Obsèques du prince Philip : comment l'époux d'Elizabeth II a modernisé la famille royale britannique
L'époux de la reine Elizabeth II a aidé l'institution monarchique à subsister dans une société en pleine mutation, notamment en encourageant la médiatisation de son image via la télévision.
C'est sans foule ni procession que doivent se tenir samedi 17 avril les obsèques du prince Philip, époux de la reine Elizabeth II, mort "paisiblement", à l'âge de 99 ans, le 9 avril. Dans la chapelle Saint-George du château de Windsor, seuls 30 de ses proches, dont la souveraine et leurs quatre enfants, pourront se recueillir. Une simplicité certes imposée par les restrictions sanitaires, mais également voulue par le prince Philip. En 2013, le Times* expliquait qu'il ne voulait pas qu'on fasse "toute une histoire" de ses funérailles. Place à la simplicité, donc : pas de cérémonie d'Etat ou de recueillement des Britanniques autour de sa dépouille.
Toujours placé deux pas derrière la souveraine, ce "prince de nulle part", comme certains l'ont parfois surnommé, qui a dû sacrifier une brillante carrière au sein de la Royal Navy (la marine britannique), a su imprimer sa marque. Toute sa vie, il a notamment tenté de moderniser la monarchie.
Il a réveillé Buckingham Palace
"Efficacité" est le maître-mot de Philip Mountbatten lorsqu'en 1952, sa famille s'installe sous les ors pesants du palais de Buckingham, après la mort de son beau-père, le roi George VI. Trop de décorum pour ce prince de Grèce et du Danemark, devenu officier de marine au tournant de la guerre. "J'ai des bras. Je ne suis pas impotent !", s'emporte-t-il face au personnel qui lui ouvre les portes de la demeure royale. "Il y avait trop de valets et d'intermédiaires", dépeint Stéphane Bern, spécialiste des têtes couronnées, interrogé par franceinfo.
"On raconte toujours que le temps que vous demandiez une tasse de thé, elle arrivait froide dans votre chambre. Alors le duc a dépoussiéré le palais."
Stéphane Bern, animateur et spécialiste de la monarchie britanniqueà franceinfo
L'époux d'Elizabeth II est fasciné pour les nouvelles technologies, allant, rappelle Forbes*, jusqu'à demander un radiotéléphone pour son cabriolet ou se vantant un jour auprès de son épouse d'avoir investi dans une machine à laver. Des curiosités pour l'époque, rapporte le New York Times*. Au palais, il fait aussi installer des lignes téléphoniques internes. Il exprime ce goût pour la modernité en fondant l'Académie royale d'ingénierie en 1976 : un moyen de promouvoir le progrès technologique dans un royaume encore "fauché", plus de trois décennies après la fin de la Seconde Guerre mondiale, relate le Telegraph*.
Pas question non plus de recourir indéfiniment à des précepteurs ou des gouvernantes pour éduquer ses enfants, et notamment Charles, héritier du trône britannique né en 1948. Le père de famille insiste auprès de sa reine et épouse pour imprimer sa marque. Comme lui jadis, son fils rejoint l'école écossaise de Gordonstoun et son éducation rigoriste, loin des dorures des établissements de prestige. "En fait, c'était une très mauvaise idée, ça a été un vrai calvaire pour Charles", relate l'historien Philippe Chassaigne, spécialiste de l'histoire britannique à l'université Bordeaux-Montaigne. Qu'importe : les frères de Charles, Andrew et Edward, y seront également envoyés.
Il a mis sa franchise singulière au service de la "firme"
En public, Philip fait résonner son franc-parler face aux hôtes reçus par une reine corsetée par le protocole. "Sa personnalité très franche a apporté un souffle d'air frais à la monarchie, et c'est ce qui a poussé le public à l'apprécier", analyse la journaliste Brittani Barger, rédactrice en chef adjointe du média en ligne Royal Central. Néanmoins, ses traits d'humour se révèlent parfois douteux, pour ne pas dire sexistes ou racistes, comme en 2002 lorsque le prince apostrophe un Aborigène, lui demandant si les siens se battent "toujours à coups de lance".
"Il a apporté une sorte de grain de folie que la reine ne pouvait pas avoir elle-même", observe l'historien et journaliste Philippe Delorme. Philip ne ménage d'ailleurs pas son épouse. "Il était le seul homme sur Terre qui pouvait se permettre de la bousculer en privé", observe Philippe Delorme. Une honnêteté "sans détour" dont témoigne Elizabeth II en 1997 dans un discours à l'occasion de leurs noces d'or*.
"Il est tout simplement ma force et mon pilier depuis toutes ces années."
Elizabeth II à propos du prince Philiplors d'un discours en 1997
"Il était véritablement le chef de famille, tandis que la reine était la cheffe de la 'firme'", observe Anna Whitelock, historienne au Royal Hallway de l'université de Londres. Pour protéger l'institution, le prince endosse aussi le costume de conseiller conjugal, afin d'éviter que la presse people ne se délecte des déboires amoureux de Charles et Diana, mariés en grande pompe en 1981. Il sait aussi gronder, comme lorsqu'en 1993, les tabloïds britanniques révèlent le "Camilla Gate", un échange téléphonique pour le moins cru entre le prince de Galles et sa maîtresse (devenue plus tard son épouse), Camilla Parker Bowles. "Il y a eu une vive engueulade, Charles s'est fait remonter les bretelles par son père qui l'a critiqué pour son absence de discrétion", raconte l'historien Philippe Chassaigne.
Cette volonté d'unité, le duc d'Edimbourg l'exerce aussi à la mort de la princesse Diana en 1997. "C'est lui qui a permis à ses petits-fils de supporter le choc avec le moins de dégâts possibles, en les convainquant notamment de marcher avec lui derrière le cercueil de leur mère", relate Philippe Delorme. Ces images d'unité ont fait le tour du monde et redoré l'image d'une "firme" devenue impopulaire aux yeux du peuple britannique juste après la disparition tragique de Lady Di.
Il a fait de la télévision un outil de communication pour la monarchie
Dès le début du règne d'Elizabeth II, en 1953, le prince Philip se montre particulièrement attentif à la question de l'image. Lorsque son épouse le charge de présider la Commission du couronnement, le duc d'Edimbourg la pousse à faire entrer les caméras de télévision dans l'abbaye de Westminster. Une technologie alors en plein boom et au potentiel énorme. Le Premier ministre de l'époque, Winston Churchill, rechigne au nom de la préservation de la mystique royale. Mais le duc l'emporte.
"Philip avait compris que ce qui était en jeu, c'était la communication", explique Stéphane Bern à franceinfo. "Il fallait que le Commonwealth tout entier et les sujets de Sa Majesté participent, communient". Au total, 277 millions de personnes à travers le monde sont devant leur téléviseur pour voir la couronne de Saint-Edouard se poser sur la royale tête. Un record.
Philip poursuit sur sa lancée. Le 29 mai 1961, il est le premier membre de la famille royale britannique à donner une interview à la télévision. Au programme de l'émission "Panorama" sur la BBC*, pas de sujet controversé : le prince répond à des questions polies autour de la formation technique des ouvriers spécialisés.
La révolution de palais a lieu en 1969, lorsque la télévision britannique parvient à tourner "Royal Family", un documentaire sur le quotidien d'Elizabeth II et des siens. Une idée soutenue par Philip, au moment où la reine est accusée d'être déconnectée des réalités.
"Il ne faut pas oublier qu'on ne connaissait rien de la famille royale, la mystique était telle qu'on ne les voyait pas vivre au quotidien."
Stéphane Bernà franceinfo
Les téléspectateurs découvrent ainsi le prince Philip grillant des saucisses sur un barbecue, écoutent les conversations de la famille attablée et suivent la souveraine dans ses incalculables déplacements.
Face aux railleries provoquées par des scènes davantage jouées que naturelles, Elizabeth II finit par censurer le film. Aujourd'hui encore, il demeure difficile de le trouver en ligne.
Quoi qu'il en soit, le voile pudique qui recouvrait la monarchie s'écarte. Les péripéties de la famille royale font désormais les choux gras des tabloïds... qui lui font aussi de la publicité. "Les médias et la monarchie ont besoin de l'un et de l'autre", analyse l'historienne Anna Whitelock. Pour autant, le prince Philip ne cache pas son aversion pour ces "maudits reptiles" de journalistes, qu'il accuse régulièrement de "déformer" la réalité.
Plusieurs décennies plus tard, le pouvoir de l'image marque encore la vie du duc d'Edimbourg, alors que la télévision est concurrencée par les plateformes en ligne. Le public se passionne pour The Crown, cette série de Netflix récompensée à plusieurs reprises et qui dépeint de manière romancée la famille royale. "Il avait l'image d'un vieil aristocrate grincheux et là on l'a vu jeune, dynamique, aimant. Je pense que ce feuilleton a redoré son image", avance Philippe Delorme.
Il a engagé la famille royale dans une cause nouvelle : l'environnement
Président ou membre éminent de 992 organisations caritatives durant sa vie, le prince Philip se décrit un jour comme "le plus grand expert mondial d'inauguration de plaques". Mais parmi les actions diverses qu'il patronne, il est une cause qu'il fait entrer dans le giron de la famille royale : la protection de l'environnement. Un trait souligné par le Premier ministre Boris Johnson dans son allocution* du 9 avril.
Alors que la préservation de la planète reste une préoccupation marginale dans le Royaume-Uni de l'après-guerre, l'époux d'Elizabeth II fait de ce sujet un combat personnel, au moment où il cherche un futur à sa carrière militaire avortée. A tel point que les instigateurs du Fonds mondial pour la nature (WWF) l'approchent pour faire de lui le premier président de leur branche britannique en 1961. De 1981 à 1996, il prend même la tête de l'organisation au niveau mondial.
"La famille royale avait toujours été très réservée et taisait ses opinions. Alors, même faire campagne pour la préservation de l'environnement, c'était un nouveau territoire."
Brittani Barger, rédactrice en chef adjointe du média en ligne Royal Centralà franceinfo
Philip Mountbatten enchaîne les voyages de sensibilisation et les publications, comme en 1970 avec Wildlife Crisis ("La crise du monde sauvage"). Devant 300 participants d'une réunion internationale sur la pollution à Strasbourg en 1970, le prince tonne devant l'inaction des politiques. "Il est totalement inutile (...) de se morfondre en conférence, de pointer les dangers de la pollution ou de la destruction des campagnes si personne ne souhaite ou n'est capable d'agir." Tempêtant devant "l'exploitation avide et insensée de la nature", le duc d'Edimbourg accuse aussi le développement de l'industrie d'aggraver "l'effet de serre" dès 1982, rappelle la BBC*. Ses actions lui ont valu d'être salué par la WWF, qui a pleuré "la perte d'un défenseur de l'environnement" à l'occasion de sa disparition. "C'était un lanceur d'alerte", va jusqu'à dire Stéphane Bern.
Pourtant, les critiques pleuvent face au goût du prince pour la chasse, comme lorsque le couple royal part traquer tigres et rhinocéros à dos d'éléphant lors d'un voyage au Népal en 1961, ou s'affiche en Inde devant la dépouille d'un tigre abattu par le duc d'Edimbourg lui-même. "Vous n'étiez pas né !", s'emporte, cité par le Daily Express*, Philip devant un reporter perplexe. "Vous définiriez-vous comme un vert ?", l'interroge en 2011 la journaliste Fiona Bruce de la BBC*. "Non. Je pense qu'il y a une différence entre le souci de la préservation de l'environnement et la défense des lapins", tranche le prince, accusant les activistes d'être plus intéressés par les animaux des zoos que par "la survie des espèces". "On ne peut pas analyser son engagement avec les lunettes des années 2020", défend simplement l'historien Philippe Chassaigne.
Malgré les réserves qu'il exprime dans les années 1990, assurant, comme le relate le Washington Post*, qu'il ne voulait "pas être président du WWF" et qu'il aurait "préféré rester dans la Navy", Philip fait entrer durablement la protection de la planète dans la liste des actions de la famille royale. Dès 1970, le jeune prince Charles témoigne de son engagement contre la pollution au plastique* qui envahit les cours d'eau. Et, comme son père avant lui, ce passionné de botanique, engagé pour l'agriculture biologique, est depuis 2011 le président du WWF au Royaume-Uni.
"Mon grand-père était bien en avance sur son temps. Mon père aussi était en avance", s'enorgueillit le prince William en 2020, dans un documentaire*, Prince William: A Planet For Us All, consacré à son propre engagement en faveur de la protection de l'environnement. Une preuve de plus de l'héritage laissé par Philip.
* Ces liens renvoient vers des articles en anglais.
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