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Vincent Lambert, prisonnier silencieux d'une guerre familiale sur la fin de vie

Il y a sept ans, cet infirmier a été victime d'un accident de la route qui l'a laissé tétraplégique. Faut-il continuer à le maintenir artificiellement en vie ? La famille se déchire à ce sujet. La CEDH doit trancher ce vendredi. 

Article rédigé par Julie Rasplus
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Vincent Lambert, photographié par ses parents sur son lit d'hôpital, à Reims (Marne), le 15 avril 2015. (AFP)

Il est cloué au lit, sans parler, depuis son accident de la route en 2008, qui lui a causé des lésions cérébrales irréversibles. Sept ans ont passé, mais Vincent Lambert, 38 ans, se trouve toujours dans un état végétatif, sans espoir de guérison, selon les experts médicaux indépendants mandatés par le Conseil d'Etat, qui a statué sur son cas. C'est désormais à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), saisie par ses parents, de trancher sur un arrêt de l'alimentation et de l'hydratation qui le maintiennent artificiellement en vie, vendredi 5 juin.

Car la bataille fait rage, au sein de cette famille catholique, autour du sort réservé à ce grand homme brun devenu tétraplégique. Sa femme, Rachel, 33 ans, et six de ses frères et sœurs souhaitent un arrêt des soins, solution soutenue par l'équipe médicale. En face, les parents, Pierre et Viviane, ainsi que deux autres frères et sœurs, s'y opposent, arguant de son droit à la vie.

"Vincent n'est pas en fin de vie !" martèle sa mère dans Pour la vie de mon fils (éd. Plon, 2015). Cette femme, catholique pratiquante proche d'un mouvement intégriste, refuse de baisser les bras. "'Obstination déraisonnable', 'survie artificielle', 'alimentation artificielle', les mots tournent dans ma tête, mais ne signifient rien face à la réalité : j'ai un fils qui vit, gravement handicapé, mais qui vit !" écrit-elle.

Viviane Lambert, la mère de Vincent, s'approche de l'Elysée pour tenter de remettre son livre au président de la République, le 6 mai 2015. (MAXPPP)

Mais "de quelle vie parle-t-on ?" interroge de son côté Rachel, l'épouse infirmière de Vincent, dans son livre Vincent, Parce que je l'aime, je veux le laisser partir (éd. Fayard, 2014).

L'absence de directives anticipées

Malgré les traitements, Vincent reste immobile, nourri et hydraté de façon artificielle. Son passage dans l'hôpital de Berck (Pas-de-Calais), spécialisé dans la rééducation des patients blessés au crâne, n'a rien donné. Pas plus que son séjour dans le très pointu Centre de recherche sur le coma (Coma Science Groupe) de Liège (Belgique). Le médecin belge fait même état de la gravité de ses atteintes neurologiques, évoque l'euthanasie pour ce patient dans un état de "conscience minimale plus", également appelé "pauci-relationnel" : il peut bouger, ouvrir les yeux, percevoir la douleur, "mais nul ne peut affirmer s'il comprend ce qu'on lui dit ou s'il pense". Les 87 séances d'orthophonie suivies par Vincent Lambert pour tenter d'établir un code de communication se sont soldées par un échec.

Début 2013, l'équipe d'Eric Kariger, le chef de service de l'hôpital de Reims (Marne) où Vincent est soigné, détecte des "signes d'inconfort" chez le patient au moment des soins. Les médecins soupçonnent un refus des soins. Ils s'interrogent. Les traitements sont-ils vraiment pertinents ? Qu'aurait voulu Vincent ?

C'est là que le bât blesse. Vincent Lambert avait beau être infirmier, il n'a pas laissé de directives anticipées écrites, ni désigné de "personne de confiance" dont l'avis aurait eu plus de poids. A l'époque, "nous ne connaissions pas la loi Leonetti", avoue sa femme, Rachel. Mais, selon elle, il aurait refusé tout acharnement thérapeutique. Lors d'une conversation, son mari lui a assuré que, "si jamais, un jour, il est pour une raison ou pour une autre en état de grande dépendance, il préférerait mourir que de rester cloué à un lit". François, le neveu de Vincent, et son frère Joseph soutiennent tous deux cette position.

Rachel Lambert, 33 ans, assiste à l'audience de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), le 7 janvier 2015 à Strasbourg.  (FREDERICK FLORIN / AFP)

En 2013, l'arrêt des soins pulvérise la famille

En avril 2013, à l'issue d'une procédure collégiale, l'équipe médicale décide de couper l'alimentation artificielle qui maintient Vincent en vie. Cette étape crée la rupture au sein de la famille. Sa femme, Rachel, est tenue au courant, mais ses parents l'apprennent vingt jours plus tard, à la faveur d'une visite de l'un de leurs enfants. "On nous a trahis ! écrit Viviane Lambert, choquée. Nous aurions appris le décès de Vincent avant d'avoir été avertis de la décision de 'l'accompagner vers la mort'. Nous, ses parents !"

Eric Kariger, le médecin en charge, reconnaît son erreur dans Le Monde : "Très tôt, nous avons vu que la mère de Vincent ne pourrait accepter une décision d'arrêt de soins. Mais nous avons failli dans l'accompagnement d'une famille très compliquée. Nous aurions dû contacter les parents."

Pour contester l'arrêt de l'alimentation, Pierre et Viviane portent plainte contre X pour tentative d'assassinat. Puis saisissent le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne (Marne). La justice leur donne raison. Après trente-et-un jours d'arrêt, l'alimentation de l'infirmier est rétablie le 11 mai 2013. Rachel est "sous le choc, tétanisée par la nouvelle".

Menaces d'intégristes et pression médiatique

La suite n'est qu'une succession de recours en justice. En septembre 2013, une seconde réflexion s'engage, lors d'un conseil de famille réunissant, cette fois-ci, parents, fratrie et épouse. L'arrêt des traitements est de nouveau évoqué, mais "Viviane Lambert veut encore y croire. Elle ne comprend pas que tout a été fait sur le plan médical pour Vincent, insiste Rachel. Pour eux, on assassine Vincent en mettant fin au traitement. Ils estiment qu'il doit rester en vie."

De nouveau, les parents se tournent vers le tribunal administratif de Châlons qui s'oppose à l'arrêt des soins, en janvier 2014. "Un être humain, on ne le jette pas comme un Kleenex, simplement parce qu'il n'a plus de vie autonome", s'agace Viviane, une catholique proche de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, mouvement intégriste non reconnu par le Vatican. Rachel réplique et saisit le Conseil d'Etat, lequel valide, en juin 2014, l'arrêt des traitements sur la base des volontés de Vincent. Les parents s'en remettent alors à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

Le bras de fer juridique s'envenime, tourne aux règlements de comptes familiaux, dans une ambiance pesante où l'affaire télescope le débat sociétal sur la fin de vie. Victime de menaces, le médecin Eric Kariger quitte le CHU de Reims. Le patient est, lui, placé sous surveillance. Rachel reçoit des courriers de menaces de catholiques intégristes, fait l'objet d'une filature. On l'invite à divorcer. "Le conflit entre [Viviane] et moi n'a fait qu'empirer de semaine en semaine. (...) Elle sous-entendait avec d'autres que je souhaitais voir partir Vincent pour pouvoir reconstruire ma vie", s'insurge Rachel. 

"Il réagit à ce que je dis"

Accusée par certains d'agir en fonction de ses convictions religieuses, Viviane Lambert soutient se battre en tant que "maman""Quand je rends visite à Vincent, je ne passe pas des heures à côté d'une 'chose' sans âme... écrit-elle. Il réagit à ce que je dis. Ce n'est pas tout le temps, mais il a des moments intenses de communication.Mieux, "il évolue", assure-t-elle.

La mère raconte avoir vu son fils lever sa jambe droite, fin 2014. Certainement un réflexe, répondent les médecins. Elle a aussi constaté des améliorations quant à son problème de déglutition. Mais "quand bien même Vincent aurait récupéré le réflexe de déglutition, le risque de fausse route serait bien trop grand. La nourriture ingérée par la bouche, pour lui, c'est définitivement terminé", tranche le docteur Eric Kariger dans Le Point.

Le médecin Eric Kariger dans son bureau du CHU de Reims (Marne), le 20 mai 2014. (MAXPPP)

On ne peut pas faire plus opposées que la mère et l'épouse de Vincent. Rachel a choisi de se fier aux conclusions des médecins. "Je n'aurais jamais pu accepter cette douloureuse décision sans ce long chemin de stimulation. Malheureusement, la médecine ne peut plus rien faire pour Vincent, il est dans un état irréversible", constate celle qui s'est déplacée, chaque jour pendant cinq ans, à son chevet. Et qui espère maintenant que son mari soit bientôt libéré de ses silences.

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