Fin de vie : l'impossible consensus
Anti et pro-euthanasie critiquent les mesures présentées vendredi, qui doivent servir de base à une proposition de loi en 2015. Seuls les professionnels des soins palliatifs semblent satisfaits.
A vouloir contenter tout le monde, on ne satisfait presque personne. François Hollande s'est pourtant laissé deux ans et demi de réflexion (comité Sicard, avis du Comité consultatif national d'éthique, conférence de citoyens...) avant de concrétiser l'engagement 21 de son programme présidentiel : proposer aux personnes atteintes d"une souffrance physique ou psychique insupportable" de "bénéficier d'une assistance médicalisée pour terminer leur vie dans la dignité".
Les députés Jean Leonetti (UMP) et Alain Claeys (PS) ont remis, vendredi 12 décembre, au chef d'Etat des propositions pour une nouvelle loi sur la fin de vie. La mesure centrale de leur rapport est l'instauration d'un droit à une "sédation profonde et continue". Cette pratique, qui consiste en l’injection d’un cocktail médicamenteux qui plonge le patient dans un état d’inconscience jusqu'à la mort, serait proposée à certains malades incurables qui en feraient la demande, sous plusieurs conditions. Autre piste qui doit servir de base à la proposition de loi pour 2015 : des directives anticipées dans lesquelles chacun peut stipuler son refus d'un acharnement thérapeutique en cas de maladie grave et qui seront "contraignantes" pour les médecins.
Partisans et adversaires de l'euthanasie ont aussitôt réagi : ils ne semblent pas satisfaits par les conclusions du rapport, trop tièdes pour les premiers, dangereuses pour les seconds. Toutefois, le rapport sur la fin de vie a aussi ses défenseurs. Voici les principaux points de discorde.
La sédation "profonde et continue"
C'est trop. Le nouveau collectif "Soulager mais pas tuer", qui réunit notamment l'association anti-IVG Alliance Vita, Philippe Pozzo di Borgo, tétraplégique dont la vie a inspiré le film Intouchables ou encore des professionnels de santé, estime que l'instauration d'un droit à une sédation introduit un "risque de tour de passe-passe" entre soulagement profond et mort. En clair, une "euthanasie masquée, qui ne dit pas son nom". Pour "Soulager mais pas tuer", qui plaide pour le statu quo en matière de fin de vie (c'est-à-dire le respect de la loi Leonetti de 2005), seule la sédation en phase terminale "peut être légitime".
"Une sédation qui a pour intention et résultat de provoquer rapidement la mort est une euthanasie. Jouer avec ces mots, c’est introduire une grave confusion qui risque d’insécuriser les patients qui douteront de l’intention réelle de ceux qui les soignent", explique le collectif.
Ce n'est pas assez. Pour la principale association pro-euthanasie française, l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), les propositions des parlementaires ne vont pas suffisamment loin. "On veut une loi qui légalise l'euthanasie et le suicide assisté comme aux Pays-Bas et en Belgique", réclame Jean-Luc Romero, président de l'ADMD et élu parisien apparenté PS. "La sédation existe déjà dans la loi. C'est la même loi [que celle de 2005] !", explique-t-il à francetv info. Il dénonce aussi une "loi Leonetti de gauche" qui fera "mourir de faim et de soif les patients arrivés en fin de vie".
Pour Véronique Massonneau, députée EELV et auteure d'une proposition de loi sur le sujet qui sera discutée à l'Assemblée en janvier, le rapport "ne répond pas à toutes les questions". "Il y a des patients dont les souffrances ne sont pas soulagées, détaille-t-elle à francetv info. Je ne suis pas une militante de l'euthanasie, mais tout simplement du choix de chacun concernant sa fin de vie."
C'est satisfaisant. Le monde des soins palliatifs se montre, lui, satisfait. Le professeur Didier de Broucker, administrateur de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), rappelle dans La Voix du Nord, qu'il a déjà "appliqué un protocole de sédation dans le cadre d’une alliance thérapeutique patient-médecin". Ouvertement opposé à l'euthanasie, il estime qu'"il ne s’agit pas de provoquer la mort, mais de soulager les souffrances. On doit faire la promotion de la vie et non le contraire."
Les directives anticipées contraignantes
C'est trop. Le mouvement "Soulager mais pas tuer" s'élève aussi contre le caractère "contraignant" pour les personnels soignants de ces directives. "Les rendre 'contraignantes' n’est acceptable que si l’on privilégie toujours le dialogue entre soignants et soignés", juge le collectif anti-euthanasie.
Ce n'est pas assez. Les partisans du suicide assisté et de l'euthanasie déplorent, eux, une annonce incomplète. C'est le cas notamment de la vice-présidente du conseil régional du Nord Pas-de-Calais EELV, Sandrine Rousseau, qui avait raconté, en décembre 2013, comment elle avait assisté le suicide de sa mère. Interrogée par La Voix du Nord, elle regrette le flou qui règne autour des directives contraignantes. "On ne sait pas si ces directives seront opposables, regrette-t-elle. Et puis, le patient écrira par exemple : 'Je ne souhaite pas un acharnement thérapeutique'. Mais ce sera le médecin, et pas le patient, qui décidera quand cette directive sera appliquée." L'élue défend "le droit inaliénable des personnes à choisir quand et comment elles peuvent partir", estimant "infantilisant de ne pas leur laisser le choix".
C'est satisfaisant. La SFAP apprécie le "renforcement" des directives anticipées, qui deviendraient obligatoires. "Le patient est totalement assuré que ses volontés seront respectées et en particulier son souhait de refuser l’acharnement thérapeutique et éviter ainsi de souffrir", explique l'association.
L'esprit du rapport
C'est trop. "Soulager mais pas tuer" regrette que le débat se "focalise" sur la sédation "profonde et continue" et les directives anticipées contraignantes. Le collectif pointe aussi un "risque majeur" : "Celui de favoriser de façon systématique et déshumanisée l’application de protocoles de fin de vie anesthésiques répondant à l’angoisse, non plus par une écoute et par un accompagnement, mais par un endormissement anticipé coupant toute conscience et toute relation." Seule la volonté affichée du rapport de renforcer les soins palliatifs dans le cadre d'un plan triennal annoncé par François Hollande trouve grâce aux yeux du collectif.
Ce n'est pas assez. Sans surprise, l'ADMD s'oppose à ce texte qui "ne donne pas le pouvoir de décider au patient, ce sont les médecins qui l'auront". "On n'attendait pas grand chose de Jean Leonetti, et on n'a pas été déçus... Sa loi a échoué, car les soins palliatifs ne concernent que 20% des patients qui en auraient besoin, et elle n'a pas empêché l'acharnement thérapeutique, comme le montre l'exemple de Vincent Lambert", grince Jean-Luc Roméro, qui demande aux parlementaires de s'opposer à la future proposition de loi.
C'est satisfaisant. Contrairement aux pro et anti-euthanasie, la SFAP "se félicite des propositions" des parlementaires qui "répondent directement aux inquiétudes en sécurisant et améliorant concrètement la prise en charge des personnes en fin de vie".
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