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Euthanasie : pourquoi François Hollande n'a toujours pas tranché

Un nouveau sondage BVA indique que les Français sont, à 89%, favorables à l'euthanasie. Pourtant, le président ne cesse de tergiverser sur le sujet, alors qu'il s'agissait d'une de ses promesses de campagne.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Le président de la République, François Hollande, en visite en Andorre, le 13 juin 2014. (FRED DUFOUR / AFP)

"Je n'y comprends plus rien", confie à francetv info Jean-Luc Romero. Le président de l'Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD) ne retient plus sa colère à l'encontre de François Hollande, coupable, selon lui, de trahison sur la question de la fin de vie

Sans prononcer le mot, François Hollande avait évoqué, dans l'engagement 21 de son programme, la possibilité, sous certaines conditions et pour certains malades, de "bénéficier d'une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité." Pour Jean-Luc Romero, aucun doute : "Derrière cette promesse, tout le monde a compris qu'il s'agissait de légiférer sur l'euthanasie." 

Jean-Luc Romero vit comme une "gifle" la nouvelle mission confiée début juin aux députés Alain Claeys (PS) et Jean Leonetti (UMP), d'autant que ce dernier assure au Figaro qu'il n'est pas question de réfléchir au suicide assisté.

La société semble pourtant prête pour une évolution. Dans le contexte de l'affaire Vincent Lambert et de l'acquittement du docteur Bonnemaison, un sondage BVA, publié jeudi 26 juin dans Le Parisien, indique que 89% des Français se prononcent en faveur d'une loi autorisant l'euthanasie. Mais le chef de l'Etat semble décidé à jouer la montre avant de mettre en œuvre sa promesse. Francetv info vous explique les raisons de cette prudence.

Parce que sa position reste floue

Au cours de la campagne présidentielle, François Hollande avait déjà montré sa prudence. En février 2012, il déclare, dans Marianne, qu'il n'est pas favorable à l'euthanasie, mais au "droit de mourir dans la dignité". Plus tard, il explique qu'il s'agit d'améliorer les dispositions de la loi Leonetti sur le droit des malades en fin de vie. Ce texte de 2005 est censé empêcher l'acharnement thérapeutique. Mais il est restrictif et critiqué pour ses insuffisances, illustrées notamment par le cas Vincent Lambert (dans lequel une partie de la famille souhaite la poursuite des soins, tandis que le corps médical s'y s'oppose).

Comme le rappelle L'Express, François Hollande a toujours pris soin d'éviter les mots "euthanasie" ou "suicide assisté" pour définir sa position. Du coup, depuis deux ans, il reste flou sur ses intentions et multiplie, avec son gouvernement, les consultations : rapport du professeur Didier Sicard, avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), avis d'un panel de 18 citoyens, paroles d'experts du milieu médical et désormais une mission confiée aux députés Alain Claeys et Jean Leonetti. A chaque fois, le président semble décidé à avancer. Mais à chaque fois, il relance une nouvelle réflexion.

Parce qu'il est mal à l'aise avec le sujet

Les hésitations de François Hollande peuvent aussi s'expliquer par une position personnelle indécise. Selon Slate, en privé, François Hollande porte un "jugement très positif (...) sur la loi Leonetti" et ne partage pas les positions de ceux qui veulent un droit au suicide médicalement assisté.

Jean-Luc Romero affirme pourtant qu'en tête-à-tête, François Hollande lui a assuré à plusieurs reprises qu'il tiendrait son engagement. Le militant du droit à mourir dans la dignité cherche une explication à cette confusion : "Contrairement aux femmes, les hommes politiques sont mal à l'aise avec la question de la fin de vie, car il y a l'image de la toute-puissance du politique, qui n'a pas le droit d'être malade et de montrer des faiblesses." A titre d'exemple, il évoque les nombreux parlementaires atteints de cancer et qui font tout pour cacher leur maladie.

Parce que la question est complexe

"Qui prend la décision de mettre fin à la vie ? Comment se déroule le consentement ?" s'interroge le politologue Stéphane Rozès, président du cabinet de conseil CAP, joint par francetv info. Autant de questions qui peuvent faire peur au législateur chargé de rédiger une nouvelle loi.

Des propositions concrètes sont avancées par les partisans du droit à mourir. L'ancien ministre Bernard Kouchner, par exemple, qui a soutenu le docteur Bonnemaison lors de son procès, propose un dispositif où une personne de confiance serait chargée de la volonté du malade.

Mais pour Stéphane Rozès, "l'opinion doit sortir de l'illusion qu'une loi va régler les questions de la fin de vie, pour la simple raison que l'on ne règle pas les problèmes liés à la mort avec une loi". Pour ce dernier, François Hollande a donc raison de se montrer prudent sur ce dossier et de ne pas prendre une décision hâtive "sous la pression des médias et de l'opinion"

Parce qu'il cherche le consensus

François Hollande veut éviter de déclencher une réaction aussi virulente que celle de la loi sur le mariage pour tous. En effet, l'opposition à l'euthanasie s'organise déjà alors même que le contenu de l'éventuelle future loi reste inconnu, comme le détaille La Croix. Le président ne souhaiterait donc pas diviser une nouvelle fois les Français avec une question de société. Par conséquent, il cherche un consensus, "un accord le plus large possible (...) sans polémique, sans divisions", assurait-il lors de sa conférence de presse du 14 janvier 2014.

Pour Jean-Luc Romero, le consensus dans l'opinion française "est établi depuis longtemps, comme le montre tous les sondages depuis vingt ans". Du coup, il s'interroge : "Si c'est un consensus avec la droite, autant arrêter tout de suite, car on n'a jamais fait voter des réformes de société grâce aux conservateurs."

Parce que le sujet n'est pas prioritaire

Pacte de responsabilité, réforme territoriale, lutte contre le chômage... Les dossiers épineux s'entassent à l'Elysée et de nombreux députés socialistes estiment que les questions de société ne sont pas prioritaires. "Mais avec une trentaine de membres, le gouvernement a les moyens de gérer ces différents dossiers en même temps", réagit Jean-Luc Romero. Avec une pointe de cynisme, le militant associatif conseille même au président de revenir sur les sujets de société "pour éclipser les chiffres dramatiques du chômage".

De son côté, le politologue Stéphane Rozès soutient que François Hollande a raison de ne pas se précipiter et de consulter des experts afin de s'orienter vers la meilleure solution. Mais plus l'élection présidentielle de 2017 approche, plus la promesse présidentielle de 2012 risque d'être enterrée.

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