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Pourquoi l'interdiction des téléphones portables au collège ressemble à un casse-tête

Le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a réaffirmé la volonté du gouvernement d'interdire complètement les téléphones portables au collège, mercredi 13 septembre. Mais des organisations d'enseignants et de parents d'élèves doutent de la faisabilité d'une telle mesure. 

Article rédigé par franceinfo - Valentine Pasquesoone
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Publié Mis à jour
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Une élève utilisant un téléphone portable dans un établissement scolaire, lors d'une épreuve du baccalauréat.  (DURAND FLORENCE / SIPA)

L'annonce n'est pas passée inaperçue, à peine dix jours après la rentrée scolaire. Le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a affirmé sa volonté d'interdire complètement les téléphones portables au collège, dans une interview accordée à L'Express, publiée mercredi 13 septembre. "Avec les principaux, les professeurs et les parents, nous devons trouver le moyen de protéger nos élèves de la dispersion occasionnée par les écrans et les téléphones", a-t-il défendu. 

En faisant cette annonce, le ministre a repris une promesse emblématique de campagne d'Emmanuel Macron. Le président de la République, alors candidat, avait déclaré en mars souhaiter "que l'usage du téléphone portable soit totalement interdit dans l'enceinte des collèges et des écoles primaires", rappelle Le Parisien.

Mais cette mesure est-elle réellement applicable, et aura-t-elle un impact ? Jeudi, des syndicats d'enseignants et associations de parents d'élèves s'interrogent sur le bien-fondé – et la faisabilité – d'une telle interdiction. Franceinfo vous explique pourquoi ce projet pose autant question. 

Parce que la loi et les règlements intérieurs l'interdisent déjà 

Dans son entretien à L'Express, le ministre de l'Education nationale a lui-même reconnu que la loi prévoyait déjà l'interdiction des téléphones portables au collège. Le Code de l'éducation prévoit en effet que l'utilisation d'un téléphone par un élève est interdite "durant toute activité d'enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur". Cette interdiction s'applique "dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges", précise le texte. 

La loi interdit donc déjà les portables pendant les cours. Interrogée par franceinfo, la secrétaire générale du syndicat enseignant Snes-FSU, Frédérique Rolet, explique que les règlements intérieurs de chaque établissement prennent ensuite le relais de la loi, interdisant ou non l'usage des téléphones dans les couloirs, les cours de récréation et d'autres lieux du collège. "Il y a déjà une série de dispositions", soutient Frédérique Rolet, doutant de l'utilité d'une nouvelle mesure. D'autant plus que l'inclusion de cette réforme dans les textes de loi reste floue. "Un dispositif législatif sera pris en vue de faciliter la mise en œuvre d’une telle mesure", avait déclaré un conseiller d'Emmanuel Macron au Parisien en mars, sans donner de précisions. 

"L'interdiction actuelle nous satisfait, elle nous convient parfaitement", réagit de son côté Gérard Pommier, président de la fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (Peep), interrogé par franceinfo. "S'il y a une loi, il faut à tout prix prévoir les moyens, humains et financiers, qui vont avec." 

Parce que l'utilisation de casiers semble difficilement applicable

En annonçant l'interdiction des téléphones portables au collège, Jean-Michel Blanquer a esquissé une première piste pour l'appliquer dans chaque établissement. "En Conseil des ministres, nous déposons nos portables dans des casiers avant de nous réunir. Il me semble que cela est faisable pour tout groupe humain, y compris une classe", a-t-il avancé. Le ministre a précisé cette idée, mercredi sur LCP. "On peut tout à fait imaginer des casiers qui ferment, avoir des solutions différentes d'un endroit à l'autre", a-t-il déclaré, tout en souhaitant une mise en place "en 2018"

Mais le recours à des casiers semble "impossible" pour Frédérique Rolet, qui s'inquiète des risques de perte et de vol de téléphones portables dans ces situations. "Dans le second degré, les élèves rentrent et sortent des établissements à des horaires différents", note la secrétaire générale du Snes-FSU. "Il faudrait que vous ayez des enseignants en nombre suffisant pour contrôler les jeunes quand ils déposent leurs téléphones portables, s'inquiète-t-elle. Et qu'il y ait systématiquement quelqu'un pour rendre le téléphone à l'élève. Il y a des choses plus utiles à faire." 

"Les casiers nécessitent de l'espace, du personnel, or nous sommes en période de contrainte, abonde Gérard Pommier, de la Peep. Des collèges manquent déjà de casiers pour les cartables. Cela peut prendre des années pour en avoir, faute de moyens !"

Parce que les enseignants ne peuvent pas tout contrôler

L'annonce de Jean-Michel Blanquer, qui semble impliquer une interdiction totale des téléphones portables au collège, pose aussi la question de ce que les professeurs peuvent faire en cas de refus d'un élève de respecter les règles. "Les enseignants n'ont pas le droit de fouiller les élèves, de confisquer les téléphones portables, rappelle Frédérique Rolet. Que faites-vous dans le cas où un jeune a caché son téléphone ?" 

"Comment procéder ?" s'interroge également Lysiane Gervaix, principale d'un collège de Bordeaux, interrogée par BFMTV. "Faudra-t-il installer des détecteurs de téléphones ? On va jouer au chat et à la souris", s'inquiète-t-elle. 

Parce que certains parents souhaitent que leurs enfants aient un téléphone à l'école

Interrogée par le site VousNousIls, Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Snes-FSU, rappelle que les élèves ont des téléphones portables au collège car ils "sont équipés par leurs parents", "qui veulent pouvoir joindre leur enfant après la classe, parce que ça les rassure". "Il faut dialoguer avec les familles", insiste Frédérique Rolet, confirmant le constat de sa collègue. 

De son côté, Gérard Pommier assure qu'il compte autant de parents favorables à l'interdiction des téléphones portables qu'à leur autorisation. Dans un collège du département du Rhône qu'il a visité en 2016, le président national de la Peep a relevé entre 80 et 85% d'élèves ayant un téléphone. 

Mais pour le ministre de l'Education nationale, c'est un véritable "enjeu de civilisation" qui se joue. "On est en train d'avoir un impact sur les cerveaux de nos enfants", s'est-il inquiété sur LCP. "C'est une question... presque de santé publique", a-t-il ajouté. 

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