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"Il y a mille preuves que la protection de l'environnement est une opportunité économique", assure Bertrand Piccard

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Article rédigé par franceinfo
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L'explorateur Bertrand Piccard a réussi son pari de réunir 1 000 innovations technologiques économiquement rentables pour lutter contre le changement climatique.

"Il y a 1 000 preuves que la protection de l'environnement est une opportunité économique", a déclaré ce mardi sur franceinfo l'explorateur Bertrand Piccard, initiateur et président de la fondation Solar Impulse. Il a réussi son pari de réunir 1 000 innovations technologiques économiquement rentables pour lutter contre le changement climatique, objectif qu'il s'était fixé lors de la Cop 22 qui s'est tenue à Marrakech en 2016. Logiciel pour permettre aux avions de consommer moins de carburant, recyclage de la chaleur de l'eau des douches, robot qui neutralise les mauvaises herbes etc. Bertrand Piccard dévoile ses principales propositions sur franceinfo et il demande qu'une partie de l'argent des plans de relance y soit consacré : "On a une fenêtre de tir extraordinaire pour devenir une société efficiente".

franceinfo : Après quatre ans de travail, votre fondation met en ligne aujourd'hui la millième solution pour lutter contre le réchauffement climatique. Peut-on dire que vous êtes un écologiste optimiste ?

Bertrand PiccardJ'ai l'impression que je suis un psychiatre du climat, c'est-à-dire que je fais le constat du diagnostic et je cherche des thérapies. Aujourd'hui, ce qui est extraordinaire, c'est que les technologies ont tellement évolué qu'elles sont devenues à la fois écologiques et financièrement rentables. Donc, c'est ça le changement de paradigme. Il y a du gaspillage à éviter, des comportements aberrants à éviter. Mais la vraie décroissance prônée par certains, on l'a vu depuis une année avec la crise du Covid-19, c'est des centaines de millions de chômeurs en plus, de la souffrance sociale, un chaos social. Donc il faut plutôt une croissance qualitative, de l'efficience où l'on crée des emplois et où l'on fait du profit en remplaçant ce qui pollue par ce qui protège l'environnement. Je le disais depuis longtemps, mais je ne pouvais pas le prouver. Depuis aujourd'hui, je peux le prouver. Il y a 1 000 preuves que la protection de l'environnement est une opportunité économique.

Parmi les solutions que vous recensez concernant le transport aérien, il y a un logiciel qui permet d'économiser une partie du carburant. Comment ça marche ?

C'est Skybreathe, un logiciel qui a été repris par Air France d'ailleurs, qui permet aux pilotes d'optimiser leur vol de manière à économiser à peu près 5% de carburant. Rien que 5% avec un software ! Ensuite, il y a 5 ou 10% qui peuvent être économisés avec des chariots électriques qui amènent les avions au seuil de piste, il y a 5 ou 10% en coupant les turbines auxiliaires dans les aéroports pour être alimenté directement par l'aéroport en électricité. Toutes ces choses s'additionnent. Ensuite, on met des approches en descente constante, on met des routes plus directes. Chaque fois, on grappille quelques pourcentages et chaque fois on fait des économies, parce que c'est moins cher pour la compagnie aérienne.

Autre exemple de solution, il s'agit d'éviter les fuites dans les canalisations d'eau.

Il y a une start-up qui a lancé un système pour détecter les fuites d'eau dans les villes, pour épurer l'eau, pour la recycler et pour la désaliniser de manière beaucoup plus efficiente. Donc le thème général, c'est qu'à chaque fois l'entreprise qui vend la technologie va faire du profit parce que c'est une nouvelle opportunité industrielle et l'utilisateur va faire des économies, donc va gagner plus d'argent.

Toujours sur le sujet de l'eau, vous proposez une solution pour garder la chaleur de l'eau chaude issue des douches.

Oui c'est intéressant aussi. On voit l'eau repartir dans les égouts et on ne comprend pas que ce qui coûte le plus cher, c'est toute l'énergie qu'il a fallu pour chauffer l'eau et la chaleur qui est perdue. Là, on récupère cette chaleur pour réchauffer l'eau qui arrive à la douche.

Votre fondation recense aussi des dizaines de solutions concernant l'agriculture. Par exemple, comment fait-on pour se passer du glyphosate ?

Il y a un robot marchant à l'énergie solaire qui grille par choc électrique les mauvaises herbes qu'on veut éliminer. Sur trois ou quatre ans c'est moins cher que le prix des herbicides

Ces entreprises et ces logiciels existent déjà. On ne parle pas d'invention pour dans 5 ou 10 ans ?

Non. Moi, ce qu'il me faut absolument, ce sont des solutions qui existent aujourd'hui, qui sont commercialisées aujourd'hui. Parce que si je parle aux chefs d'État de vagues idées pour le futur, ils vont me dire : "Ecoutez, nous on veut des trucs tout de suite". Et bien il y a plus de 1 000 solutions, on en est à 1 008 ce matin. Elles existent aujourd'hui et surtout elles vont aider les gouvernements à atteindre leurs buts environnementaux et climatiques. Quand on veut mettre une neutralité carbone pour 2050, c'est un but très louable, mais il faut bien voir que personne n'a en ce moment la feuille de route pour y arriver. Nous on veut amener les outils pour pouvoir écrire cette feuille de route.

Vous dites qu'il faut arrêter de taper sur les géants de l'énergie comme Engie ou Total et qu'ils sont une partie de la solution. Pourquoi?

Parce qu'il faut absolument être inclusif et pas exclusif. Ça ne sert à rien de vouloir travailler, comme certains écologistes le font, uniquement avec des sociétés qui ont déjà fait la transition. Il faut aider les entreprises à faire cette transition aujourd'hui. Total a des solutions dans l'hydrogène, dans l'électricité, dans les énergies renouvelables et veut mettre en place. C'est admirable, Il faut arrêter de leur taper dessus. Il faut les encourager. En fait, il faut inclure tout le monde dans cette transition. Engie fait un travail extraordinaire. Je crois qu'on a 19 solutions de la part d'Engie, notamment l'air conditionné qui marche par un froid central, du "district cooling", au lieu de laisser chacun avoir sa petite unité d'air conditionné. Engie a un système qui est beaucoup plus rentable et qui consomme beaucoup moins d'énergie. Tout ça peut être appliqué dans le monde entier et c'est ce qui me réjouit, c'est pour ça que je suis optimiste.

Où trouver l'argent pour financer tout cela ? Vous voulez notamment utiliser l'argent que les différents gouvernements débloquent pour les plans de relance de l'économie ?

Oui, il y a des milliards à disposition avec des taux d'intérêt quasiment à zéro, voir négatif. Utilisons cet argent pour moderniser toutes les infrastructures. Avoir un pays moderne, avec des technologies modernes qui permettent d'être beaucoup plus efficient après la crise qu'avant. Si on met de l'argent maintenant pour soutenir des vieilles industries et des voitures à combustion qui seront interdites dans les villes dans 5 ou 10 ans de toute façon, ce sera de l'argent gaspillé. Donc, on a une opportunité, une fenêtre de tir extraordinaire pour devenir une société efficiente.

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