Qui est Thomas Pesquet, le "meilleur ambassadeur" de France dans l'espace ?
Le spationaute, qui tente de se faire passer pour M. Tout-le-Monde, part jeudi pour une mission de six mois dans la Station spatiale internationale.
Genoux sous le menton pendant deux jours, engoncé dans l'habitacle d'un Soyouz pas beaucoup plus spacieux qu'une Fiat 500, Thomas Pesquet décolle, jeudi 17 novembre, pour une mission de six mois dans la Station spatiale internationale (ISS). Il est le 10e spationaute français à quitter l'atmosphère terrestre. A 38 ans, il est aussi le plus jeune Européen sélectionné pour une mission spatiale. Pourtant, rien ne prédestinait ce natif de Normandie, fils d'enseignants, petit-fils d'agriculteurs, à cette mise sur orbite. Qui est Thomas Pesquet, le nouveau héros de l'exploration spatiale française ?
Comme la combinaison Sokol qu'il enfilera pour le lancement, le rôle semble taillé sur mesure pour Thomas Pesquet. L'Agence spatiale européenne (ESA) a trouvé, dans ce beau garçon costaud et bosseur, son "meilleur ambassadeur", selon les mots de François Hollande. "Thomas est un garçon remarquable" et "cool", déclare à l'AFP Jean-Jacques Dordain, l'ancien directeur général de l'ESA, qui a procédé à la sélection finale. "Il réunit un cursus professionnel intéressant, des qualités humaines qui lui permettent d'être à l'aise avec tout le monde et, enfin, la passion." Sa coéquipière américaine Peggy Whitson, avec laquelle il pourrait réaliser des sorties dans l'espace, adore "son enthousiasme". Un mec parfait auquel il est tentant de chercher des défauts, histoire de s'assurer qu'il est bien un être humain.
Bon élève, mais "pas le plus brillant"
Aux médias qui tentent de saisir le personnage, Thomas Pesquet répète qu'il n'est "pas un héros". Il est "quelqu'un d'ordinaire, qui va vivre des choses extraordinaires", assure-t-il au JDD. A l'entendre, M. Tout-le-Monde voyagera dans l'espace, pour y mener des dizaines d'expériences plus techniques les unes que les autres. C'est "inconsciemment", au fil des années, que Thomas Pesquet s'est bâti un profil complet d'astronaute. Au point qu'au moment de la sélection, il a pu "cocher toutes les cases".
Il n'a en effet pas le profil d'un surdoué. "J’ai toujours été bon élève, mais pas le plus brillant", reconnaît-il. L'élève Pesquet loupe la mention "très bien" au baccalauréat, de quelques dixièmes de point. Cela ne l'empêche pas de suivre l'exemple de son grand frère Baptiste, "le plus intelligent de la famille", en intégrant une prépa maths sup-maths spé à Rouen.
A 20 ans, Thomas n'a jamais pris l'avion, mais il intègre Supaéro, le prestigieux Institut supérieur de l'aéronautique et de l'espace de Toulouse, l'endroit où "tout est devenu possible". Il entre ensuite au Centre national d’études spatiales (Cnes) comme ingénieur de recherche. Il rêve de devenir pilote d'avions, travaille dur et finit premier des cadets d'Air France. Il cumule aujourd'hui 2 300 heures de vol. En 2009, il apprend que l'ESA recrute. Cela ne s'est pas produit puis seize ans. Thomas Pesquet est alors choisi, avec cinq autres prétendants, parmi 8 413 candidats, pour intégrer le corps des astronautes européens.
Un "fainéant" ceinture noire de judo
Ce gars tout ce qu'il y a de plus normal estime quand même avoir réussi tout ce qu'il a entrepris, à part la fois où il a raté une mousse au chocolat. "Il a vécu des échecs, mais il ne les considère pas comme tels", tempère Laurent, son ami de Supaéro, dans Le JDD. En fait, Thomas Pesquet "efface les mauvais souvenirs" et tire toujours le positif de ses expériences, même ratées. Il admet aussi quelques défauts, de ceux qui n'en sont pas vraiment. Il se dit "trop exigeant", comme le prétendrait un candidat prudent lors d'un entretien d'embauche. "Impatient, parfois fainéant" aussi, même si on peine à le croire, au vu de l'entraînement intensif qu'il suit depuis sa sélection, en 2014, pour la mission spatiale baptisée Proxima.
Ce "fainéant" parle cinq langues étrangères, dont le russe, "peut-être la partie la plus difficile de l'entraînement", indispensable pour cohabiter dans l'ISS et copiloter le Soyouz avec Oleg Novistki. Il assure qu'il le parle "mal", mais aura peut-être l'occasion de perfectionner sa maîtrise des déclinaisons en apesanteur. Ce "fainéant" est aussi ceinture noire de judo, pratique la course à pied, le squash, le basket, le parachutisme, l'alpinisme, la natation, la plongée, le VTT… Un athlète presque complet, "assez mauvais" sur un surf, quand même. C'est presque rassurant. Son excellente condition physique lui sera bien utile dans ce milieu hostile qu'est l'espace, où l'absence de gravité fait fondre les os et les muscles, et où les artères vieillissent de vingt ans en six mois.
Un "bon communicant" au discours calibré
Avec Thomas Pesquet, l'ESA s'est donc offert un super VRP. Il a été choisi aussi parce qu'il sait "vendre l’aventure spatiale européenne", raconte à RTL le spationaute Jean-François Clervoy, qui faisait partie du jury. "Il faut faire preuve d'une très grande pédagogie, (…) être un bon communicant, et Thomas Pesquet est très bon", assure-t-il. Son blog et ses comptes Twitter et Facebook, sur lesquels il raconte son quotidien et partage ses réflexions, en témoignent.
Le magnet de frigo à son effigie, c’est clairement le signe qu’on a réussi… Sauf qu’il me reste à partir dans l’espace quand même! pic.twitter.com/vwJWNsO5ra
— Thomas Pesquet (@Thom_astro) 8 novembre 2016
Son discours calibré pour le grand public semble appris par cœur et répété devant un miroir tant il est ponctué d'éléments de langage lus dans toute la presse : ses parents qui lui ont donné "des racines et des ailes", son père "seul héros" de son enfance, sa "navette en carton remplie de coussins" dans laquelle il a passé des heures, petit, à rêver "naïvement" de conquête spatiale, ses yeux bleus pleins d'étoiles.
Disponible, il prend le temps nécessaire pour répondre aux journalistes, jusqu'à participer à deux documentaires, pour les chaînes Arte et Planète+, lors de sa dernière année d'entraînement, entre les Etats-Unis, la Russie et l'Allemagne, avec des détours par le Canada et le Japon. Patient, il récite les nombres qui régissent son quotidien de spationaute : le Soyouz mesure une cinquantaine de mètres et contient 1 000 tonnes de carburant, la Station spatiale internationale tourne à 27 600 km/h à 400 km d’altitude, pour faire le tour de la Terre en 90 minutes et offrir à ses occupants 16 levers et couchers de Soleil en 24 heures.
Malgré cette valse incessante de chiffres, l'espace trouve aussi une dimension humaine inattendue dans la bouche de Thomas Pesquet. La Terre est à Paris, Mars à Dieppe (Seine-Maritime), sa ville d'origine, et "jusqu'à présent, l'homme n'est pas allé plus loin qu'à 20 mètres sur le trottoir devant l'Olympia", explique-t-il lors d'une conférence, en 2012, dans la salle de spectacle. Douze minutes de discours limpide, avec le sourire, et ponctué de traits d'humour qui séduisent l'auditoire.
Une "expérience sentimentale"
Mars, l'objectif ultime. Pas encore né quand Youri Gagarine a été le premier homme dans l'espace, ni quand Neil Armstrong a posé le pied sur la Lune, Thomas Pesquet est tout entier "tourné vers l'avenir". Il espère bien faire partie de la première mission habitée vers la planète rouge, en 2030 ou 2035. "J'aurai la cinquantaine, je pourrais même être commandant d'une mission", pense-t-il tout haut. Et s'il semble paré au décollage, le spationaute reste humble et évoque des doutes aussi philosophiques que poétiques. "Que se passe-t-il dans la tête de celui qui perd la Terre de vue pendant des mois ?" s'interroge-t-il.
La tête dans l'espace, Thomas Pesquet n'en est pas moins sensible au sort de la Terre et à l'avenir de l'humanité. Un intérêt qu'il partage avec sa compagne de longue date, Anne Mottet, chargée de politiques d’élevage à la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture). "Elle travaille à sauver le monde, développe des cultures résistant aux changements climatiques", décrit-il à Libération. Il ne dit pas pour autant à qui il donnera son vote pour la présidentielle de 2017, mais sa procuration est prête.
Étrange comme la politique semble disparaître à 100 km d’altitude. Vraiment hâte de voir la Terre dans son entièreté et sans frontières… pic.twitter.com/hIXmSIQgmR
— Thomas Pesquet (@Thom_astro) 9 novembre 2016
Finalement, il n'y a pas de doute. Thomas Pesquet est bien humain. Il y a même de la poésie chez cet ingénieur musclé. Son saxophone, trop lourd et encombrant, reste sur Terre, mais, dans ses bagages, ce fou de lecture emporte les œuvres de Saint-Exupéry et Jules Verne. Il sera même juré d'un concours d'écriture et réalisera une performance artistique en impesanteur, rapporte Télérama. De quoi ajouter une part de rêve à ce voyage que le spationaute voit aussi comme "une expérience sentimentale".
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