Témoignage Procès de deux ex-employées d'une crèche People&Baby : une mère dénonce des "bleus, des blessures sur le corps" de son enfant

L'une des mères de famille plaignantes au procès de deux anciennes employées de People&Baby témoigne sur franceinfo.
Article rédigé par Aurélien Thirard
Radio France
Publié Mis à jour
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Le palais de justice de Lille. Photo d'illustration. (SEBASTIEN JARRY / MAXPPP)

Alors que deux anciennes employées de People&Baby sont jugées, lundi 23 septembre à partir de 14h au tribunal correctionnel de Lille, pour "violence sans incapacité sur mineur de 15 ans par une personne ayant autorité sur la victime", en l'occurrence sur plusieurs enfants, une des mamans plaignantes témoigne au micro de franceinfo. Hasard du calendrier, ce procès intervient au moment même où est publié le livre enquête de Victor Castanet, Les Ogres, qui révèle les pratiques problématiques de ce groupe de crèches privées.

Aux côtés de sept autres familles, Zohra* va assister au procès de l’ancienne directrice et de l'ancienne infirmière de la crèche People&Baby de Villeneuve-d'Ascq, jugées pour des faits de maltraitance à l'encontre de neuf enfants sur une période couvrant 2019 à 2021. C'est justement en 2021 que ses jumeaux sont gardés dans cette crèche et tout commence alors qu'une nouvelle directrice vient d'arriver. Zohra et les autres parents de la crèche constatent le turn-over des puéricultrices, celles qui restent sont débordées, les parents n'ont plus accès à la crèche et surtout ses jumeaux alors âgés de près de deux ans changent brutalement de comportement.

"Des crises à se rouler par terre"

À cette période, Sofiane (prénom d'emprunt), l'un de ses fils, n'est plus le même bébé : "Il n'y a pas une nuit qui se passe sans cauchemars, sans cris, sans pleurs", se souvient cette maman. "Ce sont des anxiétés majeures, il va régresser en termes de langage, il va perdre le sommeil, puis surtout le matin ce sont des crises à se rouler par terre pour ne pas aller à la crèche, alors que ça s'est toujours très bien passé". Zohra l'assure, elle ne fait "pas le lien avec la crèche", car "c'est trop difficile psychologiquement d'incriminer la structure dans laquelle vous mettez vos enfants tous les matins pour aller travailler".

Plusieurs mois après, en mai 2021, les parents, tous deux médecins, constatent des traces suspectes sur le corps de Sofiane. "Un jour, on remarque des bleus, des griffures sur le corps de notre enfant. À la base du cou, sur l'épaule, autour du bras, sur le thorax aussi". Les parents envoient un mail à direction de la crèche, mais la réponse les laisse sans voix. "Elle va me répondre sur un ton que je trouve franchement décalé. Je préviens alors que je suis dans l'obligation, à la suite de cette réponse, de porter plainte".

Des "centaines et des centaines d'histoires"

Dans la foulée, la brigade des mineurs de Lille est saisie, l'enquête avance et ce sont finalement neuf enfants de cette crèche qui sont considérés comme victimes de maltraitance. Parallèlement, en juillet 2022 survient un drame à Lyon. Dans une autre crèche People&Baby une puéricultrice est suspectée d'avoir fait ingérer du Destop à une fillette qui décède. C'est le drame de trop, des parents dans la France entière décident de se constituer en collectif, "Protection Enfance Crèche"**. Zohra en fait partie et à ce titre reçoit des "centaines et des centaines d'histoires".

À partir de ce moment-là, Zohra et les autres parents ont l'impression de faire face à un véritable système, destiné à broyer leur crédibilité. Le groupe People&Baby attaque tous les parents qui ont osé, comme Zohra, mettre en cause publiquement l'entreprise. "J'ai pu constater que mon histoire revenait très souvent et à l'identique et notamment, je connais deux autres familles qui ont reçu des procédures de plaintes en diffamation. C'est ce qu'on appelle des procédures baillons, le but, c'est d'intimider les gens et ça a marché". Elle analyse ainsi la situation : "Les familles ont compris que ce n'est pas possible frontalement d'aller dénoncer quelque chose d'aussi grave" de façon isolée.

"Ça a brisé l'omerta"

Et ce qui change tout, c'est donc la sortie du livre du journaliste Victor Castanet. "Ce qu'on a compris, c'est que si on veut pouvoir mettre le sujet sur la table - c'est un vrai problème de société - à ce moment-là, il va falloir parler collectivement. Et donc c'est ce qu'on a fait à travers tous nos témoignages dans le livre de Victor Castanet. Ça a brisé l'omerta", se félicite cette mère de famille. Elle en appelle désormais aux élus, à l'exécutif : "Les pouvoirs politiques doivent entendre les paroles des familles : elles incarnent, elles sont la personnification d'un problème majeur en amont dont il faut se saisir".

De son côté, la nouvelle direction du groupe People&Baby ne souhaite pas réagir à la tenue de ce procès à Lille, mais a écrit un long communiqué transmis à franceinfo après la publication du livre Les Ogres. "Nous prenons ces révélations extrêmement au sérieux et les pratiques décrites dans l’ouvrage nous choquent profondément", est-il écrit dans ce communiqué. "Elles sont en décalage total avec les valeurs que nous portons aujourd’hui". L’entreprise assure également avoir "entamé une transformation profonde" et indique que "des audits indépendants seront mis en place pour examiner en détail nos pratiques". "L’urgence est réelle à prendre toutes les mesures nécessaires pour rétablir la confiance", conclut ce communiqué.

*Le prénom a été modifié
**Pour contacter le collectif "Protection Enfance Crèche" : protectionenfancecreche@gmail.com

Procès de deux ex-employées d'une crèche People&Baby : le témoignage d'une mère au micro d'Aurélien Thirard

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