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Rentrée scolaire : "C'était soit partir, soit rester dans le bateau et couler", racontent d'anciens enseignants qui ont démissionné de l'Education nationale

Le nombre de démissions de professeurs a été multiplié par quatre en quelques années en France. Le manque de reconnaissance, de la hiérarchie et de la société, est notamment pointé du doigt.

Article rédigé par Rachel Rodrigues
France Télévisions
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Le nombre de démissions de professeurs a été multiplié par quatre en quelques années en France. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

Solange est catégorique : "A terme, je me serais transformée en professeure aigrie et ce sont les élèves qui en auraient pâti." Ancienne institutrice, elle a décidé de quitter le métier en septembre 2019 après vingt ans de carrière dans l'Education nationale. Elle n'est pas la seule. Sur l'année scolaire 2020-2021, 2 300 enseignants ont démissionné, selon les chiffres du ministère révélés début juillet. Ils n'étaient que 804 quatre ans plus tôt.

Cette augmentation du nombre de démissions fait poindre des inquiétudes, à quelques jours de la rentrée scolaire, le 1er septembre. D'autant plus que quelque 4 000 postes n'ont pas été pourvus à l'issue des concours organisés en 2022, sur un total de 27 332 ouverts dans le public et le privé. Manque de reconnaissance, sentiment d'impuissance, lourdeurs administratives… Des enseignants nous racontent les raisons qui les ont poussés à jeter l'éponge. 

Un épuisement sur la durée

"Un matin, je n'ai pas réussi." Marie* se souvient très bien de ce mardi de novembre 2019 : "J'ai déjeuné avec une collègue et elle m'a dit qu'elle ne me reconnaissait pas." Ce jour-là, démunie face à une classe surchargée, cette ancienne professeure des écoles de près de vingt ans de carrière est rattrapée par la fatigue qu'elle a accumulée pendant des années : "Dès que les élèves partaient en récré, je pleurais." Un rendez-vous avec son médecin le jour suivant suffit pour qu'il décide de l'arrêter. L'envoi d'une lettre de démission suivra quelques semaines plus tard.

Pour Marie, ce burn out et l'arrêt maladie qui a suivi sont le résultat de plusieurs années de surmenage. Avec près de 30 élèves dans la même classe cette année-là, "je me retrouvais avec quatre niveaux différents. D'un point de vue pédagogique, je devais en faire toujours plus", se souvient l'ancienne enseignante de 43 ans. Le constat est le même pour Cindy, qui a enseigné pendant dix ans les mathématiques au lycée dans l'académie de Nancy-Metz. Une année, elle doit encadrer une classe de terminale S de 39 élèves. Pour elle, qui doit aller chercher des tables supplémentaires à chaque heure de cours, c'est mission impossible.

"Je n'avais même pas deux minutes à accorder à chaque élève. Résultat : mon cours ressemblait à une heure de fac en amphi."

Cindy, ancienne enseignante en mathématiques

à franceinfo

De son côté, Erwan, ancien professeur d'histoire-géographie contractuel (employé par le rectorat) dans l'académie de Rennes, s'est retrouvé ballotté par un système d'affectation qui l'amenait à changer de niveau, voire d'établissement, presque tous les ans. "Il m'est arrivé de passer de la sixième à la terminale, d'une année à l'autreDans ces moments-là, on doit se former au dernier moment et apprendre de nouveaux programmes", explique l'ancien enseignant de 37 ans. Même constat pour Cathy, ancienne professeure d'anglais ayant effectué des remplacements pendant une dizaine d'années, dans l'Ain puis dans la métropole lyonnaise : "Au final, on réalise qu'on est juste un pion face à des exigences budgétaires, qu'on va déplacer selon les besoins."

Pour de nombreux enseignants, les tâches administratives, "de plus en plus nombreuses", viennent aussi rallonger les journées de travail. La constitution de dossiers et l'organisation de réunions dans le cadre de sorties ou de projets spécifiques sont très chronophages. De même, ils déplorent un manque de moyens qui les empêche d'accompagner correctement les élèves en situation de handicap dans le cadre de l'école inclusive que le gouvernement veut mettre en place

"Je me suis dit que ça n'allait pas lorsque je me faisais la réflexion : vivement les vacances, je vais pouvoir bosser."

Anne, ancienne professeure de lettres classiques

à franceinfo

La pression engendrée par ces responsabilités finit par devenir difficilement supportable, décrit Solange. "On a toujours cette angoisse qu'un jour, ça ne se passe pas bien. Ça a fini par me manger."

"Zéro reconnaissance"

Une fatigue renforcée par le mépris exprimé par le reste de la société. "Ça va, tu as 18 heures de cours par semaine, de quoi tu te plains ?", "De toute façon, tu as plein de vacances"... Ces remarques, Solange les entendait presque systématiquement lorsqu'elle était enseignante. Elle évoque même le "petit sourcil qui se lève" et le "sourire en coin" sur les visages de ses interlocuteurs à chaque fois qu'elle parle de son métier. Pour elle, et pour une bonne partie des enseignants, les stéréotypes sur la profession sont épuisants au quotidien. "Il faut systématiquement se justifier, prouver que oui, en fait, on travaille vraiment", s'offusque-t-elle. 

L'intégralité des professeurs interrogés pointe par ailleurs du doigt un "lien de confiance brisé" avec la hiérarchie, jugée "pas assez présente" pour son personnel. "Nous avons zéro reconnaissance", estime Marie, remontée. Dans la vie de tous les jours, cela se mesure au ton employé par les directions d'établissement et les interlocuteurs au rectorat lorsqu'un enseignant veut signaler une absence ou demander un arrêt. "On nous fait culpabiliser en nous disant à quel point il va être compliqué de nous trouver un remplaçant", relate Marie. 

Sur le long terme, l'exemple des visites d'inspection est également parlant. "Le dernier entretien que j'ai eu remontait à 2018 et, depuis, j'étais censée ne plus du tout en avoir avant la retraite", explique l'ancienne enseignante. Or, nombre d'entre eux soulignent l'importance des retours sur leur travail. 

"Personne ne nous dit jamais : 'Ce que vous faites, c'est bien'. A la longue, ça devient épuisant et on n'a plus envie de progresser."

Agnès, ancienne professeure de sciences physiques

à franceinfo

Il y a aussi la question du salaire, jugé trop bas et "pas du tout valorisant" par la plupart des enseignants que franceinfo a interrogés. Pour Anne, qui a enseigné dans l'académie de Toulouse, la raison financière a beaucoup pesé dans la balance. "J'avais du mal à finir le mois et en plus de ça, je ne voyais aucune perspective d'évolution de carrière. J'en ai eu ras le bol", explique-t-elle. Avec un niveau d'études bac +5, elle raconte avoir commencé à 1 500 euros net par mois en tant que titulaire. Au bout de dix ans de carrière, elle avait à peine atteint 1 800 euros. 

A ce sujet, le ministre de l'Education nationale, Pap Ndiaye, a annoncé dans un entretien au Parisien (article payant), le 26 juin, que tous les enseignants débutants toucheraient au moins 2 000 euros net à partir de 2023. "La valeur du point d'indice de la fonction publique a par ailleurs été augmentée de 3,5% à compter du 1er juillet 2022", répondait fin juillet le ministère, contacté par franceinfo.

Sentiment de solitude

Parfois, c’est à peine entrés dans le métier que les enseignants, fraîchement diplômés, se résignent à le quitter. "Une fois le concours passé, on nous confie une classe sans préparation ni conseil", témoigne Julie, qui n'a exercé que quelques mois en tant que professeure des écoles dans l'académie d'Orléans-Tours. 

Lorsqu'il est affecté dans sa première classe près de Caen, en 2019, Jordan* se sent très vite perdu face au groupe d'élèves qu'il doit gérer du jour au lendemain. "Forcément, au début, j'avais du mal à asseoir mon autorité", déplore-t-il d'une petite voix. En tant que professeur stagiaire (première année avant la titularisation), il est en charge d’une classe de CE1-CE2 les lundis et mardis. 

"La réalité du terrain est très différente de ce qu'on apprend à l'école. J'aurais attendu des astuces, des conseils concrets sur comment enseigner en classe, mais rien n'est venu."

Jordan*, ancien professeur des écoles

à franceinfo

Pendant cette année de stage, un enseignant tuteur est censé l'accompagner, mais dans les faits, les conseils lui manquent. Jordan enchaîne les mauvaises expériences pendant des mois, jusqu'au moment où il décide de démissionner durant l'été, après un mois d'arrêt. Le jeune instituteur de 27 ans ne sera malheureusement jamais titularisé. "A force de ne plus savoir à qui m'adresser, je me suis dit que ça n'allait jamais marcher", conclut-il, l'air désolé. 

"Face à un mur"

Bien souvent, les enseignants ne réalisent l'ampleur de leur souffrance qu'au moment où elle se répercute sur leur santé. Pour Agnès, ce sont des "problèmes de dos inexplicables", des "migraines récurrentes" et une hospitalisation en 2019 qui donnent l'alerte. Contacté par franceinfo, le rectorat de Lille indique que lorsque de telles situations de mal-être lui sont signalées, "les enseignants sont invités à prendre contact avec un conseiller en ressources humaines ou la médecine de prévention". Dans les faits, les solutions offertes restent limitées, fait valoir Agnès. "Nous avons l'impression de nous heurter à un mur", affirme Céline, ancienne institutrice.  

Face à ce mur, certains décident alors de rendre leur tablier. "C'était soit partir, soit rester dans le bateau et couler avec. J'ai sauvé ma peau", résume Marie d'un air résigné. Aujourd'hui, ils et elles sont apicultrice, inspectrice, comédien ou encore apprenti libraire. "Epanouis" et "beaucoup moins fatigués", presque tous admettent repenser à leur métier d'enseignant et à leurs élèves. "Lorsque je les croise, ils m'appellent encore maîtresse", se réjouit Solange, aujourd'hui gérante de gîtes dans les Pyrénées-Atlantiques. Le "plaisir d'enseigner" ne l'a jamais quittée. Avec du recul, tous en arrivent à la même conclusion : ils ne sont pas partis à cause du métier, mais bien d'un système dysfonctionnel, une "grosse machine" qui les a usés. 

* Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressé(e)

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