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La revue "Science" accusée de sexisme par 600 chercheurs : "C'est un monde qui reste assez macho"

Dans une lettre adressée aux éditeurs du magazine, ce collectif dénonce plusieurs articles et une couverture jugés discriminatoires. Francetv info a interrogé l'une des signataires françaises.

Article rédigé par Mathieu Dehlinger
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
La couverture de "Science" du 11 juillet 2014, contestée par 600 scientifiques dans une lettre adressée aux éditeurs de la revue, le 21 juillet 2015. (SCIENCE)

Le magazine reconnaît "quelques faux pas". Plus de 600 scientifiques ont adressé, mardi 21 juillet, une lettre aux éditeurs de la célèbre revue Science, après la publication de plusieurs articles et d'une couverture jugés discriminatoires. Ces contenus "gênent la progression des groupes sous-représentés" dans le monde de la science, de la technologie, de l'ingénierie et des mathématiques, écrivent les signataires de la missive, publiée par Buzzfeed (en anglais) et repérée par Slate.fr.

Des conseils très contestables

Ils s'indignent notamment de la réponse apportée en juin à une jeune chercheuse, qui s'inquiétait des yeux baladeurs de son référent. "Tant qu'il ne va pas plus loin, je vous conseille de faire avec, et de le prendre avec de l'humour, lui a écrit une chroniqueuse de Science Careers. L'attention portée à votre poitrine n'est peut-être pas la bienvenue, mais vous avez besoin qu'il porte attention à votre travail et de ses meilleurs conseils".

Les protestataires dénoncent également une couverture du magazine, parue en 2014 et consacrée au VIH et au sida, sur laquelle apparaissent des prostituées transgenres. Les signataires jugent que Science renforce ainsi les "stéréotypes" qui associent la prostitution et le virus "à trois communautés sous-représentées : les femmes, les personnes de couleur et les transgenres".

"Il est temps de faire entendre nos voix"

"Le monde de la science reste assez macho et il est temps de faire entendre nos voix, explique à francetv info l'une des signataires, Marion Thomas, chercheuse à l'Institut de physique du globe de Paris. Et ça serait bien que ça commence par les journaux scientifiques, qu'ils commencent à faire attention à ce qui est publié. Ce n'est pas la première fois que de telles remarques sont diffusées."

D'autres exemples récents montrent l'étendue du phénomène. Prix Nobel de médecine, le Britannique Tim Hunt a ainsi évoqué le "problème" posé par les femmes dans les laboratoires, rappelle le Guardian (en anglais) : "Vous tombez amoureux d'elles, elles tombent amoureuses de vous et, quand vous les critiquez, elles pleurent." Début mai, la revue Plos One a annoncé le départ de l'un de ses relecteurs, raconte Science (en anglais) : il avait suggéré que deux chercheuses trouvent des co-signataires masculins pour les aider à améliorer leur étude.

Le sexisme existe aussi dans la communauté scientifique en France, explique Marion Thomas. "Ce n'est pas toujours frontal ou violent, détaille-t-elle. En recrutement, par exemple, on m'a dit qu'il fallait que je montre un peu plus que j'ai confiance en moi, parce que c'est le défaut de beaucoup de femmes. J'ai même eu des hommes dans mon entourage scientifique qui m'ont conseillé de tirer avantage du fait que je n'étais pas trop moche pour me faire au moins entendre. Mais je ne veux pas être sélectionnée pour ça, on doit être sélectionnées sur nos CV, pas sur le reste."

"On a l'impression que notre boulot est dévalorisé"

Heureusement, la chercheuse ne doit pas faire face à ce type de remarques dans son laboratoire actuel, insiste-t-elle. Mais ces mauvaises expériences ne sont pas sans conséquences. "On a l'impression que notre boulot est dévalorisé, estime-t-elle. J'ai entendu beaucoup de remarques négatives sur les femmes qui réussissaient en carrière scientifique. Que c'était des requins, qu'elles n'étaient pas du tout sympathiques, qu'elles créaient des problèmes dans les labos. Elles sont d'autant plus isolées qu'elles sont moins nombreuses."

Marion Thomas raconte qu'elle intervient dans les écoles, "pour montrer aux jeunes filles que, oui, on peut faire des études, que, oui, on peut devenir scientifique". "Car les stéréotypes restent quand même assez ancrés, constate-t-elle. Je suis en géologie, une filière assez féminisée, mais en physique, en mécanique ou en maths, il reste plein de chemin à parcourir." En guise de premier pas, la rédactrice en chef de Science, Marcia McNutt, interrogée par Buzzfeed, a dit "regretter" ces contenus controversés.

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