Pénurie d'enseignants : pourquoi l'idée de Michel Barnier de faire appel aux professeurs retraités volontaires ne fait pas l'unanimité
"Le ministre de l'Education nationale lance un appel aux enseignants retraités". C'est le titre d'un article du Monde, datant de 1958. Objectif, à l'époque : remédier à la pénurie de professeurs, et de fait, l'absentéisme. Soixante-six ans plus tard, même problème, et même solution exposée. Dans sa déclaration de politique générale, Michel Barnier a déclaré, mardi 1er octobre, vouloir "trouver des réponses au défi posé par le remplacement des professeurs absents". Il a brandi cette piste : "Faire plus et mieux appel à des professeurs retraités volontaires."
Lors d'un débat suivant son discours, face à Mathilde Panot, présidente du groupe LFI à l'Assemblée nationale, le Premier ministre a temporisé et admis qu'il ne s'agissait pas de "la solution, évidemment" mais d'"une des solutions" à l'étude. La mesure a pourtant déjà été expérimentée. En 1958, donc, mais aussi plus récemment, lors de la crise du Covid-19. En avril, l'ex-ministre de l'Education nationale, Nicole Belloubet, avait aussi proposé de faire appel aux professeurs retraités pour assurer la mise en place des groupes de besoin en français et mathématiques, comme le rapporte Public Sénat.
Un vivier difficile à mobiliser
Mais l'utilisation de ce vivier n'a jamais porté ses fruits, selon les syndicats. "Ce n'est clairement pas une solution ni une réponse acceptable. Durant la crise sanitaire, on a eu des retours de nos équipes locales. Les rectorats en demande avaient au mieux une candidature pour des centaines de besoins", affirme Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale de la CFDT Education.
"Ils ont fait le choix d'interrompre leur activité, ce n'est pas pour y retourner dans les mêmes conditions quelques mois plus tard, à moins qu'il y ait un avantage financier considérable", estime pour sa part Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN-Unsa. Contacté à ce sujet par franceinfo, le ministère n'a, pour l'heure, pas répondu à nos sollicitations. Selon Catherine Nave-Bekhti, les enseignants en fin de carrière sont de plus en plus nombreux à partir à la retraite "avec une décote, plutôt que de faire l'année de trop". "On est aussi alertés par ceux qui, passé 50 ans, font une demande de temps partiel, qui leur est très souvent refusée", souligne la représentante de la CFDT, dont le syndicat milite d'ailleurs pour une meilleure politique de santé et de prévention dans l'Education nationale.
Philippe Watrelot, professeur et formateur retraité depuis septembre 2022, sait déjà qu'il ne retournerait pas en classe si on le lui demandait. "La retraite est un acquis social, il faut passer à autre chose même si j'ai fait ce métier avec beaucoup d'enthousiasme", explique l'ancien fonctionnaire. Il remarque que "les conditions de travail" se sont aussi "dégradées" au fur et à mesure des années. "Etre prof, ce n'est évidemment pas travailler au fond de la mine. Mais il y a un manque cruel de reconnaissance qui provoque beaucoup de fatigue."
Surtout, la mesure avancée par Michel Barnier ne permet pas de prendre le problème par le bon bout, selon ces professionnels. "On a encore plus de 3 000 postes qui n'ont pas été pourvus en 2024", rappelle Jean-Rémi Girard, président du Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (Snalc). Résultat, des postes sont vacants dès la rentrée et "on vide très tôt le vivier de professeurs remplaçants" pour pallier ces premiers manques, explique Jean-Rémi Girard. Sauf que de nouvelles absences peuvent surgir tout au long de l'année.
Selon un rapport de la Cour des comptes datant de fin 2021, le remplacement des professeurs des écoles est assuré dans près de 80% des cas. Au collège et au lycée, ce taux atteint 96%, mais seulement pour les longues absences, soit supérieures à 15 jours. Au total, près de 10% des heures de cours ont été "perdues" à ces niveaux de scolarité lors de l'année 2018-2019.
L'attractivité du métier en toile de fond
Pour limiter ces absences, la priorité est donc de donner envie aux jeunes de passer le concours et de mieux considérer les professeurs en poste – même si ces derniers sont plutôt absents pour des raisons de formation que pour des raisons de santé – , estiment les syndicats.
"On a un gros souci avec le salaire et les conditions de travail. Il faudrait notamment revoir la taille des classes", illustre Jean-Rémi Girard. Il évoque également la réforme de la formation, gelée depuis la dissolution. "On n'était pas contre. Il y a quelque chose à faire avec le concours à bac+3 et le fait d'entrer progressivement dans le métier les deux années suivantes."
Aujourd'hui, être prof a perdu de son prestige, comme le déplore Philippe Watrelot : "Si on remonte au temps de Pagnol, l'instituteur, c'était un notable." Bruno Bobkiewicz regrette lui un manque de reconnaissance de la part de la classe politique : "Ce n'est pas en disant merci de temps en temps que se règle le souci. Les personnels ont besoin qu'on valorise ce qui se fait de positif à l'école." Dans une enquête menée sur ses réseaux sociaux en 2023, comme il le fait chaque année depuis 2017, Philippe Watrelot rapporte que le mot qui est plus le revenu pour qualifier l'année écoulée est "mépris". Le même depuis 2019.
Durant son discours de mardi, Michel Barnier a bien évoqué le besoin de "renforcer l'attractivité de la mission d'enseigner" mais n'a pas donné de pistes pour y parvenir. "Tout le monde le dit, mais personne ne le fait", se méfie Jean-Rémi Girard.
Le Premier ministre a également estimé que les professeurs avaient moins "besoin de grandes réformes et d'une énième refonte des programmes que du bon fonctionnement de leurs établissements". Une posture qui tranche avec celle de son prédécesseur, Gabriel Attal, dont la réputation dans le monde de l'éducation était celle de privilégier le temps politique au temps de l'école.
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