Féminicide de Mérignac : "Tout le monde aimait Chahinez", "grande sœur" et "femme forte" brûlée vive par son mari
Les proches que franceinfo a rencontrés dans le quartier du Burck, à Mérignac, décrivent une femme discrète et solaire. Ils racontent également comment cette mère de trois enfants "vivait dans la peur" d’un mari violent et déjà condamné.
De la maison à l'école du quartier du Burck, où le petit Saïd et sa sœur Mélissa sont scolarisés, il y a à peine cinq minutes à pied. Un boulevard à traverser, quelques commerces, un petit bois, et des visages qu'on croise tous les jours. Celui de Chahinez, 31 ans, était rond et toujours souriant. Patrick, son voisin, décrit une "femme douce, jolie, éminemment sympathique". Marie se rappelle d'une personne "toujours entourée d'enfants", tandis que Céline, qui fait la circulation devant l'école du quartier, n'oubliera jamais "son sourire et ses yeux foncés".
Chahinez est morte mardi 4 mai sur le chemin de l'école qu'elle empruntait chaque jour, le long de l'étroite avenue Carnot à Mérignac (Gironde). Elle s'était installée dans cette commune en septembre 2018 avec son mari, celui qui, en pleine rue, lui a tiré deux balles de fusil dans les jambes avant de l'asperger d'un liquide inflammable, de mettre le feu à son corps, et de tenter d'incendier sa maison. L'homme de 44 ans était convaincu que sa femme "avait un amant et qu'elle le manipulait", selon les mots de la procureure de la République de Bordeaux, Frédérique Porterie. Arrêté, il a été mis en examen pour "homicide volontaire sur conjoint" et incarcéré.
Les cris, les détonations, la fumée noire qui sort du garage... La scène, d'une rare violence, "a choqué par sa brutalité" dans ce quartier qui ressemble à un "petit village" où cohabitent une population précaire et des gens un peu plus aisés, explique le maire de Mérignac, Alain Aziani.
"Elle faisait tout pour ses enfants"
Chahinez avait grandi dans la campagne d'Alger, entourée de ses parents, de trois sœurs et de deux frères. Mais de sa vie de l'autre côté de la Méditerranée, elle n'avait pas dit grand-chose, ni à ses amies ni à ses voisins. Tout juste savaient-ils que son premier mari est mort, il y a quelques années, dans un incendie sur un chantier, un sujet "sensible". De cette union sont nés Hassan (13 ans) et Mélissa (8 ans). C'est en 2015 qu'elle s'était remariée, quelques mois après avoir rencontré son époux. Le couple avait débarqué en France en octobre de la même année, accompagné de Mélissa et de leur bébé, Saïd. Hassan était resté au pays avec les parents de sa mère.
Après un premier passage par Chemin Long, un autre quartier de Mérignac, le couple s'était installé en septembre 2018 avenue Carnot, dans un petit pavillon aux murs jaunes avec garage, jardin et vue sur un petit ruisseau. Femme au foyer discrète, Chahinez n'avait pas de famille en France, à l'exception d'un grand-oncle à Paris. Son mari, lui, avait des attaches dans la région, travaillait comme maçon et avait la réputation d'être un personnage bruyant et instable. Il avait déjà été condamné à six reprises pour conduite en état d'ivresse et violences. Au volant, "il se croyait sur un circuit de Formule 1" dit David, un voisin. Dans le quartier, plusieurs parlent de son penchant pour l'alcool et le cannabis. "C'était un hâbleur, narre Patrick. Il avait tout vu, tout connu, c'était Dieu."
A Mérignac, Chahinez s'était liée rapidement d'amitié avec Noura, Amira et Arbia, trois Algériennes vivant de l'autre côté du boulevard, dans des blocs jaunis par le temps. Les enfants, l'Algérie, le quotidien : tout rapprochait les quatre "tatas", comme on les appelait dans le quartier. "C'était comme une sœur", résume Noura. Cette dernière évoque une amie qui "faisait tout pour ses enfants. Elle voulait leur faire vivre un conte de fées. Elle avait un combat, faire venir d'Algérie son fils aîné". Son souhait avait été exaucé il y a deux mois.
Des attitudes qui avaient éveillé les soupçons
"Elle était appréciée par les plus vieilles qui voyaient en elle leur fille, et par les plus jeunes qui percevaient en elle une grande sœur avec ses conseils", témoigne Samira El Khadir, élue à la ville de Mérignac, devant le château du Burck abritant l'association Tournesol. Chahinez y passait parfois une tête avec Saïd et Mélissa pour du soutien scolaire, des démarches administratives ou des discussions entre mamans. "C'était une femme forte", dit la conseillère municipale.
"Les Marocains, les Algériens, les Tunisiens, les Français... Tout le monde aimait Chahinez !"
Sabrina, une adolescente du quartierà franceinfo
Au-delà de ses enfants, "Chouchou" (un de ses surnoms) laissait paraître peu de chose. Rares étaient les mots sur ses passions. "Elle aimait le handball qu'elle pratiquait en Algérie", confie Noura. Elle ne se plaignait pas. "Les problèmes, elle se les gardait pour elle", souffle Marie, une voisine. Au fil du temps, quelques attitudes, cependant, avaient commencé à éveiller les soupçons dans le voisinage.
"Quand son mari était là, on n'entendait pas Chahinez. Dans le jardin, c'était papa, papa, papa, jamais maman. Il jouait avec les enfants, elle ne sortait pas."
Patrick, un voisinà franceinfo
La violence avait éclaté au grand jour en juin 2020. Sur le trottoir, juste devant leur maison, Chahinez avait été étranglée par son mari. En comparution immédiate, il avait été condamné à 18 mois de prison, dont neuf assortis d'un sursis probatoire pendant deux ans. Le couple s'était séparé, et la jeune femme s'était alors libérée. "Elle revivait, elle était joyeuse et recevait des amis avec leurs enfants, tout le monde jouait, il y avait des rires d'adultes, des joies d'enfants", se souvient Patrick, marqué par l'odeur des gâteaux. "Ses amis disaient qu'elle cuisinait beaucoup, elle aimait faire des couscous, des pâtisseries", confirme Samira El Khadir. Chahinez, qui avait travaillé dans les cantines de la ville entre novembre 2019 et mars 2020, avait même repris une activité. "Elle faisait de l'entretien, de la plonge", détaille le maire de Mérignac.
La crainte d'une "vengeance"
Le mari était sorti de prison en décembre, cinq mois seulement après sa condamnation. Chahinez s'était refermée, craignant cet homme qui avait dit, au moment de son incarcération, "qu'il reviendrait se venger", selon Samira El Khadir. Malgré l'interdiction de paraître au domicile et d'approcher la victime, son mari, qui ne disposait pas d'un bracelet antirapprochement, un dispositif mis en place contre les violences conjugales, avait rôdé dans le quartier pendant plusieurs mois. Sa camionnette, ainsi que ses allées et venues autour du domicile, ne passaient pas inaperçues. Les voisins, eux, avaient remarqué que les volets de la maison étaient souvent clos.
"Elle vivait dans la peur. Quand quelqu'un sonnait, elle montait à l'étage pour regarder avant d'ouvrir."
Samira El Khadir, élue à la ville de Mérignacà franceinfo
Le 15 mars, le mari de Chahinez lui avait envoyé un SMS, lui donnant rendez-vous devant le supermarché du quartier, "pour parler de l'avenir des enfants", racontent les "tatas". Un prétexte : il l'avait frappée et avait tenté de la faire monter dans sa camionnette, avant de prendre la fuite. Elle avait porté plainte au commissariat de Mérignac. A celles qui l'avaient interrogée sur son œil au beurre noir, elle avait parlé d'une chute.
Ses proches s'étaient mobilisés, notamment avec la création d'un groupe WhatsApp entre mamans pour garder contact. La jeune femme dormait parfois chez des amies pour "se protéger" et ne pas rester isolée, souligne Samira El Khadir.
En fuite et recherché par la police depuis cette agression, le mari, qui avait déclaré une adresse à Pessac, une commune voisine, chez des membres de sa famille, a refait surface le 4 mai, pour tuer sa femme. Ces derniers temps, Chahinez cherchait du travail, ambitionnait de devenir "agent de restauration dans le cadre d'un projet d'insertion professionnelle", selon le maire. Son dernier entretien s'était tenu mardi, juste avant le drame. Elle pensait aussi à "des vacances en Algérie" avec ses copines, et voulait obtenir son permis de conduire. Elle avait même une voiture. La Mégane grise est toujours stationnée en face du domicile, où les badauds passent, pleurent et déposent des fleurs sur le trottoir cerné par les bougies et les petits mots pour "Chouchou".
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