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Evacuation de consommateurs de crack à Paris : "Cette réponse répressive est totalement inefficace", affirme une sociologue

Parmi les consommateurs de crack rencontrés par Marie Jauffret-Roustide, sociologue, chargée de recherches à l’Inserm, beaucoup ont "honte" de consommer dans la rue.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Des personnes sont assises sur des bancs après avoir été relogées près de la Porte de la Villette, dans le nord de Paris, le 24 septembre 2021, après une opération de police visant à expulser les consommateurs de crack dans le quartier des jardins d'Eole. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

"La gestion du crack rencontre une réponse exclusivement répressive. Et on sait que cette réponse répressive est totalement inefficace", a affirmé sur franceinfo Marie Jauffret-Roustide, sociologue, chargée de recherches à l’Inserm, alors qu'une cinquantaine de toxicomanes ont été évacués vendredi 24 septembre au matin du quartier des jardins d'Eole et transportés en cars à moins de deux kilomètres, vers le nord-est parisien à la lisière d'Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis.

Marie Jauffret-Roustide a rencontré une cinquantaine de consommateurs de crack dans le cadre d'une étude menée entre 2018 et 2020 en partenariat avec l’Office français des drogues et des toxicomanies (OFDT).

franceinfo : Cette évacuation va-t-elle régler le problème du crack à Paris ?

Depuis une trentaine d'années, la gestion du crack rencontre une réponse exclusivement répressive. Et on sait que cette réponse répressive est totalement inefficace. Les usagers que nous avons rencontrés nous expliquent qu'ils continuent de consommer dans l'espace public parce qu'ils n'ont pas d'hébergement. Pour le moment, il y a quelques annonces qui ont été faites avec la mise en place de dispositifs médico-social pluridisciplinaires qui incluent des salles de consommation avec de l'hébergement. Mais effectivement, c'est tout nouveau. On sait très bien que dans les pays qui ont mis en place des salles de consommation, la question des "scènes ouvertes" est réglée assez facilement. Il faut vraiment cet accompagnement sur le long terme parce que c'est difficile de se sortir du crack. On a rencontré des personnes qui lorsqu'elles ont été mises à l'abri lors du Covid-19, nous ont dit avoir considérablement limité leur consommation, et avoir pu commencer des démarches de soin et de réinsertion. Aussi, en France il y a un vrai déficit de la prise en charge en santé mentale. Il faut des maraudes psychiatriques, mais pour cela il faut plus de psychiatres, et on a une pénurie actuellement en France. Il faut donc envisager des mesures beaucoup plus structurelles. Augmenter, par exemple, le nombre des étudiants en santé.

La difficulté tient aussi à la nature même du crack, une drogue extrêmement addictive ?

Le crack est un produit effectivement très addictif qui donne lieu, à des formes de dégringolade sociale, c'est-à-dire des pertes de revenus et des pertes des liens sociaux très forte. Les usagers pour une partie d'entre eux, se retrouvent dans la rue et souvent, ils se mettent à consommer de plus en plus parce qu'ils vivent à la rue. Les troubles à l'ordre public que rencontrent les riverains ne sont pas choisis par les usagers. Les usagers souhaiteraient être dans des dispositifs d'hébergement et être mis à l'abri. Les usagers que nous avons rencontrés souhaitent faire des pauses dans leur consommation. Certains souhaitent se sevrer, d'autres attendent la mise en place de salles de consommation pour ne plus consommer à la vue des riverains, parce que ce n'est pas un choix de leur part. Beaucoup d'entre eux nous ont fait part de la honte qu'ils avaient à consommer dans la rue.

Existe-t-il un profil type des consommateurs de crack ?

On a rencontré une diversité d'usagers, dont les trois quarts sont des hommes. Mais on a rencontré aussi des femmes. Mais chez elle on a pu voir qu'il y avait un maintien des liens sociaux avec la famille qui font qu'elles sont un peu moins visibles dans l'espace public que les hommes parce qu'elles ont des supports sociaux qui sont encore présents. Ce qui nous a beaucoup marqués dans l'étude, c'est que les trajectoires de vie de ces hommes et de ces femmes sont marquées par des traumatismes très importants, des violences physiques, des violences psychologiques durant l'enfance et ensuite, cette vie à la rue constitue également une forme de violence qui est exercée à leur encontre.

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