Rythmes scolaires : "On est le seul pays au monde à faire quatre fois deux semaines de vacances", déplore une spécialiste des rythmes biologiques de l’enfant
"On est le seul pays au monde à faire quatre fois deux semaines de vacances. Nulle part ailleurs, ça existe. On fait des ruptures permanentes", déplore mercredi 28 juin sur franceinfo Claire Leconte, spécialiste des rythmes biologiques de l’enfant et de l’adolescent, professeur émérite de psychologie de l’éducation. Lors de son déplacement à Marseille, Emmanuel Macron a souhaité repenser les vacances scolaires, notamment en été, qu’il trouve trop longues.
Pour Claire Leconte, ce n’est pas la priorité. Par exemple, "à la Toussaint, il n'y a pas besoin de deux semaines". Elle dénonce les écoles qui pratiquent la semaine des quatre jours : "C’est une véritable hérésie", selon elle, car les journées sont trop chargées. Elle souhaite également que les matières soient concentrées sur la matinée : "Ça allège les après-midi qui sont beaucoup moins chargées cognitivement et ça marche beaucoup mieux pour les apprentissages", explique-t-elle.
franceinfo : Est-ce qu'il faut raccourcir les vacances d'été ?
Claire Leconte : Je suis contre le raccourcissement de ces huit semaines de vacances parce qu'on sait qu'en France, il y a quand même beaucoup de familles séparées. Si on veut que le père et la mère aient au moins trois semaines avec leurs enfants pendant ces vacances-là, huit semaines, ce n'est pas trop.
Emmanuel Macron estime que les vacances d'été accroissent les inégalités entre les élèves en les éloignant trop longtemps des salles de classe. Vous êtes d’accord ?
Non, je ne lui donne pas raison parce qu'en fait, il se passe beaucoup de choses pendant les vacances avec les familles. Les enfants découvrent des choses qu'ils ne découvrent pas forcément à l'école. C'est tout aussi important pour eux que de faire des cahiers de vacances. Je ne suis pas du tout d’accord. En fait, les parents profitent de ces vacances pour être vraiment avec leurs enfants, ce qu'ils n'ont pas le temps de faire pendant l'année. On se balade en forêt, on regarde les arbres, on regarde les feuilles, on regarde ce qui pousse par terre, etc. On fait des bricolages avec les parents. Et les grands-parents sont très utiles aussi parce que c'est eux qui leur font découvrir les jeux de société à l’ancienne.
Au-delà des vacances d'été, il y a également la question des pauses pendant l'année. Il y en a quatre de deux semaines chacune. Est-ce qu'il faut y toucher ?
Bien sûr. On est le seul pays au monde à faire quatre fois deux semaines de vacances. Nulle part ailleurs cela n’existe. On fait des ruptures permanentes. Sans compter tous les week-ends comme le 1ᵉʳ mai, le 8 mai, l'Ascension, la Pentecôte, le 11 novembre, etc. Ce sont des ruptures permanentes dans l'année qui sont beaucoup plus désagréables pour les enfants et les apprentissages.
Les vacances de février, par exemple, arrivent assez vite après celles de Noël. En fonction des zones, il peut y avoir seulement cinq semaines de cours entre les deux. C'est trop court pour que les élèves prennent le bon rythme ?
Absolument ! Il faut savoir aussi que malheureusement, ces vacances désynchronisent complètement les enfants. Je suis spécialiste des rythmes biologiques. La synchronisation de nos horloges a besoin d'environ deux semaines pour se resynchroniser.
"Quand on décale les enfants qui vont se coucher tard le vendredi dès le début des vacances, c'est à la fin des vacances qu'ils sont de nouveau resynchronisés. Ils retournent à l'école. Il faut repartir à l'envers."
Claire Leconte, spécialiste des rythmes biologiques de l’enfant et de l’adolescentà franceinfo
Il y a beaucoup d'enseignants qui se plaignent que la première semaine, au retour des vacances, les enfants ne sont pas du tout disponibles et pas concentrés.
Quel serait le bon rythme pour les petites vacances ?
À la Toussaint, il n'y a pas besoin de deux semaines. Ça fait six semaines qu’ils sont rentrés des grandes vacances. Ils ont déjà deux semaines de vacances. C'est quand même complètement aberrant. Il y a beaucoup de pays qui ne font que le week-end de la Toussaint. On ferait une semaine, ce serait bien suffisant. Je demande aussi qu'aux vacances de Noël, on ne parte pas le samedi, mais qu'on parte un jour fixe, par exemple le 22 décembre. Quand on part le samedi et qu’il tombe par exemple le 16 ou 17 décembre, les enfants rentrent le 3 janvier, c'est-à-dire deux jours après le réveillon. Ils se couchent tard. Ils ne sont pas du tout en forme pour recommencer alors que si on partait plus tard, on rentrerait plus tard, on rentrerait le 7 janvier environ.
Aujourd'hui, neuf écoles sur dix sont repassées à la semaine de quatre jours. Est-ce que ça a été pour vous une bonne chose ?
Non, c'est une hérésie. C'est une véritable hérésie. Jean-Michel Blanquer, celui qui a donné la dérogation en 2010, se plaignait de la semaine de quatre jours en disant que c'était les adultes qui s'étaient entendus sur le dos des enfants. Il était directeur général de l'enseignement scolaire à cette époque-là. Il disait que c'était idiot parce qu'on densifiait les journées et on supprimait certaines matières. Neuf écoles sur dix, c'est une véritable aberration.
Faut-il aussi changer le rythme de la journée ?
Beaucoup d'écoles fonctionnent encore avec trois heures le matin, trois heures l’après-midi. Ça vient du XVIe siècle. Il y a des écoles qui avaient été créées à cette époque-là par des prêtres. Ils avaient une semaine de cinq jours avec trois heures le matin et trois heures l'après-midi, pas du tout pour des raisons pédagogiques, mais pour respecter le temps des prières. Nous sommes une école publique, républicaine et laïque qui fonctionne au temps canonique. C'est quand même effarant. Beaucoup de pays ont des matinées beaucoup plus longues. C'est exactement ce que j'ai fait quand, au moment de la réforme, j'ai accompagné des communes. Les enseignants ont des matinées bien plus longues, de 3h30 à 3h45. J'en ai même une à Lille qui a quatre heures le matin depuis 1996. Personne ne voudrait en changer. C’est très bon pour l’apprentissage. Grâce à ces matinées plus longues, on ne fait pas que des maths et du français. On introduit dans la matinée l'art plastique, la musique, du sport, pour pouvoir faire des alternances de séquences pédagogiques, des séquences lourdes, abstraites avec une séquence où on fera de la créativité, ou bien de la motricité, ou bien de la réflexion, etc. Du coup, ça allège les après-midi qui sont beaucoup moins chargées cognitivement et ça marche beaucoup mieux pour les apprentissages.
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