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"Ma thèse en 180 secondes" : le concours a-t-il changé la vie de ses lauréats ?

La finale internationale de l'édition 2015 de ce concours se déroule jeudi 1er octobre à Paris. Elle récompensera le doctorant ayant su le mieux présenter son sujet de recherche à un auditoire profane.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
La doctorante Camille Rouillon présente sa thèse "Etude de l'impact des vieillissements photochimique, thermique et climatique sur les propriétés d'aspect de polypropylènes teintés masse colorés" pendant la finale française de "Ma thèse en 180 secondes", le 3 juin 2015 à Nancy. (JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP)

"T'es une cellule du rectum qui veut devenir un neurone ? Pas question ! T'es née rectale, tu finiras rectale !" C'est avec cette présentation drôlissime de sa thèse que la biologiste Marie-Charlotte Morin est arrivée première de la finale nationale du concours "Ma thèse en 180 secondes" en juin 2014, et deuxième du concours international (francophone) en septembre 2014 au Québec. Avec maestria et humour, elle a expliqué en français à des publics profanes (mais intéressés) l'enjeu de son doctorat, au titre un brin aride : "Rôle des protéines lin-15A et rétinoblastome dans la reprogrammation cellulaire directe in vivo chez C.elegans."

La deuxième édition internationale de "MT180" ("Ma thèse en 180 secondes") se déroule jeudi 1er octobre 2015 à Paris, avec trois finalistes français. Les lauréats seront choyés par les organisateurs, le CNRS et la Conférence des présidents d'université (CPU), et multisollicités par les médias. Mais cette épreuve peut-elle changer leur vie ? Trois lauréats 2014 (régional, national et international) expliquent à francetv info à quoi ce titre leur a servi. 

A leur donner de la visibilité

Chercheur à l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) de Tours, Thomas Loyau, 29 ans, a gagné la finale régionale du concours "MT180" en Poitou-Charentes pour avoir expliqué en trois minutes l'enjeu de son tude intégrative des effets à long terme de l'acclimatation embryonnaire à la chaleur sur le métabolisme du poulet de chair en vue d'une application d'élevage adaptée aux pays chauds et au réchauffement climatique". Pour résumer, comment empêcher que trop de poulets ne trépassent au-delà de 35 degrés, sachant qu'ils commencent à stresser, donc à souffrir, à partir de 25 degrés.

Il reconnaît que sa prestation a pu l'aider à double titre. "C'est un tremplin pour apprendre à communiquer au grand public." Une qualité non négligeable pour l'Inra, parfois mis en cause pour des travaux jugés non conformes aux valeurs écologiques. Autre vertu de l'épreuve : la visibilité qu'elle donne aux candidats. Lorsqu'il a passé en juin 2015 le concours lui permettant d'intégrer l'Inra, "à l'oral, deux ou trois membres du jury me connaissaient, ils avaient vu ma prestation sur internet". La sienne a été jugée suffisamment convaincante pour qu'il soit admis. Dans quelques jours, il partira en poste en Guadeloupe, pour y mener des recherches sur l'adaptation du porc à la chaleur. 

A faire du théâtre

L'Alsacienne Marie-Charlotte Morin, 27 ans, doctorante en biologie cellulaire à l'université de Strasbourg, avait été la vedette de l'édition nationale et internationale de "Ma thèse en 180 secondes". Hilarant, son one-woman show autour de la cellule rectale d'un ver qui a envie de devenir un neurone avait conquis le public.

Que lui a apporté cette gloire éphémère ? Contactée en plein congé maternité, un bébé d'un mois pleurant à ses côtés, la lauréate de la finale nationale du concours "MT180" en juin 2014, répond cependant avec joie à francetv info : "Une opportunité théâtrale. J'ai été contactée par un metteur en scène, Alexandre Taesch, et nous avons écrit une pièce sur l'évolution au sens de Darwin. Cela s'appelle 'Tout le monde descend. Darwin, un grand pas pour l'hominidé.' Pendant plus d'une heure, je vais me démener sur scène pour défendre Darwin face aux créationnistes ! Je commencerai à la jouer en avril prochain à l'Illiade à Strasbourg, puis dans d'autres cafés-théâtres de la ville. Et peut-être à Paris : nous sommes déjà en contact avec des salles."

A réaliser des rêves

Noémie Mermet, elle, a remporté la finale internationale du concours MT180 en septembre 2014, pour avoir expliqué l'enjeu de "l'implication des récepteurs 5-HT2A dans la modulation des interneurones PKCy dans un contexte d'allodynie". Sachez plus simplement qu'elle travaille sur le développement des symptômes douloureux chez l'enfant. Cette célébrité, raconte à francetv info cette doctorante en neurosciences à l'université d'Auvergne, lui a permis de réaliser un rêve, qui deviendra réalité dans trois semaines. Le 17 octobre à Clermont-Ferrand, elle sera l'une des intervenantes d'un "TEDx", ces conférences où des personnalités innovantes présentent leurs idées "pour changer le monde". Elle y parlera des "idées reçues sur la douleur de l'enfant".

A se reconvertir dans la vulgarisation

Grâce à la "MT180", Noémie Mermet a également pu être invitée de l'émission "La Tête au carré" sur France Inter. Elle en avait envie depuis longtemps. Elle a aussi commencé, pour son plus grand plaisir, à animer une émission mensuelle de vulgarisation scientifique sur Radio Campus. Curieusement, note la thésarde, les trois minutes des "MT180" propulsent davantage dans l'univers de la communication que dans celui des sciences.

Marie-Charlotte Morin, elle aussi, s'est vu proposer des chroniques scientifiques après son passage au "MT180". Enceinte, elle les a refusées, mais, reconnaît-elle, cela pourrait la tenter "à la télé ou sur internet." D'autant que les sacrifices lui paraissent moins "énormes dans le journalisme que dans la recherche".

A désespérer de l'avenir dans la recherche ?

C'est là que le bât blesse. Des trois doctorants interrogés, seul Thomas Loyau est tiré d'affaire professionnellement. Il se félicite d'ailleurs de pouvoir bénéficier d'un statut de fonctionnaire – "C'est si rare !" – et de n'avoir pas connu le chômage, contrairement à tant de ses condisciples.

Comment Marie-Charlotte Morin envisage-t-elle l'avenir ? "La question que détestent les thésards, avec aucun poste qui ne s'ouvre au CNRS !" répond-elle dans un éclat de rire. Et de peindre gaiement l'avenir en noir : "La recherche académique a des salaires ridicules en France, alors qu'elle réclame un investissement énorme. On commence à 1 600 euros, on ne dépasse pas les 2 300 euros la deuxième année. La concurrence est très dure avec les Etats-Unis, avec une course à la publication qui vous dévore vos soirées et vos week-ends. Et pas question d'être payée en heures sup' ! Pourtant, j'aurais bien aimé poursuivre dans cette voie, moi qui ai été boursière toute ma vie, pour pouvoir rendre à mon pays ce que j'ai reçu. Mais, dans ces conditions, ce n'est pas possible." Et d'évoquer les "300 postes ouverts au CNRS en sciences dures en 2013", des recrutements qui "ne remplacent même pas ceux qui partent". Si elle est moins sombre, Noémie Mermet reconnaît, elle aussi, que le "MT180" lui a apporté davantage de contacts que de propositions concrètes.

L'avenir de la recherche est-il plus riant dans le privé ? Marie-Charlotte Morin s'esclaffe à nouveau : "C'est sûr que, en Suisse voisine de l'Alsace, Novartis ou Roche ont viré tellement de monde qu'ils vont peut-être finir par réembaucher !" Et de conclure : "C'est la panique chez les doctorants ! Si le 'MT180' pousse les jeunes à aller en sciences, comme on me l'a dit, on se demande si on ne les envoie pas au casse-pipe !"

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