Questions pour un boson
Les chercheurs qui ont postulé l'existence du boson de Higgs en 1964 ont été récompensés mardi du prix Nobel de physique.
La récompense, près de cinquante ans après la découverte. Deux des chercheurs ayant postulé l'existence du boson de Higgs, en 1964, ont reçu le prix Nobel de physique, mardi 8 octobre. Cette distinction leur est remise après que les scientifiques de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (Cern) ont découvert, en juillet 2012, une nouvelle particule, considérée à 99,99997% comme le boson de Higgs. Quelle est cette particule ? Comment le Cern l'a-t-il découverte ? Francetv info vous dit ce qu'il faut savoir sur cette particule élémentaire.
Qu'est-ce que le boson de Higgs ?
Le boson de Higgs était considéré comme la pièce manquante de la théorie qui décrit la construction de la matière, également appelé "modèle standard". En cherchant à isoler les plus petits composants de la matière, les physiciens ont identifié toute une série de particules élémentaires, comme le quarks, l'électron ou les neutrinos, et ont construit ce modèle.
Ces particules interagissent entre elles par l'intermédiaire des bosons, qui servent de messager. Parmi les bosons, on trouve le photon, responsable du rayonnement électromagnétique, et le gluon, qui explique la cohésion des noyaux atomiques. Mais quelle particule est responsable de la masse des autres ? En 1964, par déduction, le physicien britannique Peter Higgs postule l'existence du boson qui porte son nom, avec ses collègues belges Robert Brout et François Englert.
Pour résumer, c'est donc ce boson de Higgs qui est responsable de la masse des autres particules. Si l'on entre dans les détails, c'est plus précisément le champ de Higgs, une sorte de champ gravitationnel porté par le boson du même nom dans l'espace entre les particules, qui donne leur masse aux particules.
Schématiquement, cela ressemblerait à une sorte de colle où les particules se retrouveraient plus ou moins engluées, ce qui déterminerait leur masse. Ce champ permet d'expliquer pourquoi les masses de ces dernières sont si différentes les unes des autres. Il provoque la "brisure de symétrie" responsable de ces différences. "Si la théorie était parfaitement symétrique, les particules auraient la même masse", explique Anne-Isabelle Etienvre, chercheur au Commissariat à l'énergie atomique et membre de l'expérience Atlas.
Qu'a découvert le Cern ?
En juillet 2012, les porte-paroles des deux expériences ont annoncé la découverte d'une nouvelle particule. "Je peux vous confirmer que la particule que nous avons découverte est compatible avec la théorie du boson de Higgs", a déclaré, depuis Londres, John Womersley, le responsable de Britain's Science Technolog Facilities Council.
"Ce n'est qu'un résultat préliminaire, mais nous pensons qu'il est très solide", a renchéri Joe Incandela, le porte-parole de l'une des équipes qui traquent le boson. Le physicien précise toutefois que le Cern a "besoin de davantage de données" pour vérifier qu'il s'agit bien du boson de Higgs. Seules certitudes pour le moment : cette particule est un boson et il pèse 125 GeV (gigaélectron-volt).
En fait, cette découverte vient confirmer les premiers résultats publiés en décembre 2011. La cachette du boson de Higgs s'était déjà singulièrement rétrécie : les scientifiques s'intéressaient à une région comprise entre 124 et 126 gigaélectron-volts. "En décembre, nous avions le sentiment qu'il y avait quelque chose, mais nous n'étions pas du tout aussi affirmatif qu'aujourd'hui. La marge d'erreur était de l'ordre de 1 sur 1000, aujourd'hui, c'est de l'ordre de 1 sur un million", se félicite Anne-Isabelle Etienvre.
Pourquoi parle-t-on de 99,99997 % de certitude ?
Pour parler de découverte scientifique, les chercheurs doivent atteindre une précision statistique de "5 sigma", soit 99,99997% de certitude qu'il ne s'agit pas d'une erreur de mesure ou d'un bruit de fond.
Comment le Cern a-t-il découvert le boson de Higgs ?
La traque commence en 2010, quelque part sous la frontière franco-suisse, à 100 mètres de profondeur. C'est là, aux portes de Genève, que le Grand collisionneur de hadrons (LHC) du Cern a été assemblé en 2003. Cet accélérateur de particule est un gigantesque cercle de 27 kilomètres de circonférence.
Dans la machine, qui fonctionne 24 heures sur 24, les scientifiques du Cern provoquent des collisions de protons, à des vitesses proches de la lumière et à raison d'un milliard de collisions par seconde. A deux des quatre points de collisions, les détecteurs Atlas et CMS, qui donnent leur nom aux deux expériences lancées à la poursuite du boson, enregistrent 200 expériences par seconde.
Le boson de Higgs ne pouvant être observé directement, "on le voit à travers les produits de sa désintégration", explique Anne-Isabelle Etienvre. Or, parmi ces désintégrations, une sur 1000 seulement est observable par les machines du Cern, comme l'explique cette vidéo du CNRS. "C’est vraiment chercher une petite aiguille dans une énorme botte de foins", schématise la scientifique du CEA.
Les données sont ensuite traitées informatiquement et comparés avec les connaissances déjà disponibles sur le modèle standard. Sur les graphiques, "on voit arriver une petite bosse, ce qui n'est pas prévu par tout ce qu'on connaît", précise Anne-Isabelle Etienvre. C'est la preuve de l'existence d'une particule, probablement le boson de Higgs.
Pourquoi est-ce important ?
"C'est quand même quelque chose que nous cherchions depuis vingt ans", s'enthousiasme Anne-Isabelle Etienvre. "Nous avons franchi une nouvelle étape dans notre compréhension de la nature", a pour sa part déclaré le directeur général du Cern, Rolf Heuer.
Cette découverte ne valide pas le modèle standard, mais ouvre la voie à de nouvelles études. "On a vingt ans de physique devant nous. Un âge d'or arrive... pourvu que les finances suivent", confiait Daniel Fournier, physicien du CNRS au Monde (lien payant). Les recherches sur les caractéristiques de cette particule devraient apporter leurs lots de révélations sur la matière.
Que reste-t-il à découvrir ?
Les travaux du Cern sur cette nouvelle particule ne font que commencer. "Il faut vraiment la regarder sous toute ses coutures pour savoir si elle correspond à la signature du modèle standard", explique Anne-Isabelle Etienvre. Si le nouveau boson diffère, même légèrement, du boson imaginé par le modèle standard, cela signifierait qu'il y a quelque chose au-delà du modèle standard. "Une nouvelle histoire commence", jubile la scientifique.
Quelles applications concrètes ?
La traque du boson de Higgs appartient au domaine de la recherche fondamentale et n'a donc pas de finalité pratique ou économique. Mais pour le trouver, les scientifiques du Cern ont dû développer des outils et des techniques directement applicables. Certaines d'entre elles vont être ainsi utilisées en imagerie médicale ou en informatique. "Le web a été inventé au Cern", rappelle Anne-Isabelle Etienvre pour justifier l'intérêt pratique des travaux menés.
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