: Grand entretien Sidaction : "Le chemin est encore long" pour mettre fin à l'épidémie de VIH, estime l'infectiologue Gilles Pialoux
Quarante ans après sa découverte, le VIH circule toujours en France et à travers le monde, malgré le combat des chercheurs, des médecins, des malades et des associations pour en venir à bout. "Avec 5 000 nouvelles découvertes de séropositivité recensées en France en 2022 et 1,3 million dans le monde, la lutte contre le sida ne doit pas s'arrêter aujourd'hui", alerte l'association Sidaction, qui organise un week-end de mobilisation du vendredi 22 au dimanche 24 mars. Comment expliquer que l'épidémie n'ait pas été vaincue ? Franceinfo s'est entretenu avec Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses de l'hôpital Tenon à Paris et vice-président de la Société française de lutte contre le sida.
Franceinfo : Selon Santé publique France, entre 4 200 et 5 700 personnes ont découvert leur séropositivité en 2022, malgré plus de trente ans de prévention. Quel est le profil de ces personnes nouvellement infectées par le VIH ?
Gilles Pialoux : Ces chiffres prouvent que les objectifs de l'ONU [qui juge "possible" de mettre fin à l'épidémie d'ici 2030] ne seront pas atteints. Parmi ces 5 000 nouveaux diagnostics, 54% concernent des personnes hétérosexuelles (dont plus des deux tiers sont nées à l'étranger) et 41% des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). Ce qu'il est intéressant de regarder, c'est l'évolution de ces catégories. Les HSH nés à l'étranger et les personnes trans contaminées par rapports sexuels sont celles où les nouveaux diagnostics augmentent le plus.
Plus généralement, plus de la moitié des nouveaux diagnostics a été effectuée chez des personnes nées à l'étranger. Il est important de préciser que la majorité de ces populations ont contracté le virus après leur arrivée en France. En 2021 et 2022, 61,7% des HSH nés à l'étranger ont été contaminés sur le sol français, selon une récente étude de l'ANRS. Le temps moyen entre leur arrivée en France et leur contamination est de 7,7 années. Ces personnes ne viennent pas en France pour se faire soigner, contrairement aux idées reçues. Au contraire, cela prouve que le système de soins ne les protège pas assez.
Le nombre de personnes nouvellement infectées par le VIH est plus faible en 2022 qu'en 2019. Faut-il s'en réjouir ?
Cette baisse est faible mais évidemment positive. En revanche, on peut faire mieux. Les pays anglo-saxons enregistrent des baisses de contaminations beaucoup plus importantes. En France, il a fallu attendre décembre 2023 pour que Santé publique France lance une grande campagne de prévention combinée [qui mêle plusieurs outils de prévention et permet à chaque personne de faire un choix en fonction de sa situation] sur toutes les infections sexuellement transmissibles – et pas uniquement sur le VIH.
Ce n'est pas pour jeter la pierre à Santé publique France. Au contraire. Il faut que l'Etat donne plus de moyens à cette structure pour mettre au point des campagnes grand public, qui soient diffusées sur toutes les chaînes de télévision, à des heures de grande écoute, et sur les réseaux sociaux.
En 2022, 43% des infections à VIH ont été découvertes à un stade tardif de l'infection, une proportion qui ne diminue pas depuis plusieurs années. Or un dépistage tardif compromet les chances du malade. Comment expliquer ces retards ?
C'est une grande source de consternation. Encore aujourd'hui, entre 28% et 30% des nouveaux diagnostics sont faits au "stade sida" [lorsque le VIH a réussi à faire s'effondrer le système immunitaire]. Pour un médecin comme moi, qui ai vu les premiers patients touchés par la maladie en 1983, c'est extrêmement choquant. A l'hôpital Tenon, où j'exerce, on voit quotidiennement ce genre de patients. Ce qui est inquiétant, c'est que ce chiffre ne bouge pas depuis 2012.
Ces diagnostics tardifs concernent toutes les tranches de la population, y compris les personnes hétérosexuelles nées en France. Les HSH, eux, sont les moins concernés par ces diagnostics, puisqu'ils sont dépistés régulièrement. Ce dépistage tardif est une double perte de chance. Une personne dépistée très tardivement a dix fois plus de probabilité de mourir dans les six mois suivant le diagnostic. C'est aussi un risque pour la population, car une personne non dépistée, et donc non traitée, est contaminante.
Comment expliquez-vous cette situation ?
C'est une responsabilité collective. Le problème, c'est le manque de communication. Pourtant, le plan de santé sexuelle mis en place par le ministère de la Santé jusqu'en 2030 est très bien. Par ailleurs, le fait de pouvoir effectuer des tests sans ordonnance dans toutes les villes et dans tous les laboratoires de France dès qu'on est majeur est une très bonne initiative en termes de prévention.
"Il y a de bonnes mesures, mais elles ne sont pas encore à la hauteur des enjeux de cette épidémie."
Gilles Pialoux, infectiologueà franceinfo
Comment faire pour améliorer la prévention ?
Tout d'abord, il faudrait que tous les Français soient mieux informés. Je suis sûr que la plupart des personnes qui liront cet entretien ne savent pas que tout adulte âgé d'entre 15 et 70 ans devrait se voir proposer un test de dépistage au moins une fois dans sa vie, selon les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS).
Deuxièmement, les populations à risques doivent être dépistées régulièrement. Ce ne sont pas uniquement les HSH et les migrants, il y a aussi les personnes multipartenaires, celles qui ont des rapports non consentis ou des rapports tarifés. En outre, tous les HSH devraient faire un test de dépistage tous les trois mois. Or les seuls qui réalisent ces tests sont ceux qui prennent la PrEP [un traitement préventif qui empêche le VIH d'entrer dans le corps].
Enfin, les médecins ne se sont pas assez saisis des dépistages. Quand on regarde les 6,5 millions de tests effectués en 2022, en augmentation de 3% par rapport à l'année précédente, c'est encore largement insuffisant. On a simplement rattrapé le retard dû à la crise sanitaire. C'est pourquoi j'enseigne aux étudiants en médecine qu'ils doivent banaliser les tests VIH, des hépatites et des infections sexuellement transmissibles.
"A la moindre ordonnance de prise de sang, que ce soit un renouvellement de pilule ou un contrôle pré-opératoire, cela ne coûte rien d'ajouter un dépistage du VIH."
Gilles Pialoux, infectiologueà franceinfo
Depuis juin 2021, la PrEP peut être directement préscrite par un médecin généraliste. Ce traitement est-il suffisamment utilisé ?
C'est une vraie réussite. En 2022, 65 000 personnes prenaient la PrEP, ce qui correspondait à une augmentation de 39% en un an. En tout, 41% des primo-inscriptions l'étaient via la médecine de ville, ce qui prouve que le système fonctionne. En revanche, il faudrait que la prescription de la PrEP soit élargie et qu'elle ne concerne plus seulement les HSH blancs de 40 ans en moyenne et, dans une moindre mesure, les personnes trans et les travailleurs du sexe. Je pense notamment aux femmes, qui représentent 34% des nouveaux diagnostics mais seulement 4% des personnes utilisant la PrEP, mais aussi aux personnes multipartenaires, aux jeunes âgés de 16 à 20 ans... Cela peut concerner toutes les catégories de la population.
Le nombre de cas baisse en France, mais qu'en est-il ailleurs dans le monde ?
Pour commencer, j'aimerais parler des objectifs de l'ONU pour 2030. On appelle cela le "95-95-95". L'ambition est à la fois d'avoir réussi à diagnostiquer 95% de personnes vivant avec le VIH dans le monde, que 95% de ces personnes diagnostiquées aient un traitement et que 95% des personnes sous traitement aient une charge virale indétectable, qui empêche la transmission du virus. Toutefois, que ce soit en France, dans les pays développés ou ailleurs dans le monde, on n'y est pas. Au niveau mondial, en 2022, on était plutôt de l'ordre de 86% de personnes diagnostiquées, 76% traitées et 71% avec une charge virale indétectable. Le chemin est encore long. En France, on manque de données récentes mais le premier 95% est loin d'être atteint. On estime à 28 000 le nombre de personnes qui ignorent leur séropositivité.
Cela fait maintenant quarante ans que le virus a été découvert par des chercheurs français. Où en est la recherche sur les traitements ?
Lors de la conférence annuelle sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI) qui s'est tenue début mars à Denver, aux Etats-Unis, les scientifiques ont montré qu'ils sont très actifs sur la recherche de nouveaux antirétroviraux.
"Même si nous n'avons pas besoin de nouveaux médicaments, ceux existant étant suffisamment efficaces, nous avons besoin de nouvelles formules qui soient moins contraignantes que les traitements actuels et participent mieux à la prévention."
Gilles Pialoux, infectiologueà franceinfo
C'est notamment le cas des molécules à prendre une fois par semaine ou des solutions injectables une fois tous les deux ou tous les six mois. Des recherches sont également menées pour mettre au point des implants, sur le modèle des implants contraceptifs, qui diffusent la molécule pendant un an ou encore des anneaux vaginaux.
Un autre point important, c'est la reprise de la recherche vaccinale, qui était quasiment à l'arrêt. Le seul essai de vaccin préventif date des années 2000 et n'avait que 31% de protection, ce qui était très insuffisant. Depuis, toutes les autres tentatives de vaccins ont été des échecs. Mais le Covid-19 a relancé la recherche vaccinale. C'est très important, car malgré toutes les avancées dans les autres domaines [prévention, prise en charge, médicaments], il y a une place pour un vaccin. Cela permettrait de ne plus dépendre d'un traitement, encore très contraignant, ou des dépistages.
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