Les opposants à la "théorie du genre" s'attaquent à des livres pour enfants
Dans la foulée du patron de l'UMP, les défenseurs d'une vision traditionnelle de la famille font de la littérature jeunesse leur nouveau champ de bataille, et demandent le retrait de certains ouvrages des bibliothèques.
Tous à poil, Mademoiselle Zazie a-t-elle un zizi ?, Papa porte une robe. La littérature jeunesse est accusée d'être le cheval de Troie de la prétendue "théorie du genre". Les défenseurs d'une vision traditionnelle de la famille emboîtent le pas au patron de l'UMP. Dans la foulée de Jean-François Copé, qui a brandi un livre pour enfants en contre-exemple, certains mouvements de droite font de la littérature jeunesse leur nouveau combat. Les livres pour enfants sont devenus un terrain de bataille politique, mardi 11 février.
Le Printemps français lance l'offensive
Depuis une semaine, un blog marqué très à droite, Le Salon beige, dresse une liste de "bibliothèques idéologiques" proposant, selon ses termes, des livres "à la gloire du 'gender'". Mardi, le Printemps français, groupe d'opposants radicaux au mariage homosexuel, a pris le relais. Il appelle les parents à contacter les bibliothèques pour faire pression contre les livres reflétant, à ses yeux, la "théorie du genre".
"Les livres qui mettent dans la tête d'une petite fille ou d'un petit garçon qu'ils ne sont pas forcément fille ou garçon en fonction de leur sexe biologique, mais qu'ils décideront quand ils seront plus grands, ces livres-là doivent être mis à part", estime la présidente de ce mouvement, Béatrice Bourges. Elle considère que ces ouvrages "sèment la confusion" dans la tête des enfants.
"On demande aux parents d'appeler les bibliothèques, d'appeler les mairies pour que ces livres soient retirés des rayonnages", explique-t-elle. Et elle se félicite que des appels téléphoniques aient déjà été émis "un peu partout" en France par des "parents citoyens soucieux de l'éducation de leurs enfants".
"Près d'une trentaine de bibliothèques publiques" visées
La ministre de la Culture Aurélie Filippetti assure dans un communiqué que "près d'une trentaine de bibliothèques publiques ont fait l'objet, ces derniers jours, de pressions croissantes de la part de groupuscules fédérés sur internet par des mouvements extrémistes qui en appellent désormais à la lutte contre ce qu'ils appellent les 'bibliothèques idéologiques'".
Selon une source proche du ministère, ces actions ont notamment visé les villes de Versailles, Rennes, Nantes, Dole, Toulon, Lamballe, Saint-Etienne, Troyes, Le Chesnay, Massy, Saint-Germain-en-Laye, Andernos-les-Bains, Neuilly-sur-Seine, Mérignac, Tours, Strasbourg, Castelnaudary, Quimperlé, Boulogne-Billancourt, Riom, Clermont-Ferrand, Lyon, Viroflay et Cherbourg.
Mais, pour l'heure, certaines des villes citées par le ministère disent à l'AFP n'avoir reçu aucune pression, comme à Strasbourg, Lyon, Saint-Etienne, Dole ou Mérignac. A Rennes, "un Rennais" a écrit un e-mail pour dénoncer la présence des ouvrages incriminés.
Des maires jouent le jeu
A Neuilly-sur-Seine, le maire UDI Jean-Christophe Fromantin assure, lui aussi, n'avoir reçu "aucune pression", bien qu'il ait reçu deux e-mails et un courrier incriminant cinq livres, dont certains sont en rayon depuis 1994. Les livres sont sur le bureau du maire, qui veut les consulter avant de prendre une décision. S'il juge qu'ils font la promotion de la théorie du genre, il "les retirer[a] après en avoir parlé aux élus."
C'est la décision prise par le maire DVD du Chesnay (Yvelines) Philippe Brillault, en pointe de la contestation contre l'ouverture du mariage aux couples homosexuels. L'édile a reçu, la semaine passée, deux parents venus lui demander de retirer le livre Tango a deux papas et pourquoi pas ? des rayons de la bibliothèque. Quelques jours, plus tard, il recevait un message sur son blog et trois courriels de Chesnaysiens, "jamais agressifs" selon lui.
La dizaine de titres auparavant stockés dans un bac accessible aux plus petits sont désormais placés en hauteur sur une étagère du "fonds des parents", dédiée à la parentalité dans le rayon jeunesse de la bibliothèque de la ville. "Nous protégeons les enfants, c'est aux parents de choisir ce qu'ils veulent pour eux", a-t-il justifié. Il se défend d'être un "censeur" et il assure que la municipalité continuera "à acheter ces livres".
Le gouvernement monte au créneau
La ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, dénonce, dans un communiqué, les "pressions" exercées par des "mouvements extrémistes" contre des bibliothèques. Selon elle, ces groupes "somment" les personnels "de se justifier sur leur politique d'acquisition, fouillent dans les rayonnages avec une obsession particulière pour les sections jeunesse, et exigent le retrait de la consultation de tout ouvrage ne correspondant pas à la morale qu'ils prétendent incarner".
"Ça existe peut-être mais je ne suis pas au courant", réplique Béatrice Bourges, qui évoque simplement des appels téléphoniques.
Les bibliothécaires se défendent
L'Association des bibliothécaires de France (ABF) exprime son "désaccord profond avec ces prises de positions partisanes et extrêmes". Selon elle, les ouvrages incriminés par ces groupes de pression sont ceux d'une bibliographie proposée par le syndicat enseignant SNUipp-FSU de 79 livres de jeunesse pour promouvoir l'égalité femme-homme et la lutte contre l'homophobie. L'association, forte de quelque 3 000 adhérents, espère "que la liste des bibliothèques ayant procédé à ces acquisitions s'allongera" en dépit des "quelques sites web qui appellent ces derniers jours au retrait de livres, dont la liste est dressée".
Ces pressions relèvent de "l'obscurantisme, d'une sorte de fanatisme" et d'un "manque de confiance en la capacité des Français à se faire une opinion par eux-mêmes", renchérit Patrick Weil, président de Bibliothèques sans frontières (BSF). La directrice du Salon du livre jeunesse de Montreuil, Sylvie Vassallo, s'inquiète, elle aussi, des "attaques" qui "se multiplient depuis quelques mois sur le caractère 'pernicieux' de la littérature jeunesse".
Ce type de comportement n'est pas sans rappeler la situation que connaissent les bibliothèques américaines, relève Livres Hebdo. La censure exercée par différents groupes de pression y est suffisamment grave pour que l'American Library Association ait créé la "Banned Books Week", semaine contre la censure et pour la liberté de lecture.
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