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Lutte contre les violences faites aux femmes : un rapport critique sévèrement l'action du gouvernement et son tour de "passe-passe" budgétaire

Ce rapport rendu par deux sénateurs dénonce notamment un budget très faible du ministère concerné (0,01% du budget de l'Etat) et de nouveaux crédits qui n'en sont pas vraiment.

Article rédigé par franceinfo
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Marlène Schiappa, alors Secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, le 25 novembre 2019, au ministère de l'Intérieur, à Paris.  (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

C'est un rapport très virulent qui a été publié jeudi 27 août (après avoir été déposé début juillet) par les sénateurs Arnaud Bazin (LR) et Eric Bocquet (PCF) sur "le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes" (la synthèse est consultable ici). 

Leurs reproches ciblent principalement le gouvernement et l'action de Marlène Schiappa en tant que secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes, poste qu'elle a quitté lors du remaniement de juillet. 

Les sénateurs regrettent notamment la "quasi-absence de mesures nouvelles" dans le cadre du Grenelle des violences conjugales, rappelant que "les intervenants sociaux en commissariat et gendarmeries, les psychologues, les correspondants locaux de lutte contre les violences intrafamiliales, les correspondants départementaux d'aide aux victimes, les correspondants territoriaux de prévention de la délinquance existaient déjà et ne constituent pas des dispositifs nouveaux"

Mais surtout, ils dénoncent des "opérations discrètes de redéploiements internes permettant de dégager des crédits, dont la communication gouvernementale laisse souvent à penser, à tort, qu'il s'agit de crédits nouveaux". Ainsi, le fameux milliard d'euros annoncé par Marlène Schiappa en octobre 2019 pour l'égalité entre les femmes et les hommes serait en fait un "tour de passe-passe". Franceinfo a rassemblé les trois enseignements principaux de ce rapport.

Un milliard promis mais une réalité tout autre

Fin novembre 2019, la secrétaire d'Etat Marlène Schiappa avait confirmé que 1,116 milliard d'euros serait bien alloué à l'égalité femmes-hommes pour 2020, contre un montant de 544 millions l'année précédente.

Mais, comme le notait alors Le Journal du dimanche, ce montant est "exprimé en autorisation d'engagement (AE), c'est-à-dire des dépenses engagées par le gouvernement mais pouvant être échelonnées sur plusieurs années". Le budget réellement alloué pour l'année 2020 est en fait de "557,8 millions d'euros", notent les sénateurs. 

Sur ce milliard d'euros, 834,5 millions d'euros sont, qui plus est, destinés à financer "des programmes déployés à l'étranger", précise le rapport. "Ce montant recouvre la mise en œuvre d'une diplomatie féministe mais également la participation à divers fonds de développement ou institutions comme l'Unicef ou l'ONU Femmes", expliquait Le JDD. Au total, "75% des dépenses" se font donc à l'international, et "seul 25% du budget présenté par Marlène Schiappa servira à faire progresser l’égalité et à lutter contre les violences sexuelles en France", notait la militante Caroline De Haas l'année dernière. 

Enfin, dernière critique des sénateurs : "presque la moitié" des dépenses de l'enveloppe pour le territoire concerne l'Education nationale. En clair : elles servent à payer le salaire des professeurs des écoles et des enseignants d'histoire-géographie qui effectuent, dans le cadre de leurs programmes, de "la sensibilisation à l'égalité entre les sexes et de la lutte contre les discriminations sexistes", écrivent les rapporteurs.

Plusieurs fonds sont financés par des crédits déjà existants

Au sein de cette enveloppe d'un peu plus d'un milliard d'euros consacrée à l'égalité hommes-femmes, Edouard Philippe avait précisé en novembre 2019 que 360 millions seraient dédiés "à la lutte contre les violences faites aux femmes". Après analyse, "il semblerait que la majeure partie de ce montant constitue des crédits déjà existants en 2019", tranche le rapport. Les sénateurs "regrettent une communication gouvernementale hâtive et trompeuse sur cette enveloppe de 360 millions d'euros, qui ne constituent pas des crédits nouveaux dégagés pour financer les annonces du Grenelle". 

Un constat similaire est effectué concernant le "fonds Catherine contre les féminicides". Annoncé en août 2019 par Marlène Schiappa, ce fonds destiné à des associations de terrain est doté d'un million d'euros "et permettra le financement d’actions locales concrètes", expliquait alors la ministre. "Une enveloppe de base de 30 000 euros" est attribuée à chaque région, "à laquelle s'ajoute une enveloppe répartie en fonction du nombre de femmes par région", explique le ministère chargé de l'Egalité entre les femmes et les hommes sur son site. Là encore, le gouvernement avait laissé entendre qu'il s'agissait de fonds nouveaux alors qu'il s'agit en fait "de crédits redéployés", indique le rapport. La mise en œuvre des mesures prévues dans ce fonds "se fait donc au détriment d'autres actions initialement prévues, selon un jeu de vases communicants", ajoute-t-il. 

Enfin, pendant le confinement, le gouvernement avait annoncé la création d'un fonds d'un million d'euros qui, après des demandes de précisions, "s'est avéré ne pas être constitué de crédits nouveaux mais de crédits redéployés".

Un budget globalement très faible

Si les sénateurs constatent une "relative" augmentation depuis 2012 des crédits du programme 137 – le budget qui régit la politique d'égalité femmes-hommes –, ils regrettent que "son montant, en 2020, ne représente que 0,01% du budget de l'Etat".

Par ailleurs, ce budget a fait l'objet d'une sous-consommation de ses crédits depuis 2014, regrette le rapport. Il relève toutefois que, depuis 2018, "est constatée une amélioration de la consommation des crédits" avec 97% des crédits consommés cette année-là contre 74,9% l'année précédente. "L'augmentation des crédits, en loi de finances initiale, n'a d'intérêt pour le programme et les actions concernés que si les crédits sont ouverts et exécutés", rappellent les sénateurs.

Ce schéma montre la sous-consommation budgétaire des crédits de l'État concernant les violences faites aux femmes depuis 2014.  (Extrait du rapport d’information du Sénat sur le financement des violences faites aux femmes)

Le rapport note également que les financements privés sont sous-exploités dans le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes. "Ce faible recours aux dons et au mécénat s'explique principalement par le manque de visibilité de la cause et un personnel non formé à cette recherche de financement dans les associations, souvent des petites structures et pourtant des piliers de la politique de lutte contre les violences", analysent les auteurs. Ils regrettent, enfin, une sous-utilisation des financements en provenance de l'Union européenne.

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