En France, les super-centenaires sont surreprésentés aux Antilles sans que l'on sache vraiment pourquoi

Les super-centenaires, ces personnes âgées d'au moins 110 ans, sont de plus en plus nombreux en France. Selon une étude de l'Ined, ils sont jusqu'à huit fois plus nombreux en Guadeloupe et en Martinique par rapport à la France hexagonale, pour des raisons qui restent à élucider.
Article rédigé par Louis Mondot
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
En France, en 2022, 39 personnes sont décédées à 110 ans ou plus, des femmes pour l'écrasante majorité. (FOTOSTORM / E+)

Une étude publiée mercredi 24 avril par l'Ined, l'Institut national d'études démographiques, révèle que les centenaires sont de plus en plus nombreux en France au point qu'une nouvelle catégorie de population prend aussi de l'ampleur : les super-centenaires, ces personnes qui atteignent ou dépassent les 110 ans.

En 2022, 39 personnes sont décédées à 110 ans ou plus, des femmes pour l'écrasante majorité. Découverte inattendue, "en proportion de la population, il y a près de huit fois plus de super-centenaires en Guadeloupe et en Martinique qu'il n'y en a dans la France hexagonale", précise France Meslé, démographe, directrice de recherche à l'Ined et co-autrice de l'étude.

franceinfo : Quel était l'objectif de votre étude ?

France Meslé : La première idée, c'est de montrer l'augmentation vraiment spectaculaire des personnes très âgées, c’est-à-dire dépassant 105 ans et même 110 ans. Et ce qu'on veut montrer, c'est que cette augmentation, dans un premier temps, est surtout due à la baisse de la mortalité aux âges antérieurs. Les générations qui naissaient au XIXᵉ siècle s'épuisaient très rapidement en nombre parce qu'il y avait une très forte mortalité infantile, suvie d'une mortalité élevée tout au long de la vie, si bien que n'arrivaient à des âges certains, comme 80 ou 90 ans, qu'une toute petite proportion de la génération qui était alors soumise à des risques de décès de plus en plus élevés. Elle disparaissait très rapidement et n'avait pas le temps d'atteindre 105 ans. Mais à partir de la fin du XIXᵉ siècle, les générations qui sont nées ont d'abord vu la mortalité infantile diminuer, ainsi que la mortalité tout au cours de la vie, si bien qu'elles ont pu amener des contingents assez importants jusqu'à un âge assez élevé et de ce fait, permettre qu'il reste suffisamment de personnes pour vivre encore une dizaine d'années de plus, et donc dépasser 105 ou 110 ans.

Vous évoquez dans votre étude le cas étonnant des Antilles.

C'est un peu une découverte fortuite de nos travaux. En vérifiant tous les cas de décès à des âges très élevés, c’est-à-dire au-delà de 110 ans, on s'est aperçu que la Guadeloupe et la Martinique étaient surreprésentées dans ces super-centenaires, si on tient compte de la taille de la population. En proportion, il y a près de huit fois plus de super-centenaires en Guadeloupe et en Martinique qu'il n'y en a dans la France hexagonale. La question était d'essayer de comprendre cet état de fait.

La première chose, c'est de vérifier que c'était vraiment réel. Quand on trouve un cas de personne décédée à plus de 110 ans, pour être vraiment sûr qu'il n'y a pas eu une erreur à un moment donné, on remonte à l'état civil et au certificat de naissance de la personne pour vérifier qu'il y a bien une personne née 110 ans plus tôt qui correspond à la personne décédée 110 ans plus tard. Cela avait été fait pour les Antilles, mais on avait un petit doute, on se disait que dans ces départements d'outre-mer, l'état civil ne fonctionnait peut-être pas parfaitement à la fin du XIXᵉ siècle ou au début du XXᵉ siècle. Mais toutes les vérifications qui ont pu être faites, en étudiant les familles de ces super-centenaires, en retraçant leur parcours de vie, ont montré que c'était le cas, ces femmes ont effectivement bien dépassé les 110 ans.

Comment peut-on expliquer cette situation particulière ?

On n'a aucune explication clé en main, on évoque un certain nombre d'hypothèses. Peut-être que le contexte environnemental a été plus favorable dans ces îles, dans des milieux un peu plus fermés qu'en métropole. Et puis, il y a aussi d'autres hypothèses qui tournent autour de l'idée de sélection de population, qui serait porteuse de gènes de longévité plus importants. Cela pourrait être une sélection un peu aléatoire. On a relevé d'autres lieux où les personnes vivent plus longtemps, comme certaines régions de la Sardaigne en Italie, l'île d'Okinawa au Japon, l'île d'Ikaria en Grèce, etc.

"Cela peut aussi être une sélection qui pourrait être liée au passé d'esclavage de ces populations antillaises."

France Meslé, démographe à l'Ined

à franceinfo

L'idée derrière serait que si ces personnes esclaves ont subi des conditions extrêmes et notamment lors de la traversée de l'Atlantique, cela aurait contribué à sélectionner un certain type de population qui, pour ceux qui ont réussi à survivre, serait plus résistante et peut-être plus porteuse de gènes de longévité. Cette surreprésentation n’existe pas à La Réunion dont la population est également constituée en majorité de descendants d’esclaves. Ceux-ci n’ont toutefois pas subi la traversée de l'Atlantique, ce qui pourrait expliquer ce phénomène particulier aux Antillais. On a pu remonter la généalogie de beaucoup de ces super-centenaires et on a vu que tous leurs ancêtres étaient des esclaves. Cela dit, c'est aussi le cas d'une bonne partie de la population des Antilles qui n'a pas forcément survécu jusqu'à 110 ans. Il faut vraiment affiner les recherches génétiques si on veut aller plus loin dans ces hypothèses et les confirmer ou les infirmer.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.