement aux gynécologues obstétriciens, qui pratiquent les actes de chirurgie et les accouchements, les gynécologues médicaux assurent, eux, le suivi gynécologique des femmes tout au long de leur vie. Installés dans des cabinets en ville, ils sont de moins en moins nombreux à exercer. Marie Stagliano, coprésidente du CDGM, tire la sonnette d'alarme.

Aujourd'hui, il y a en moyenne trois professionnels pour 100 000 femmes en âge de procréer et donc de consulter, c'est très inquiétant.

Marie Stagliano, coprésidente du Comité de défense de la gynécologie médicale

à franceinfo

Entre 2007 et 2017, le nombre de gynécologues médicaux a chuté de 42%. En 2017, le Conseil national de l'Ordre des médecins (CNOM) a recensé six départements totalement dépourvus de gynécologues. Et cette désertification touche aussi bien les campagnes que les villes. Paris a perdu, en huit ans, 43% de ses gynécologues médicaux. En banlieue parisienne, certaines villes comme Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) ou Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) sont totalement dépourvues de gynécologues libéraux.  

Le Dr Jean-Marcel Mourgues, en charge de la section Santé publique et démographie médicale au sein du Conseil national de l'ordre de médecins, confirme à franceinfo, chiffres à l'appui, ce déficit lié au renouvellement générationnel : "Malgré la récente augmentation des places en internat, une très forte baisse va prochainement s'opérer avec la vague de départs à la retraite." Sur les 1 054 médecins en activité en 2018, plus de la moitié ont 60 ans et plus. Et seuls 82 postes en internat ont été ouverts pour la rentrée de 2017. "Nous sommes loin du 'un pour un'", déclare le médecin.

Comment expliquer une telle situation ? "En 1987, le ministère a supprimé la spécialité gynécologie médicale, dans le silence le plus total", explique Marie Stagliano, la coprésidente du CDGM. En cause, un coût financier qui avait poussé les pouvoirs publics à la réduction d'un certain nombre de spécialités.

La motivation de cette suppression était également liée à l'harmonisation européenne des diplômes, la France étant le seul pays à enseigner la gynécologie médicale.

Marie Stagliano, coprésidente du CDGM

à franceinfo

Ce n'est qu'en 2003 que le gouvernement rétablit cette discipline, rappelle Marie Stagliano, "grâce à la volonté des femmes dans la rue, qui ont fait plier Kouchner et Mattei", ministres de la Santé au début des années 2000. Mais le chemin est encore long. Des 130 places annuelles en internat ouvertes par le gouvernement avant 1987, on est passé à seulement une vingtaine de 2003 à 2011. Depuis, si le nombre de places ne cesse d'augmenter, il est étudié chaque année et reste insuffisant pour assurer le simple remplacement des départs à la retraite. Le Comité de défense de la gynécologie médicale estime qu'il faudrait l'ouverture de 120 places par an.

Face à cette pénurie, certaines femmes se tournent vers leur généraliste, à l'instar du cas décrit par la gynécologue Anne Noblot dans son post Facebook. Cet exemple démontre que tous les médecins ne semblent pas être en capacité d'assurer le suivi gynécologique de leurs patientes. En témoigne le récit d'une femme médecin, qui a répondu au texte d'Anne Noblet et qui effectue des remplacements dans le Nord de la France.

Je remplace essentiellement des hommes. Très peu d'entre eux font de la gynécologie, seulement un quart d'entre eux possèdent du matériel pour réaliser un frottis par exemple. Il y a donc un manque certain de formation et/ou d'intérêt de certains médecins.

Claire van Marie, médecin généraliste

sur Facebook

Une régression pour la santé des femmes

"Les progrès de la médecine ont beau être importants, la suppression ou diminution des gynécologues médicaux est un énorme recul, il faut y remédier au plus vite", déclare, parmi d'autres, l'une des 3 500 femmes interrogées par le Comité de défense de la gynécologie médicale. Et ce recul n'est pas sans conséquence pour la santé des femmes.

On va se retrouver avec des dépistages tardifs, des frottis anormaux, une augmentation des cancers du col de l'utérus, des problèmes d'infections, des IST difficiles à détecter, des pathologies du sein. Quant à la ménopause, il n'y a que les gynécologues médicaux qui s'en occupent.

Pia De Reilhac, gynécologue

à franceinfo

Cette pénurie de spécialistes peut également "handicaper les femmes dans leur contraception". Un droit chèrement acquis selon Marie Stagliano, pour qui "la pilule a été un énorme progrès car elle a permis un suivi plus régulier des femmes. Et ce suivi a permis une diminution spectaculaire du nombre de cancers du col de l'utérus, divisé par trois en vingt ans." 

Autre conséquence de cette insuffisance : l'accès à l'information sur la sexualité et le suivi gynécologique se compliquent pour les plus jeunes. Les équipes du Comité ont réalisé, en 2017, une enquête auprès des étudiantes de la faculté de Cergy : 40% des jeunes filles ne connaissaient pas l'existence des gynécologues médicaux.

Les jeunes femmes ne viennent plus discuter avec les gynécologues devenus difficiles d'accès, et l'éducation à la sexualité, quand elle est faite par YouPorn, ce n'est pas terrible.

Pia De Reilhac, gynécologue

à franceinfo

Pour Pia De Reilhac, présidente de la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale, c'est un "véritable retour en arrière" qui s'opère"En France, les femmes étaient, et sont encore pour un temps, bien suivies. Les femmes soignées pour un cancer du sein ont une espérance de vie bien meilleure en France qu'ailleurs en Europe. Nous avons l'un des taux les plus faibles d'hystérectomie (l'ablation de l'utérus) : 6,7% à 50 ans, contre 40% aux Etats-Unis et 20 à 30% dans le reste de l'Europe."

Un avenir encore compliqué pour la profession

"Pendant les dix, quinze prochaines années, la pénurie va aller en s'aggravant", constate le docteur Pia De Reilhac, qui s'attelle à trouver des solutions avec les unions professionnelles des médecins généralistes et des sages-femmes. "Le gouvernement ne nous aide pas forcément. Il nous écoute mais c'est à nous de trouver des solutions", déplore la gynécologue. L'un des axes de travail de ces professionnels réunis est d'assurer, malgré la pénurie, le suivi gynécologique des femmes pour qu'elles ne subissent pas de retard dans leur prise en charge.

Nous en sommes au début. La question est de savoir où s'arrête la surveillance des médecins généralistes et des sages-femmes et où débute celle des gynécologues médicaux.

Pia De Reilhac, gynécologue

à franceinfo

Mais cette solution ne semble pas plaire à tout le monde. "Nous sommes plus inquiètes que rassurées, car cette tentative de pallier la pénurie met en danger la vie des femmes. Les sages-femmes ne sont pas formées pour, ce n'est pas un mois de formation qui va combler 11 ans d'études", dénonce la coprésidente du Comité de défense de la gynécologie médicale.

Des propos dénoncés par plusieurs associations de sages-femmes qui ont publié, lundi 4 février, un communiqué remettant en cause "les conséquences délétères sur la santé des femmes" décrites dans notre article*. Ces collectifs mettent en avant "le rôle essentiel des sages-femmes dans le suivi gynécologique" et rappellent "que les sages-femmes sont compétent(e)s dans la réalisation de consultations de contraception et de suivi gynécologique (...), œuvrant ainsi au maintien de la bonne santé génésique et sexuelle des femmes".

Une situation déjà décrite à franceinfo en décembre 2017 par Marie-Anne Poumaer, présidente de l'Union nationale et syndicale des sages-femmes : "Nous sommes (...) parfaitement capables d'assurer le suivi gynécologique des femmes en bonne santé, même quand elles ne sont pas enceintes". La dirigeante de l'UNSSF constatait au passage avec regret que "le public [ne soit] pas informé de nos compétences". Les associations de sages-femmes affirment par ailleurs dans leur communiqué que "plusieurs professionnel(le)s de santé sont compétent(e)s pour assurer le suivi gynécologique : médecins généralistes, gynécologues-obstétriciens et sages-femmes."

Côté patientes, toutes ne sont pas disposées à parler d'intimité avec leur médecin de famille. En attestent les nombreux témoignages recueillis par le Comité de défense de la gynécologie médicale : "Je ne fais pas confiance au médecin traitant, qui n'est pas spécialisé, et je serais même un peu gênée." Ou encore : "Je n'aurais jamais aimé parler de ma vie intime avec un généraliste. Seule une spécialiste dans le domaine peut répondre à toutes nos questions." 

Une lente prise de conscience

Pour beaucoup, la solution à moyen terme semble résider du côté des étudiants en médecine. Cela n'empêchera pas de faire face à un creux générationnel chez les gynécologues médicaux mais Albane Vandecandelaere, présidente de l'Association nationale des internes en gynécologie médicale, confirme l'implication de ses camarades.

C'est une spécialité qu'on ne peut pas choisir par défaut, elle a une histoire particulière, bien à elle, beaucoup de personnes se sont battues pour la faire réapparaître et, en tant qu'interne de gynécologie médicale, on se doit de continuer à la faire vivre et de prouver, encore et toujours, notre utilité.

Albane Vandecandelaere, présidente de l'Association des internes en gynécologie médicale

à franceinfo

Les étudiants, plus nombreux en internat à chaque rentrée, "hyper motivés" selon le Docteur Pia De Reilhac, "ont bien conscience de cette situation critique."   

Cette prise de conscience semble plus lente du côté des pouvoirs politiques. Marie Stagliano, via le Comité de défense de la gynécologie médicale, interpelle chaque année, et sans relâche, le ministère des Solidarités et de la Santé à ce sujet. Elle demande notamment la réalisation d'une campagne médiatique auprès des jeunes femmes et un plus grand nombre de places en internat. "Mais nous avons aucune réponse du gouvernement, alors qu'il faudrait qu'il prenne la question à bras le corps" regrette la coprésidente du CDGM. Contacté, le ministère n'a pas donné suite aux sollicitations de franceinfo.

* Notre article a fait l'objet d'une mise à jour et d'une nouvelle publication mardi 5 février.

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