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Reportage "La situation ne s’améliore pas, elle se détériore même" : dans les crèches, le manque de personnels reste criant

La pénurie de personnels continue, et s'aggrave même, dans les crèches. La faible rémunération et la détérioration des conditions de travail n'attirent pas les personnes à se former pour ces métiers de la petite enfance.
Article rédigé par franceinfo - Benjamin Recouvreur
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
  (ANTOINE BOUREAU / HANS LUCAS)

Une place en crèche est toujours une denrée rare en cette rentrée. Selon les professionnels, il manque encore cette année 10 000 postes dans le secteur de la petite enfance. Les crèches de la ville de Bordeaux font notamment face de plein fouet à cette pénurie de personnels, avec 70 postes vacants et 100 places gelées. "C’est 10% de notre capacité d’accueil, c’est sans précédent et cela a un vrai impact sur les familles", note Fannie Le Boulanger, adjointe à la mairie en charge de la petite enfance.

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Cette année, le taux de réponses positives adressées aux familles est tombé à 50%, contre 57% en 2022. "La situation ne s’améliore pas, elle se détériore même", confirme Cyrille Godfroy, représentant du Syndicat des personnels de la petite enfance (SNPPE).

Les crèches privées sont aussi touchées par la situation. Toutes les crèches du groupe Maison Bleue, qui compte plus de 500 structures dans toute la France, sont ouvertes en cette rentrée, mais pas à pleine capacité. "On est en recrutement perpétuel, et bien sûr qu’il y a des crèches où on n’a pas le nombre suffisant de professionnels pour pouvoir accueillir le nombre d’enfants autorisé. C’est un vrai enjeu national parce qu’on a des parents, et surtout des mamans, qui ne peuvent pas retourner travailler parce qu’on manque de places en crèches", note la directrice du groupe, Claire Laot. Pour attirer des candidats, le groupe a augmenté les salaires de 10% cette année.

La formation au cœur du problème

Sur les réseaux sociaux, les annonces sont encore nombreuses pour compléter les équipes. Adjaratou Elola, qui gère une crèche parisienne du groupe Tillou, a fini de composer son équipe juste avant la rentrée : "J’ai dû renouveler toute l’équipe, et ce n’était pas évident, mais j’ai réussi." Elle pointe de nombreux obstacles, comme les bas salaires et le manque d’attractivité des métiers de la petite enfance.

La question de la formation est aussi systématiquement posée. "Il y a un manque d’anticipation du besoin de personnels de la petite enfance", regrette l'adjointe à la mairie de Bordeaux Fannie Le Boulanger. "Cela va beaucoup plus vite de construire une crèche, on sait le faire en six mois, que de former un professionnel compétent, ce qui prend entre un et trois ans", note de son côté Elsa Hervy, de la Fédération des entreprises de crèche.

"Entre 2011 et 2021, on a continué à ouvrir des places de crèches de l’ordre de 31%, mais on n’a formé que 7% d’éducateurs de jeunes enfants en plus."

Elsa Hervy, de la Fédération des entreprises de crèche

à franceinfo

En juin dernier, le gouvernement a promis 100 000 places de crèches supplémentaires d’ici la fin du quinquennat, et 200 000 d’ici 2030. "S’il n’y a pas d’humains à mettre dans les murs, votre crèche ne tourne pas, il faut vraiment aller plus vite sur la formation", abonde Fannie Le Boulanger.

Des conditions de travail dégradées 

Outre la fermeture de places, cette pénurie de personnels peut aussi entraîner des dégradations des conditions de travail. Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur la qualité de l’accueil et la prévention des maltraitances le pointait déjà en mars 2023 : "La pénurie de professionnels constitue un facteur aggravant autant qu’un symptôme. Les faibles niveaux de rémunération, la qualité de vie au travail, ne permettent pas d’attirer et de fidéliser le personnel." 

Pour le SNPPE, cela s’ajoute à des taux d’encadrement trop faibles. "En France, le taux d’encadrement est d’un professionnel pour cinq bébés qui ne marchent pas, et d’un adulte pour huit enfants qui marchent. Je vous laisse juste imaginer ce que peut être le temps du repas dans un groupe de dix bébés, où il n’y a que deux professionnels et où les dix bébés ont besoin de leur biberon en même temps", décrit Cyrille Godfroy.

"Quand on en arrive à ne respecter que le minimum, ce sont des conditions très pénibles, aussi bien pour les enfants que pour les professionnels."

Cyrille Godfroy (SNPPE)

à franceinfo

"Dans une crèche sur deux, il manque au moins un professionnel, et son absence va être compensée en partie par des heures supplémentaires ce qui n’est pas bon pour la qualité de vie au travail", reconnaît Elsa Hervy. Dans son groupe La Maison Bleue, Claire Laot assure mener un vrai travail sur les conditions de travail et ne pas augmenter les cadences. "On a complètement revu nos salles de pause, notamment. Un personnel bien traité est un personnel bien traitant", lance-t-elle.

Le livre Le Prix du berceau, à paraître vendredi, pointe des dysfonctionnements et des cas de maltraitances dans des crèches privées. La ministre des Solidarités et des Familles Aurore Bergé a dévoilé mardi 5 septembre sa feuille de route aux professionnels : les questions des contrôles et des revalorisations salariales seront au cœur des prochains échanges.

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