Cet article date de plus de sept ans.

Vie privée, santé, travail... Trois chiffres qui montrent l'ampleur des discriminations dont sont victimes les séropositifs

"La lutte contre le sida est aujourd'hui une lutte contre les discriminations", affirme Aides. L'association rappelle qu'elles sont aussi un frein à la prévention et aux soins.

Article rédigé par franceinfo - Alice Maruani
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Un prisonnier sri lankais porte le ruban rouge à l'occasion de la journée mondiale de lutte contre le sida dans la prison de Colombo, en décembre 2015. (LAKRUWAN WANNIARACHCHI / AFP)

"On ne meurt presque plus du sida", mais la maladie fait toujours peur. C’est le constat d'Aides dans son dernier rapport, rendu public mercredi 30 novembre. D'après l'enquête de l'association, 30% des personnes séropositives ont été victimes de discrimination dans les 12 derniers mois, soit presque deux fois plus que le reste de la population (16%).

Pourtant, depuis les premiers traitements antirétroviraux du milieu des années 1990, peu efficaces et bardés d’effets secondaires, les progrès médicaux ont été considérables. Aujourd’hui, les quelque 120 000 porteurs du virus dépistés et traités peuvent vivre aussi longtemps que les autres, souligne l'association, et sans risque de contamination. Mais "la société persiste à les considérer comme des bombes virales potentielles", écrit Aurélien Beaucamp, le président d'Aides, en préambule du rapport.

L'étude d'Aides porte sur environ 1 000 individus accueillis par l'association, parmi lesquels figurent plus de 250 séropositifs et une centaine de personnes atteintes d'une hépatite. "Notre biais est que les personnes qui viennent chez nous sont généralement plus précaires que la population générale des séropositifs", précise Adeline Toullier, responsable de l'organisation, à franceinfo. Le rapport montre tout de même que les discriminations n'épargnent aucun domaine de la vie des malades, que ce soit le cercle familial ou amical, le milieu médical ou encore la sphère professionnelle. Franceinfo a sélectionné trois chiffres pour montrer l'ampleur du phénomène.

Un séropositif sur deux rejeté par un partenaire sexuel

D'après le rapport, 43,6% des victimes de discriminations le sont dans le cercle familial. Ainsi, Frédéric, 52 ans, séropositif depuis trente ans, a coupé les ponts avec sa famille depuis plusieurs années, notamment à cause du VIH : "Mon père s'en est servi pour couper les ponts, mais il m'en voulait aussi de mon homosexualité", explique à franceinfo ce survivant du sida. Aujourd'hui encore, il confie que le regard de son entourage est le plus lourd à porter : "Quand on dit à un petit cousin de ne pas boire dans mon verre à un déjeuner de famille, par exemple, ça donne envie de rester seul."

Frédéric dit avoir eu de "la chance" : il a vécu plusieurs années avec un compagnon séronégatif compréhensif. Mais comme 49% des personnes séropositives interrogées par Aides, il a été rejeté plusieurs fois par un partenaire sexuel à cause de sa maladie. "C’est sans nul doute la discrimination la plus violente ressentie par les personnes séropositives : ce rejet produit un effet désastreux sur l’estime de soi, et génère isolement et auto-exclusion", lit-on dans l’étude.

Pour Aides, ces comportements sont "irrationnel(s)" et dénotent une méconnaissance de la maladie. En effet, 86% des séropositifs sous traitement ont une charge virale indétectable, et donc quasiment aucune chance de transmettre le virus, "même en cas de relations non protégées". Mais, vraisemblablement, le message ne passe pas. D'où la dernière campagne d'Aides, avec ses quatre photos de nus en noir et blanc et son slogan "les séropositifs sous traitement peuvent transmettre beaucoup de choses, mais pas le virus du sida", qui a cherché à marquer les esprits.

Refus de soins pour 10% des séropositifs 

"Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le milieu de la santé reste l’un des principaux terrains de discriminations", relève Aides, ce qui limiterait l’accès aux soins et la prévention auprès des séropositifs et des populations sensibles. Ceci les empêchant de se soigner correctement et de contaminer d’autres personnes. Bref, c’est un cercle vicieux. "La lutte contre le sida est de plus en plus une lutte contre les discriminations", abonde Adeline Toullier. L'association évoque notamment l’exemple des usagers de drogues, dont la stigmatisation, "y compris dans les lieux de soins, compromet les efforts en matière de santé publique engagés depuis vingt ans."

Presque un quart des personnes séropositives (23,6%) ont été victimes de pratiques discriminatoires dans le domaine médical au cours de l’année écoulée. Ainsi, Frédéric a récemment été qualifié de "dangereux" par deux infirmières d'un service de médecine nucléaire, car il n'avait pas mentionné sa séropositivité en prenant rendez-vous. Elles l'avaient découverte dans son dossier. "Elles criaient d'un bout à l'autre de la salle d'attente que j'avais le sida, raconte-t-il. Ensuite, elles m'ont dit que c'était des 'populations particulières' qui étaient porteuses du VIH." Pour signaler cet incident, Frédéric a écrit un courrier à l'hôpital, qui l'a presque dissuadé de se faire soigner. "Parce qu'à quoi bon, quand on n'est pas considéré comme une personne ?"

Malgré l'évolution positive de sa maladie – sa charge virale est indétectable , Frédéric a été confronté à un autre refus de soins il y a quelques mois, au moment de changer de dentiste. Un premier médecin a refusé de lui accorder un rendez-vous, lâchant "c'est trop pour moi". Au second, il n'a mentionné sa séropositivité qu'au moment de la deuxième consultation, se faisant traiter "d'irresponsable". Selon Aides, cette discrimination est "la forme la plus grave et la plus délétère pour la personne touchée" : 10,2% des personnes interrogées par l’étude se sont vu refuser des soins dans les deux ans précédents. La précarité ou l'apparence vestimentaire des malades sont aussi des facteurs aggravants, signale l'association. 

D’après Aides, le refus de soins est particulièrement courant chez les dentistes et les gynécologues. Pourtant, dans les cabinets, "les règles d'hygiène et de stérilisation sont les mêmes, car le virus est très fragile" pointe l'association. De telles pratiques sont illégales, mais dans les faits, les sanctions contre les soignants sont rares, car "la priorité des séropositifs qui se voient refuser des soins est de trouver un soignant, pas de remplir des papiers", explique Adeline Toullier. Des observatoires de refus de soins ont été mis en place par la loi Santé en janvier 2016, pour endiguer le phénomène.

Cinq fois plus de risques de se retrouver sans emploi et des difficultés au quotidien

L’enquête de 2015 ne mentionne pas directement les discriminations dans la sphère professionnelle, difficiles à chiffrer, mais en 2011 l'association soulignait que les porteurs du virus font face à un risque d’être sans emploi cinq fois plus élevé que pour le reste de la population. Une autre étude, publiée le 4 novembre dernier, montre également que le taux de chômage des personnes séropositives a augmenté beaucoup plus vite que celui de la population générale entre 2003 et 2007.

Pour ses auteurs, il s’agit là d’un paradoxe : la maladie étant mieux traitée, moins de personnes séropositives bénéficient du statut de travailleur handicapé, et donc du dispositif de maintien dans l’emploi. Ce qui ne les empêche pas de rencontrer quelquefois, dans le cadre professionnel, des difficultés liées à leur maladie. Adeline Toullier compare  les séropositifs aux 15 millions de personnes atteintes d'une maladie chronique : "La compatibilité est difficile avec le milieu professionnel, entre les coups de mou et les rendez-vous médicaux." "Avec l’augmentation du nombre de maladies chroniques, il va sérieusement falloir nous remettre en question", poursuit-elle.

Beaucoup de séropositifs cherchent à cacher leur maladie à leurs employeurs, comme Frédéric. Dans les années 1980, alors chef de produit dans le textile, il était devenu "maître en mensonges et en acrobaties". C'est encore le cas aujourd'hui. Plusieurs séropositifs hésitent même à parler de leur séropositivité à leur médecin du travail, condition pour bénéficier du statut de travailleur handicapé, explique Aides dans un rapport daté de 2010. D'autres se voient blâmés lorsqu'ils s'absentent pour un arrêt maladie. 

Les discriminations légales perdurent aussi dans cette sphère, car des métiers sont toujours interdits aux séropositifs. Jusqu’en 2015, un malade n’avait ainsi pas le droit d’entrer à Polytechnique ou à l’Ecole de la magistrature, rappelle Aides. Ces interdictions, "qui sont des anomalies d’un autre temps" pour Adeline Toullier, ont été supprimées. Mais un séropositif ne peut toujours pas intégrer l’armée, la police et les pompiers de Paris ou de Marseille. "On ne tient pas absolument à ce que toutes les personnes séropositives soient pilotes de chasse, nuance Adeline Toullier. Mais on souhaite une évaluation juste et au cas par cas de l’état de santé de la personne." Si les traitements sont bien supportés par les patients, la militante considère que rien n'empêche un séropositif de pratiquer le même métier qu'une personne "lambda".

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.