Voyages dans l'espace : "On ne parle pas assez des limites psychologiques d'une mission interplanétaire"
Alors que le Russe Guennadi Padalka est devenu, mardi, l'homme ayant passé le plus de temps dans l'espace avec un total de 803 jours, francetv info a interrogé un médecin des spationautes pour connaître les risques auxquels ils sont exposés et les limites des voyages spatiaux.
Huit cent trois jours. C'est le temps que le cosmonaute russe Guennadi Padalka a passé dans l'espace, a annoncé l'agence spatiale russe Roskosmos, mardi 30 juin. Ce record, il l'a établi en quatre fois : 199 jours à bord de la station russe Mir en 1998. Puis trois séjours à bord de la Station spatiale internationale en 2004, en 2009 et en 2012.
De son côté, l'Italienne Samantha Cristoforetti a battu le record de la plus longue période passée dans l'espace par une femme en une seule mission, avec 200 jours en orbite, a annoncé l'agence spatiale européenne, le 11 juin. Pour mieux comprendre les dangers auxquels sont exposés les spationautes et les limites des voyages spatiaux, francetv info a interrogé Bernard Comet, qui a été, pendant vingt ans, médecin au Centre national d'études spatiales et à l'Institut de médecine et de physiologie spatiales.
Francetv info : Combien de temps a duré le plus long séjour dans l'espace ?
Bernard Comet : Le record de durée de vol en une fois est détenu par le Russe Valeri Poliakov. Il est resté 437 jours dans la station Mir entre 1994 et 1995. Mais ce n'est pas une limite. En prévision d'une mission vers Mars, les Russes avaient estimé la durée d'un voyage aller-retour, avec un séjour d'un mois sur place, à 430-450 jours.
Quels sont les principaux problèmes de santé auxquels font face les spationautes ?
Il y a tout d'abord le mal de l'espace. C'est l'équivalent du mal des transports en général. Cela dure environ trois jours. Après, il y a une accoutumance à la microgravité et le phénomène s'estompe.
Ensuite, il y a une adaptation du système cardiovasculaire qui fait que si l'on ramène les cosmonautes sur Terre en station debout, ils ne tiennent pas. Lorsque l'on est dans l'espace, le cœur s'habitue trop à être en apesanteur et à ne pas fonctionner de façon aussi puissante que sur Terre. Pour remédier à cela, on leur donne des médicaments avant le retour et cela fonctionne très bien en quelques jours.
Les cosmonautes sont aussi victimes de fonte musculaire due au manque d'effort, ce qu'on appelle l'hypokinésie. Pour essayer de pallier cette perte musculaire, ils font deux heures d'exercice par jour : vélo, poids, altères, course sur tapis roulant avec des sangles qui les maintiennent au sol. Ils utilisent également des extenseurs pour se muscler le dos et la ceinture abdominale.
Il y a donc toujours une solution aux maux dont souffrent les spationautes ?
Pas tout à fait. En ce qui concerne les problèmes osseux, par exemple, on commence à y remédier. L'os est un tissu vivant qui se détruit et se reconstruit en permanence. Dans l'espace, il se reconstruit moins vite qu'il ne se détruit, ce qui provoque des problèmes d'ostéoporose. On utilise actuellement des traitements en pression et en choc, comme le tapis roulant.
Enfin, il y a les radiations, qui sont plus fortes dans l'espace que sur Terre car il n'y a plus la magnétosphère qui protège des éruptions solaires. Mais ce ne sont pas des doses inadmissibles : on reste dans les normes des professions exposées aux radiations ionisantes. Même pour des gens qui ont volé, de façon cumulée, extrêmement longtemps. Par exemple, l'ancien détenteur du record de la durée cumulée, Sergueï Krikalev, présentait une dose cumulée de 58 rem. Or, pour un employé du nucléaire, sur une carrière de quarante ans, on autorise 200 rem.
Existe-t-il une limite de temps à partir de laquelle vous estimez qu'un voyage deviendrait trop long ou trop dangereux ?
Selon moi, quand on parle d'une mission d'exploration interplanétaire, qui est le prochain objectif dans le domaine, il y a deux limites, qui ne sont pas spécialement liées au temps passé dans l'espace : les radiations et l'aspect psychologique.
Même s'ils se mettaient dans des abris spéciaux à bord du vaisseau, les cosmonautes pourraient recevoir d'importantes quantités de radiations et atteindre des doses inadmissibles. Il y a eu des simulations de missions vers Mars et on a montré qu'il suffirait de trois éruptions solaires majeures lors de leur voyage pour atteindre des doses inadmissibles (200 rem). Au-delà de 500 rem, on peut avoir des brûlures de la peau, des troubles digestifs, de fortes fièvres. Il existe aussi des cancers induits par les radiations.
Et quelle est l'autre limite ?
On n'en parle pas assez : c'est la limite psychologique. Dans le cadre d'une mission interplanétaire, on ferait partir cinq à sept personnes qui devraient vivre de façon complètement isolée. Le temps de communication s'allongerait au fur et à mesure qu'elles s'éloigneraient de la Terre. Le moindre échange pourrait prendre 40 minutes : le temps d'émettre un message qui parvienne à la Terre et que la réponse reparte dans l'autre sens.
Il faut aussi soigner la sélection psychologique des membres de l'équipage. La mission Mars 500 [qui simulait un voyage vers la planète rouge en 2011] s'est concentrée sur cet aspect-là : comment faire la sélection individuelle, mais surtout comment créer l'équipe la plus efficace possible dans ce contexte très prolongé et très confiné ? Le risque de crise est nettement plus élevé dans cet environnement qu'à l'air libre avec la possibilité d'aller faire un tour en cas de tensions.
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