: Témoignages "Au début, je n'y connaissais rien" : dix Français tirés au sort pour la Convention citoyenne sur la fin de vie racontent leur expérience
Ils sont "les 180". Tous les quinze jours, des habitants de toute la France font route jusqu'à Paris pour participer à la Convention citoyenne sur la fin de vie, au siège du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Tirés au sort selon des critères de diversité démographique, géographique et sociale, ces simples citoyens sont chargés de proposer à l'exécutif des pistes pour améliorer l'accompagnement des personnes en fin de vie.
Au cours des quatre premiers week-ends de travaux, ces 184 "conventionnels", tous volontaires, ont auditionné une quarantaine de spécialistes français et étrangers. Ces tables rondes ont donné lieu à divers ateliers en petits groupes, parfois à huis clos, visant à faire émerger une réflexion collective sur le sujet.
A l'occasion de la cinquième session, du vendredi 3 au dimanche 5 février, qui marque la mi-parcours de cette expérience démocratique, franceinfo donne la parole à dix participants rencontrés dans les couloirs du palais d'Iéna. Cinq femmes, cinq hommes, de tous âges et de toutes origines, qui se sentent plus citoyens que jamais.
"C'est rare qu'on nous demande notre avis"
Pascale, 54 ans, demandeuse d'emploi et bénévole, Perpignan (Pyrénées-Orientales) : "Au début, je n'y connaissais rien et je n'étais pas la seule. Il a fallu commencer par nous expliquer la loi. On a reçu pas mal d'intervenants, des élus, des soignants, des penseurs... Les francs-maçons m'ont fait la meilleure impression. Ils étaient les seuls à se mouiller pour l'euthanasie.
Participer à une convention citoyenne est hyper enrichissant. On peut donner notre avis, en toute connaissance de cause. C'est rare qu'on nous le demande. En général, on est des moutons. Je ne vote plus depuis des années, pour protester contre la non-reconnaissance des bulletins blancs, mais je me sens complètement citoyenne."
"Je suis impressionné par l'intelligence collective"
Blaise, 34 ans, ingénieur et fondateur d'une start-up, Houx (Eure-et-Loir) : "La fin de vie ? Je n'avais rien de pertinent à partager sur le sujet. Après le tirage au sort, je me suis documenté et j'ai rencontré des médecins pro et anti-euthanasie. J'ai pu échanger avec trois patients dans une unité de soins palliatifs. Ce qui m'a marqué, c'est que, sans être en demande d'euthanasie, ces patients étaient soucieux de voir leur volonté respectée s'ils voulaient en finir. Leur fin de vie pourrait être plus sereine avec cette carte "joker", qu'ils s'en servent ou pas.
Depuis le début de la convention, tout va très vite, on réfléchit sous la pression du chronomètre. C'est éprouvant. Malgré tout, je suis impressionné par l'intelligence collective. Chacun apporte quelque chose, quel que soit son parcours. Quand on donne aux gens autre chose que les futilités de la télévision, ils sont capables d'en tirer des réflexions très intéressantes."
"Certains n'osent pas s'exprimer"
Nathalie, 56 ans, documentaliste, Villeurbanne (Rhône) : "Ici, au palais d'Iéna, on est comme des coqs en pâte. On est extrêmement bien accueillis, il y a beaucoup de personnel à notre disposition, c'est assez déconnecté du réel. Le Cese nous met à disposition ses locaux et ses ressources, mais, sur le fond, on sera libre de sortir ce qu'on a à sortir. Il y a une grande souplesse d'organisation, nos demandes d'invités et de tables rondes sont prises en compte, c'est génial. On peut aussi faire remonter d'éventuels dysfonctionnements et assister aux réunions du comité de gouvernance, c'est très transparent.
Ma grosse surprise, en revanche, est que le Cese n'a pas de recette pour bien donner la parole à tout le monde. En plénière, et même dans nos ateliers en petits groupes, certains n'osent pas s'exprimer. Le niveau est parfois trop haut, ou le vocabulaire compliqué, et les animateurs ne font pas assez le travail d'intégrer tout le monde."
"Nous représentons 180 nuances différentes"
Jacques, 75 ans, électronicien à la retraite, La Crau (Var) : "Ce que j'aime ici, c'est notre diversité. Nous sommes des gens du peuple et, contrairement à des élus, nous n'avons pas de ligne partisane à suivre. Nous sommes 180 et nous représentons 180 nuances différentes. Croyez-moi, en nous écoutant, vous ne vous dites pas : 'Encore un Parisien qui parle'. Personne n'a pris la grosse tête.
Sur la fin de vie, j'étais novice. Je commence à voir comment on pourrait améliorer la loi, mais je ne pense pas qu'on aille vers l'euthanasie ou le suicide assisté. Je me demande si la société serait prête à entendre cela. Il m'est arrivé d'euthanasier mes chiens ou mes chats. "On ne peut pas laisser cette bête souffrir", m'avait dit le vétérinaire. J'arrive à le comprendre pour des animaux, mais je n'ai jamais envisagé qu'on puisse faire ça avec un humain."
"Mes convictions évoluent"
Bintou, 44 ans, consultante en transformation digitale, Bailly-Romainvilliers (Seine-et-Marne) : "Au départ, les idées que j'avais sur la fin de vie étaient imprégnées par mes convictions musulmanes : on ne tue pas et on ne se tue pas. Mais l'audition des responsables des principaux cultes m'a heurtée. J'y ai trouvé une certaine radicalité, un manque d'humanité et de libre-arbitre. 'La religion dit ça, donc c'est comme ça.'
Au fil des semaines, mon côté humaniste prend le pas sur la religion. Chacun doit avoir la liberté de choisir. Reste à définir la panoplie de choix possibles. Là, on rentre vraiment dans le dur du travail. L'ambiance commence à se tendre. J'espère que les citoyens les moins à l'aise en public, parfois réticents à l'aide active à mourir, vont pouvoir s'exprimer jusqu'au bout."
"L'audition des soignants m'a bouleversé"
Dominique, 61 ans, chef de projet photovoltaïque, Fontaines-sur-Saône (Rhône) : "Depuis le début, il me semble anormal que des Français doivent se rendre en Suisse ou en Belgique pour obtenir la fin de vie qu'ils souhaitent. Cela me rappelle ces femmes qui allaient se faire avorter à l'étranger avant la loi sur l'IVG en France. On ne peut pas rester sourds à leurs demandes.
Il faut également écouter les acteurs de terrain. Notre audition des soignants, quasi-unanimes contre une telle évolution, m'a bouleversé. La France n'a pas mis les moyens pour appliquer correctement la loi sur la fin de vie sur tout le territoire. Dans ce contexte, avec un hôpital public en souffrance, je trouve malhonnête de nous demander de réfléchir à une évolution du droit. On n'a pas fait les choses dans l'ordre."
"Je me sens investie d'une mission"
Vanessa, 47 ans, assistante maternelle, Maisons-Alfort (Val-de-Marne) : "Lorsque j'ai été tirée au sort, je n'ai pas hésité. Je me suis sentie investie d'une mission. Mon père est mort d'un cancer en 2020, en pleine épidémie de Covid-19. Il souffrait énormément et voulait qu'on l'aide à partir. Pas une sédation profonde, non, partir tout de suite. L'attente a été interminable, pour lui et pour nous.
Participer à cette convention est une belle aventure humaine. Malgré nos avis divergents, je trouve ici un grand respect. Moi qui cherche toujours mes mots en public, j'ai réussi à prendre la parole dans les petits groupes et à exprimer mes convictions. Comme beaucoup ici, je pense que la loi devrait autoriser l'aide active à mourir, à condition de définir un cadre très strict. C'est important de poser des limites, pour ne pas ouvrir à tout et n'importe quoi."
"J'apporte un autre regard"
Jacky, 46 ans, chef d'entreprise dans le BTP, Saint-Paul (La Réunion) : "Nous sommes trois à venir d'outre-mer. J'apporte une autre culture, un autre regard sur la mort. A La Réunion, les gens finissent souvent leur vie chez eux, plutôt qu'à l'hôpital. On côtoie la mort dès le plus jeune âge. Durant les veillées, les enfants voient le corps ou mettent du vernis sur les ongles de la grand-mère. En métropole, la mort est plus cachée, taboue. Je m'en rends compte dans nos débats, où certains citoyens semblent avoir peur d'en parler.
Cette convention est enrichissante, mais j'ai peur que ce soit de la fumée. J'aimerais que notre travail soit pris en compte par les parlementaires. J'ai contacté les députés de La Réunion pour essayer de les impliquer dans ce processus, sans réponse. On porte la voix de citoyens. On n'est pas des clowns."
"Pourvu que l'on soit entendus"
Fatima, 59 ans, aide à domicile, Bezons (Val-d'Oise) : "Je suis là pour témoigner du mal que je vois autour de moi. J'accompagne beaucoup de personnes seules, délaissées chez elles, parfois négligées par les infirmières qui passent en coup de vent. Un jour, une dame m'a dit : 'On n'est plus considérés comme des gens, il est temps qu'on parte'. Si on leur accorde l'euthanasie, ce sera un échec. Ce ne sont pas des charges dont il faut se débarrasser. Ce sont des personnes, à qui il faut redonner de la valeur.
Je suis fière de faire partir de la convention citoyenne, pour que les choses changent. Il faut qu'on accompagne vraiment les personnes, que l'on renforce les soins à domicile, que l'on donne de l'importance aux aidants. Pourvu que l'on soit entendus."
"On aurait été légitimes pour décider"
Martial, 27 ans, travailleur associatif engagé pour le climat, Paris : "Participer à cette convention citoyenne est une expérience incroyable. J'ai toujours du mal à réaliser que j'ai été tiré au sort, surtout que j'avais milité pour celle sur le climat. Ici, contrairement à l'Assemblée nationale, où seuls quelques députés se spécialisent sur chaque texte, on monte tous en compétences en même temps. Personne ne dicte de ligne. Les débats sont plus apaisés et on n'est pas parasités par des intérêts personnels ou des enjeux de réélection. On est là pour le bien commun.
Maintenant, on sait très bien que le gouvernement fera ce qu'il veut de nos travaux. Pour moi, une convention citoyenne est tout à fait légitime, représentative et compétente pour décider, sans filtre. On nous a fait un peu de place, mais, au final, il faudra se plier au bon vouloir du président."
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