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Espace : comment un anneau de la planète naine Quaoar bouscule les certitudes des astronomes

Ce petit corps céleste à la limite de notre système solaire possède un anneau bien trop grand par rapport à sa taille.
Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Vue d'artiste montrant la planète naine Quaoar, qui se situe à la limite de notre système solaire, et son mystérieux anneau, étrangement éloigné. (ESA, CC BY-SA 3.0 IGO)

La planète Saturne est connue pour ses majestueux anneaux. Mais ces derniers ne sont pas l'apanage des grands corps célestes : il en existe également autour d'astres plus petits, comme ceux que l'on trouve au-delà de Neptune, la dernière planète de notre système solaire. Quaoar, découvert en 2002, est l'un de ces objets. Il orbite très loin de nous : la distance qui le sépare du Soleil est 43 fois supérieure à celle entre la Terre et notre étoile. Cette planète naine, qui fait environ 1 100 km de diamètre – soit la moitié de la taille de Pluton–, possède aussi un anneau. Mais surtout, celui-ci se trouve dans une zone totalement inédite : il est bien trop grand par rapport à ce qui est attendu et documenté ailleurs. Des astronomes, dont des Français, ont annoncé cette découverte dans un article publié dans la revue scientifique Nature (article en anglais), mercredi 8 février.

Pour cette étude, plusieurs instruments ont été mobilisés entre 2018 et 2021, aux Canaries, en Namibie, et dans l'espace avec le télescope spatial Cheops, de l'Agence spatiale européenne (ESA). Celle-ci a partagé une image d'illustration de l'anneau de Quaoar.

Quaoar a un rayon de seulement 550 km, mais celui de son anneau est 7,4 fois plus grand et atteint 4 100 km. De quoi constituer une anomalie à la fois pour les travaux fondateurs dans ce domaine, réalisés en 1850 par le mathématicien et astronome Edouard Roche, et pour les observations effectuées depuis. "C'est la première fois que l'on voit cela", remarque auprès de franceinfo Josselin Desmars, co-auteur de l'article et chercheur à l'Observatoire de Paris.

"Le seul exemple qui n'obéit pas à cette fameuse limite"

Les calculs d'Edouard Roche ont donné naissance à une notion appelée la limite de Roche. "Si un satellite autour d'une planète entre dans la limite de Roche, alors il est disloqué par les forces de marée", explique Josselin Desmars. Autrement dit, si un satellite est trop proche d'un corps céleste, il se désagrège et les résidus forment des anneaux. A l'inverse, si le satellite dépasse la fameuse limite de Roche, alors il n'est plus soumis à des forces trop importantes et peut se maintenir d'un bloc, abonde l'astronome. "Globalement, la limite de Roche se situe à une distance entre deux et trois fois le rayon du corps central. Mais cela peut varier selon la masse de ce corps."

"Alors que tous les anneaux de planètes ou de petits corps se situent à l'intérieur de la limite de Roche, celui de Quaoar en est très éloigné", ajoute sur Twitter le Laboratoire d'études spatiales et d'instrumentation en astrophysique (Lesia). Quaoar "est le seul exemple qui n'obéit pas à cette fameuse limite de Roche", poursuit-il, avec une infographie montrant à quel point son intrigant anneau est loin de la limite.

Comme le montre l'image de gauche ci-dessus, les anneaux de Saturne se situent dans la limite de Roche. C'est aussi le cas pour les trois autres planètes géantes de notre système solaire qui sont des anneaux : Jupiter, Uranus et Neptune. Les scientifiques l'ont également constaté pour Chariklo, en 2014, et Hauméa, en 2017. Comme Quaoar, ces deux objets sont situés dans la ceinture de Kuiper, cette zone qui encercle notre système solaire.

Chariklo, un astéroïde de seulement 250 km de diamètre, compte deux anneaux fins et denses. Ils ont été à nouveau observés fin janvier par le télescope James Webb, rapportait la Nasa (en anglais) le 25 janvier. Chariklo est le plus petit corps que nous connaissons à en être pourvu, comme l'explique cette vidéo de l'observatoire européen austral (en anglais)

Quant à la planète naine Haumea, de forme allongée et d'un diamètre de 1 600 km, elle est, elle aussi, accompagnée d'un anneau. Et celui-ci se trouve dans la fameuse limite.

La limite de Roche a tout d'une "théorie validée", insiste Josselin Desmars pour souligner la surprise des astronomes qui ont observé la grande distance entre Quaoar et son anneau. Alors faut-il jeter la pierre à Roche ? Cette découverte met-elle à mal l'ensemble de son raisonnement ? L'enseignant-chercheur avance que des modélisations montrent que des anneaux sont finalement possibles au-delà de la limite, sous certaines conditions, c'est-à-dire en intégrant de nouveaux paramètres. Plus qu'une remise en cause totale, c'est donc davantage un affinement de la théorie de Roche qui est en train de dessiner.

D'autres observations nécessaires

Des observations supplémentaires sont attendues pour améliorer l'état des connaissances et mieux caractériser l'anneau de Quaoar, qui reste mal connu. "On sait qu'il laisse passer un peu de lumière. En cela, il ressemble plus à des morceaux d'anneau qu'à un anneau en tant que tel", précise Josselin Desmars, relevant que l'ensemble est composé de "particules supérieures à 100 micromètres", donc "plutôt grosses".

Pour savoir si l'anneau de Quaoar est la seule exception à la théorie de Roche, il est nécessaire d'augmenter le nombre d'objets scrutés. Josselin Desmars rapporte qu'entre 100 et 200 cibles ont déjà été identifiées au sein de la ceinture de Kuiper dans le cadre du programme européen Lucky Star, qui n'est plus financé depuis 2021. Le chercheur espère que la récente découverte va attirer l'attention et de nouveaux fonds pour continuer les observations.

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