Présidentielle 2022 : pourquoi franceinfo se focalise sur le tabou de la santé mentale
La pandémie de Covid-19 a renforcé les troubles psychiques, dont une personne sur quatre est atteinte à un moment de sa vie, selon l'Organisation mondiale de la santé.
Cet article fait partie de notre opération "Les focus de franceinfo", qui met en avant des sujets-clés peu traités dans la campagne présidentielle : le coût du logement, la crise de l'hôpital public, le tabou de la santé mentale et l'empreinte carbone des transports.
Depuis deux ans, les études s'accumulent et ne se contredisent pas : la santé mentale des Français se dégrade. Le phénomène est même planétaire puisque l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a tiré le signal d'alarme le 22 juillet 2021, après plus d'une année d'une crise sanitaire. La pandémie de Covid-19 aura un impact "à long terme et d'une grande portée" sur la santé mentale, prévenait alors l'OMS.
Alors que cette thématique peine à s'imposer dans la campagne présidentielle, franceinfo a choisi de l'intégrer dans une série de "focus", publiée à quelques semaines du scrutin. Quatre dossiers, composés de reportages et d'analyses, sur des sujets parfois éclipsés du débat public. Outre le tabou de la santé mentale, la crise de l'hôpital public, l'empreinte carbone des transports et le coût du logement font partie de cette série.
Pourquoi franceinfo en parle
Fièvre, toux, éternuements... Vous les reconnaissez ? Ces symptômes physiques ont fait l'actualité avec le Covid-19. Pourtant, la pandémie n'a pas seulement affecté nos corps. La propagation rapide du virus, la contamination et/ou le décès d'un proche, l'isolement, l'interruption des soins, la baisse de la sociabilité, le manque d'exercice physique, le brouillage des lignes entre vies personnelle et professionnelle... Nos psychés ont aussi été touchées.
Ces difficultés ne datent pas de la pandémie. Les troubles relevant de la santé mentale (anxiété, épisode dépressif non-caractérisé) et de la psychiatrie (dépression, addictions, troubles du comportement, bipolarité...) se classent au troisième rang des affections les plus récurrentes, après les cancers et les problèmes cardio-vasculaires, selon l'OMS. Une personne sur quatre en moyenne y sera confrontée au cours de sa vie, prévenait déjà l'organisation des Nations unies en 2001 (en PDF).
Mais la situation sanitaire a exacerbé ces problématiques. Près d'un adulte sur cinq (17%) en France montre des signes d'un état dépressif, et près d'un sur quatre (23%) témoigne d'un état anxieux, selon la dernière vague de l'enquête CoviPrev de Santé publique France, réalisée en février. Ils n'étaient respectivement que 10% et 14% avant la pandémie. Par ailleurs, 10% des Français ont eu des pensées suicidaires au cours de l'année 2021, selon cette même enquête. Soit deux fois plus qu'avant le Covid-19. Les plus jeunes, les femmes et les personnes précaires ont été particulièrement touchés.
Le chiffre : un malade sur deux n'est pas soigné
En dépit de cette large prévalence des troubles psychiques, 40% à 60% des personnes qui en font l'expérience ne sont pas prises en charge, selon la Mutualité française (en PDF), une fédération de mutuelles. Pourtant, il s'agit de la catégorie de pathologies qui représente le coût le plus élevé pour l'Assurance-maladie, rappelle le ministère de la Santé. Une faible prise en charge d'autant plus dommageable que les troubles psychiques sont intimement liés aux autres formes de maladies. Les personnes dépressives ont par exemple 30% de chances en moins d'être en bonne santé cardiovasculaire, note l'Inserm.
Comment expliquer ce retard ? "On a tendance à minimiser ou à ne pas se rendre compte" de sa propre souffrance, avance Maurice Bensoussan, président du Syndicat des psychiatres français, alors qu'un tabou persiste autour des maladies mentales, souvent assimilées à la folie. Le psychiatre fait aussi état d'un manque de connaissances des différents professionnels qu'il est possible de consulter.
De nombreuses inégalités territoriales et économiques persistent également dans l'accès aux soins. Seuls 597 pédopsychiatres étaient inscrits à l'Ordre des médecins en 2020, contre 1 235 en 2007, constate la Mutualité française. Dans 17 départements français (dont l'Allier, l'Ariège ou le Cantal), il n'y avait aucun praticien enregistré. Les taux d'équipement en établissement psychiatrique par habitant varient du simple au double selon les départements, note également la fédération.
La question à se poser : comment savoir si je dois consulter un professionnel ?
Pour se repérer, Santé publique France distingue deux types d'atteintes à la bonne santé mentale. La première est la "détresse psychologique réactionnelle", induite par "les situations éprouvantes et difficultés existentielles" comme le deuil, l'échec relationnel ou scolaire. Lorsque cette détresse "est temporaire et fait suite à un événement stressant, elle est considérée comme une réaction adaptative normale" et ne nécessite pas d'intervention thérapeutique, écrit l'agence de santé. En clair, "être en bonne santé mentale ne veut pas dire ne pas ressentir de difficultés", rassure le psychiatre Maurice Bensoussan. "Ressentir une émotion comme la tristesse ou l'anxiété n'est pas le signe d'une maladie. Tout comme il y a des formes d'hyper-normalité, avec des attitudes de mise à distance des problèmes, où on ne ressent rien, qui ne sont pas des signes d'épanouissement", souligne-t-il.
En revanche, lorsque cette détresse "devient intense et perdure, elle peut constituer l'indicateur d'un trouble psychique." Si vous en ressentez le besoin, il ne faut donc pas hésiter à s'adresser à un professionnel, comme son médecin généraliste ou un psychologue.
Le second type d'atteinte à l'équilibre mental, ce sont les "troubles psychiatriques". Ils se réfèrent à des classifications "qui relèvent d'actions thérapeutiques ciblées et d'une prise en charge médicale". "Lorsqu'on n'arrive plus à travailler, à manger, à dormir, ou quand on a des pensées suicidaires", notamment, il est donc impératif d'en parler à son médecin généraliste, qui fera un premier diagnostic et vous redirigera vers un professionnel de la psychiatrie.
Qu'en disent les candidats à la présidentielle ?
Le sujet de la santé mentale reste peu discuté depuis le début de la campagne présidentielle et peine à exister au sein des programmes, particulièrement à droite et à l'extrême droite. Valérie Pécresse souhaite tout de même faire de la santé mentale une "grande cause" – tout comme la candidate socialiste Anne Hidalgo – en donnant la "priorité" à "la déstigmatisation et à la recherche" et en créant un "institut national de la santé mentale".
Parmi les autres propositions des candidats, Jean-Luc Mélenchon veut mettre en place un grand plan pour renforcer les réseaux de Centres médico-psychologiques (CMP), rouvrir des lits publics en psychiatrie ou encore augmenter le nombre de places en faculté de médecine dans la filière psychiatrique. Le candidat communiste Fabien Roussel veut lui aussi augmenter le personnel de santé en psychiatrie via la présentation au Parlement d'une loi-cadre en faveur de la psychiatrie. Yannick Jadot a pour objectif d'instaurer un suivi de la santé mentale remboursé par la Sécurité sociale, avec une attention particulière portée aux populations les plus touchées (agriculteurs, étudiants, personnes victimes d'addictions, sans-abri, migrants). Il prévoit également de multiplier les bureaux d'aide psychologique universitaires et souhaite mettre en place un remboursement sans avance de frais des consultations de psychologie de ville pour les moins de 25 ans.
Si vous avez besoin d'aide, vous pouvez appeler le 3114, le numéro national de prévention du suicide. La ligne Suicide écoute, pour les personnes confrontées au suicide d'un proche, est joignable au 01 45 39 40 00. Pour les plus jeunes, le Fil santé jeunes est accessible au 0800 235 236 ou par tchat sur filsantejeunes.com
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