"On fait du travail à la chaîne, comme à l'usine" : le difficile quotidien des assistantes en écoles maternelles
Les Atsem, assistantes chargées d'aider les enseignants d'école maternelle, vont voir leurs conditions de travail s'améliorer. Quatre d'entre elles témoignent des difficultés qu'elles rencontrent au quotidien.
Après deux jours de grève, le 14 décembre et le 1er février, les revendications des Atsem (Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles) ont été entendues lundi 13 février par le gouvernement. Ces assistantes, chargées d'aider les enseignants d'école maternelle, devraient voir leurs conditions de travail s'améliorer.
Annick Girardin, ministre de la Fonction publique, s'est engagée à mieux définir leurs prérogatives, parfois floues, et qui varient selon les communes dont dépendent ces agents territoriaux. Elle a également annoncé une revalorisation de leur salaire, proche du SMIC, d'ici 2020, et une prise en compte de la pénibilité de leur travail. Pour mieux comprendre leur quotidien, Franceinfo a recueilli le témoignage de quatre de ces professionnelles confrontées à la difficile réalité d'un emploi souvent mal considéré.
"Un jour, il m'est arrivé de faire seule le travail de sept autres personnes non remplacées", explique Alma, une Atsem qui travaille en région Paca depuis une dizaine d'années. Ses journées sont bien remplies : elle est chargée d'assurer l'entretien des locaux, d'accueillir les bambins, de superviser la sieste, de surveiller la cantine et d'encadrer des ateliers en tout genre.
Un parcours du combattant
"Déjà qu'en temps normal il est difficile de tout faire, en effectifs réduits on est obligé d'abandonner certaines tâches et de se concentrer sur l'essentiel", reprend la quinquagénaire. Ses conditions de travail se sont fortement dégradées depuis quelques années : "Les absences ne sont plus remplacées, certaines personnes doivent gérer une trentaine d'enfants par classe, quand ce n'est pas plusieurs classes en même temps".
Parfois, certaines situations sont encore plus compliquées. "L'an dernier, j'ai découvert qu'un des enfants que je supervisais était autiste", confie Isabelle, qui vit dans le sud de la France. Malgré son expérience professionnelle – elle a été titularisée en 2000 – la femme vit un parcours du combattant.
Je devais le gérer en plus des autres, il avait besoin d'une attention particulière. Il frappait les autres enfants, s'échappait et était dangereux, pour lui comme pour les autres.
Isabelle, Atsemà franceinfo
Le jeune garçon passe deux ans sans bénéficier du soutien d'un auxiliaire de vie scolaire, censé accompagner individuellement un élève en situation de handicap. "Je n'avais aucune formation pour m'occuper d'un enfant autiste, cette situation me bouffait la vie. J'étais obsédée par cette histoire, je ne pouvais pas parler d'autre chose à la maison." Son médecin l'a finalement arrêtée une quinzaine de jours pour dépression.
"Dès que je termine le travail, je suis une loque"
La situation des Atsem varie beaucoup en fonction des mairies qui les emploient. Si certaines municipalités disposent de chartes qui détaillent leurs prérogatives, à l'instar de Lyon ou Saint-Etienne, d'autres communes les embauchent pour des tâches bien différentes de celles qui devraient leur être dévolues. "Certains sont obligés d'aller faire le ménage dans les locaux des hôtels de ville", confie Isabelle. "Cette année, il nous a été annoncé que nous devions travailler au moins 48 heures par an en centre de loisirs", explique Anne, qui travaille dans une ville moyenne du sud de la France. "Cette décision a été prise sans même nous avoir consultées avant. Ils cherchent à faire des économies au maximum".
Ces nouvelles prérogatives s'ajoutent à des conditions de travail difficiles. "Dès que je termine le travail, je suis une loque", avoue Anne. "Je pose les fesses sur mon canapé et me repose jusqu'au lendemain", explique la mère de famille, légèrement embarrassée. "Je demande à mes enfants de ne pas parler", reprend Alma, "je suis tout le temps malade, tout le temps fatiguée". Ce qui est le plus épuisant pour les Atsem, c'est le repas du midi.
Le bruit est insupportable, quand tous les petits crient. C'est un peu comme être en permanence à côté d'un train, pendant une heure
Anne, Atsemà franceinfo
La pause réglementaire qui est allouée aux encadrantes, une demi-heure, ne suffit pas aux assistantes pour décompresser.
"Votre travail n'est pas plus difficile qu'un autre." Anne, devenue Atsem à 50 ans, se souvient parfaitement de cette phrase prononcée par sa directrice des ressources humaines (DRH). Après quatre ans d'exercice, elle liste les problèmes de santé causés par son emploi : deux opérations du canal carpien, des douleurs dans les bras et une fragilité du talon d'Achille. "Nous faisons de nombreuses tâches répétitives comme le ménage. En plus, tout est bas dans la classe, je suis perpétuellement courbée", raconte-t-elle.
Les "bonniches" des parents et des instituteurs
Alma gère quotidiennement des classes de 30 enfants, la norme en Paca. "A ce niveau-là, on fait du travail à la chaîne, comme à l'usine." La mère de famille a mis ses propres enfants dans des établissements privés, par dégoût des conditions d'encadrement. "Quand on a dix minutes pour emmener autant d'enfants aux toilettes, on a des yeux et des mains partout. Il est impossible de leur donner de l'attention", reprend-elle. Toutes les Atsem sont catégoriques : le rythme est infernal. "On court partout", "on est tiraillées de toutes parts", "impossible de souffler", disent-elles en chœur.
Celles qui étaient autrefois appelées "les dames de service" se sentent rabaissées par les autres acteurs du monde scolaire. "On est considérées comme les bonniches des parents et des instituteurs", explique Laurence.
Certains professeurs me demandent de gérer le secrétariat ou de raccompagner les enfants à leur domicile. D'autres m'envoient faire des courses.
Laurenceà franceinfo
Selon elle, les conditions de travail dépendent fortement de l'établissement fréquenté et de l'équipe d'encadrement. "Certaines fois, ça se passe très bien. C'est plus compliqué avec d'autres instituteurs, dans ce cas je fais le strict minimum", confie celle qui tourne dans 26 écoles de région parisienne.
La relation avec les parents peut parfois être houleuse. "Nous sommes leurs premiers interlocuteurs, ils viennent spontanément vers nous", décrit Alma, "mais ils ne sont pas tous très respectueux ni attentifs." Elle se souvient d'une mère de famille qui lui avait rapporté que sa fille avait parlé d'elle le soir, à table. Flattée, l'Atsem est d'abord ravie, avant que la mère de famille lui lance sèchement : "Poisson d'avril !". Une remarque qui a "blessé" Alma : "Depuis, je l'évite..."
"Notre concours est difficile, nous étions moins de 2% à le réussir l'année où je l'ai passé", explique Anne, qui a participé aux grèves du 14 décembre et du 1er février. "Certains oublient que nous sommes compétentes pédagogiquement." Au-delà de "l'amélioration des conditions de travail" et la "clarification des missions" promises par la ministre, c'est aussi un changement dans la considération qu'on leur accorde qu'attendent les Atsem.
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