Ovnis : un Sherlock Holmes brise les rêves des "croyants" avec un logiciel
François Louange est ingénieur de formation et spécialiste de l'analyse des images. En collaboration avec le Cnes, il a développé un logiciel pour enquêter sur les phénomènes inexpliqués. Les pieds sur terre.
Une chasseuse d'orages filme le ciel bourré d'éclairs, sur le flanc de la colline du Fort de Six-Fours-les-Plages (Var). Vers 18 heures, le 3 février, en rentrant chez elle, la jeune femme découvre une image furtive. Un flash rectiligne fend le ciel électrique, puis rebondit comme un vulgaire galet (à environ 0'11" dans la vidéo ci-dessous). Coloration rouge. Un tiers de seconde au total. "Mais quel est cet étrange phénomène ?", s'interroge le quotidien Nice-Matin. Fox Mulder étant indisponible, voici une enquête pour François "Sherlock" Louange, ingénieur à la retraite, spécialiste de l'analyse d'images.
Une foule de paramètres pour "interroger" l'image
Direction Le Fresne, un village normand situé à 950 kilomètres de là. Peluche à l'effigie d'ET, lampe en forme de soucoupe... "Ma fille me bombarde de ces trucs pour me chambrer", sourit François Louange, face à deux écrans. Fasciné par les ovnis – ou Pan ("phénomène aérospatial non identifié") – ce scientifique a développé Ipaco, un logiciel d'analyse photo et vidéo. Consultant pour la Défense, puis pour le groupe d'observation dédié aux Pan – rattaché au Cnes – le retraité poursuit sa quête, depuis son bureau de l'Eure. Déjà, l'ingénieur affûte ses hypothèses.
Méthodique et volubile, François Louange joue sur la vidéo avec les contours, l'orientation... Ce qu'il nomme "les conditions de visualisation". Il peut également extraire des séries de trames pour examiner davantage les images. "Je superpose les sept trames où le flash est visible, et je règle la brillance et le contraste. Là, on dirait que 'ça tape' loin, dans la mer ou sur le sol." L'image est sombre. François Louange cale l'image au moment d'un éclair, pour distinguer le paysage et localiser précisément le site sur Google Earth.
Il décortique également la technique. La scène est tournée avec un iPhone 5C, un modèle déjà enregistré dans la base de données d'Ipaco. François Louange connaît donc la longueur focale, 33 mm. En traçant des segments à la souris sur l'image, il procède à des mesures angulaires des objets, c'est-à-dire un rapport entre la taille et la distance. Ce qui lui permet de connaître la vitesse potentielle de ceux-ci.
Chaque hypothèse est patiemment examinée
L'ingénieur tente de comprendre l'origine du phénomène lumineux. Première option : un trucage vidéo. "Cela consiste à inscruster des objets ou des traces. Il y a des outils vidéo pour le faire sans problème." Mais, dans cet exemple, François Louange écarte l'hypothèse – "j'ai fouillé les structures de pixels, les métadonnées... Ce n'est pas trafiqué". Son logiciel, prolongement d'Ocapi, qu'il a lui-même développé pour l'armée dans les années 1980, permet de lire les balises suspectes sur les photos et de déceler d'éventuelles retouches.
François Louange poursuit les hypothèses. Une météorite ? Les réseaux de détection Fripon et Boam n'ont rien enregistré ce jour-là. "Et puis, leur chute n'est pas autant en biais, à l'approche du sol", ajoute François Louange. Quoi d'autre alors ? Une balle traçante ? "Il y a un fort militaire derrière, mais ce ne sont pas des forcenés ! Ces projectiles atteignent 900km/h. D'après la mesure angulaire, la balle serait alors passée à 50 mètres de la photographe", or elle n'a rien entendu. Foudre en boule ? "J'ai contacté un spécialiste de la question, Raymond Piccoli, qui est catégorique". Des cendres incandescentes provenant d'une cigarette ? "La fille était seule."
Un vol de nuit à tire-d'aile
Les chasseurs d'orages filment dans l'obscurité : il suffit d'une faible lumière pour qu'un objet apparaisse très constrasté. "C'est de l'optique adaptative, l'histogramme s'adapte au noir." Deux projecteurs installés sur le fort militaire de Six-Fours, justement, se trouvent dans le dos de la photographe. Et pourquoi pas un insecte ? Type de vol, fréquence du battement des ailes, taille, vitesse… François Louange et son coéquipier Antoine Cousyn ont fini par trouver le suspect le plus plausible : le sphinx colibri. Ses caractéristiques de vol ? "Une vitesse de 50 km/h, des lignes droites sur des périodes supérieures ou égales au quart de seconde..."
La mesure angulaire est appliquée à la taille du papillon, 4 centimètres. D'après les calculs de l'ingénieur, l'insecte se trouverait donc à trois mètres de distance de la caméra, avec un vol à environ 53 km/h. Cohérent. Par ailleurs, l'alternance de rouge et d'ombre sur les images correspond, en fréquence et en couleur, au battement des ailes, qui laisse deviner une tache rouge caractéristique de l'insecte. Un papillon de lumière sous les projecteurs, donc, pour paraphraser la chanteuse Cindy Sanders. Après un jour et demi de travail, le dossier a été classé "B" : "probablement expliqué".
Quand c'est flou, il y a... parfois une poussière
Analyse quantitative de l'image, reflets optiques... Sans décrocher les yeux de l'écran, François Louange détaille ses nombreuses méthodes de résolution et prend un autre exemple résolu en 2007, qui s'appuie, cette fois, sur les lois de la diffusion atmosphérique.
Un objet noir apparaît noir quand il est proche, mais gris foncé, puis gris clair, quand il est distant. François Louange mesure donc le pixel le plus sombre de l'ovni (valeur 25 ; 0 est le noir absolu), situé en haut à gauche de cette image prise lors d'un rassemblement de montgolfières. La valeur est de 14 pour l'aéronef de droite (marqué d'un S rouge), 35 pour celui le plus à gauche (multicolore). L'objet se trouve donc à mi-distance.
Grâce à la mesure angulaire et au diamètre (15 mètres) des montgolfières, il calcule leur éloignement et déduit celui de l'ovni : environ 300 mètres et 80 cm de long. Quelques semaines plus tard, après un témoignage, le scientifique est conforté dans ses conclusions : ce jour-là, un enfant avait laissé s'envoler un gros ballon de baudruche dans le ciel.
Ainsi, François Louange reçoit des demandes variées. "Les gens, en majorité, sont incapables d'évaluer les distances, les durées, les détails… Même de bonne foi." L'armée chilienne l'a même contacté, après avoir observé un phénomène étrange, en novembre 2014. François Louange a conclu à la présence d'un avion en phase d'atterrissage. Une conclusion sans doute prosaïque pour le Comité de Estudios de Fenómenos Aéreos Anómalos (CEFAA), qui a boudé cette étude.
En attendant, les logiciels photo et les appareils numériques font bondir les faux témoignages d'ovni. "C'est comme le dopage dans le sport : les dopés ont une longueur d'avance." Un nouveau logiciel serait même capable d'effacer toutes les métadonnées des images – "Mais j'ai la parade", assure François Louange.
La Lune, les insectes, les avions sont souvent pris pour des ovnis, quand ce n'est pas la prise de vues elle-même qui pose problème. "Un objet net se trouve dans la profondeur de champ. S'il est flou, c'est qu'il est en deça (ou au-delà, mais c'est rare avec le numérique), explique François Louange. Cela arrive avec des poussières, parfois prises à tort pour des orbes [cercles lumineux paranormaux] ou je ne sais quoi."
L'ingénieur a aussi développé un outil pour faire un sort aux lanternes volantes, de plus en plus à la mode lors des mariages. Ces ballons à air chaud, semblables à de petites montgolfières, stimulent décidément l'imagination des témoins. "On est submergé par ces témoignages !", soupire François Louange. Du menu fretin.
"Pour certains 'croyants', un substitut de religion"
Toutes ces enquêtes lui valent parfois de solides inimitiés. "Vous savez, je suis mort si je vais à Mac Minville", plaisante l'ingénieur. Célèbre dans le monde entier depuis la diffusion d'un cliché en 1950 montrant ce qui pourrait ressembler à une soucoupe volante, cette petite ville américaine voue toujours un culte aux ovnis. Sauf que François Louange soutient que l'objet en question est suspendu par un fil, invisible à l'image.
"Un type m'a même menacé de procès pour atteinte à la mémoire des témoins", après une étude sur un autre cas signalé en 1952 au lac Chauvet (Puy-de-Dôme).
Certaines personnes sont dans une telle projection, une telle réalisation de soi, qu'elles ne peuvent pas accepter de retomber sur terre. C'est vous qui passez pour un menteur. Une majorité des gens qui s'intéressent aux ovnis le font par croyance ou substitut de religion.
François Louangeà franceinfo
Parfois, François Louange tend lui-même le bâton pour se faire battre. En 2013, il est l'invité d'honneur du Mufon, un congrès ufologique à la rigueur très relative. "J'ai servi de caution scientifique, je le sais bien. Les conférences ont viré sur les reptiliens et les corps d'extraterrestres, des conneries quoi. J'ai arrêté de les suivre." Rebelote à Sofia (Bulgarie), où un astronome "croyant" rêve d'une structure officielle, à la manière du Geipan (groupe d'étude des phénomènes aérospatiaux non identifiés) français. "Les débats allaient très loin dans le psychique, le métapsychique [il siffle] : presque des sectes."
François Louange consulte peu les forums d'ufologie – "les croyants y sont très costauds, sous couvert d'anonymat". Mais l'ingénieur dénonce également l'autre pôle, celui des "débunkers", dont l'objectif serait de contrer, coûte que coûte, les superstitions des "croyants". "Il y a des milliers de témoignages et d'enregistrements dans l'atmosphère qu'on n'explique pas. Ce qui me motive, c'est de trouver des explications". Et tant mieux si ces enquêtes lui procurent tant de "satisfaction intellectuelle".
"Il faut un service officiel sur ces questions"
Toute sa vie, François Louange a milité pour la création d'une structure officielle dédiée à ces questions. Spécificité française, le Geipan est créé en 1977. Le Service d'expertise des phénomènes de rentrée atmosphérique (Sepra) lui succède en 1988, mais bat de l'aile. En 2000, François Louange est chargé d'un audit sur ce service rattaché au Centre national d'études spatiales. "Il y a d'abord une raison scientifique : expliquer ces phénomènes. Et une raison civique : ce problème existe et la population se pose des questions."
L'Etat doit faire un choix. Ou bien il agit, et met un service, même minimum, capable de répondre aux questions. Ou il ne fait rien, au risque de laisser la place à Raël, aux sectes et à ce genre de choses.
François Louangeà franceinfo
Le Geipan a succédé au Sepra en 2005, assurant la pérennité du service. "Nous avons besoin d'un service officiel, ne serait-ce que pour obtenir les données de l'aviation civile, de l'armée, de la gendarmerie." Mais ces arguments ne convainquent pas tous les scientifiques. "Le Sepra est (...) une contamination mystique au cœur de la science", tonnait l'Association française d'information scientifique (Afis), à la période de l'audit.
Dans cet article, l'Afis dénonce notamment la présence de François Louange à un séminaire entre chercheurs "croyants" et scientifiques, financé par Laurance S. Rockefeller en 1997, à Pocantico (Etats-Unis). Dans les années 90, déjà, il était apparu sur les plateaux des frères Bogdanov et de Jacques Pradel, dans des émissions parfois gourmandes en récits farfelus. "Je ne leur en veux pas, mais je pense qu'il ne faut plus d'émissions télé sur ces sujets".
"Ce qui est troublant, c'est de passer des dizaines d'années à tenter de comprendre quelque chose, et de ne pas avancer du tout", résume François Lange, compréhensif avec les réactions parfois hostiles de confrères. Lui peaufine encore son outil, qui intéresserait désormais le gouvernement argentin. Pour le convaincre, il compte s'attaquer à un nouveau monument de l'ufologie : une "soucoupe" aperçue dans un lac du Costa Rica, en 1971, lors d'une mission de cartographie. Sherlock Holmes garde la tête dans les étoiles. On ne sait jamais.
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